« Respecter les choix sans juger » - L'Infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017

 

INTERVIEW : MARIE-JOSÉE KELLER PRÉSIDENTE DU CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES SAGES-FEMMES

DOSSIER

L. G.  

Marie-Josée Keller, présidente du Conseil national de l’Ordre des sagesfemmes, rappelle que le respect des femmes accouchant sous X ne s’oppose pas à celui de leur bébé.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Pourquoi le Conseil national de l’Ordre des sages-femmes défend-il l’accouchement sous le secret ?

MARIE-JOSÉE KELLER : Ce dispositif protège la santé de la mère et de l’enfant. Il offre aux femmes qui ne souhaitent pas élever leur enfant la même protection qu’aux autres mères pendant la grossesse et au moment de l’accouchement, tout en garantissant leur anonymat. Leur suivi médical est entièrement gratuit et leurs enfants sont ensuite pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. C’est une manière d’éviter les avortements clandestins, les accouchements sauvages, les abandons dangereux, voire les infanticides. Je crois que cette loi est importante tant pour les femmes que pour les enfants. En Belgique, par exemple, l’accouchement anonyme n’existe pas. Résultat, un tiers des femmes qui accouchent « sous X » à Lille sont belges.

L’I.M. : Cette position vous a valu des attaques virulentes de la part d’associations d’enfants nés sous X. Comprenez-vous leurs revendications ?

M.-J.K. : Ils vivent dans une grande souffrance. Ils veulent comprendre ce qui s’est passé, connaître leurs origines. Mais leur sort aurait pu être bien plus funeste si l’accouchement sous le secret n’existait pas. Il ne faut pas oublier qu’il y a d’autres possibilités de confier son enfant à l’adoption en France. Les femmes peuvent laisser leur nom sur l’acte de naissance. Celles qui accouchent sous le secret peuvent laisser leurs coordonnées dans un pli fermé dans leur dossier. Mais il est vrai que 40 à 50 % refusent et choisissent l’anonymat total.

L’I.M. : Quelles sont les raisons qui amènent à cette décision ?

M.-J.K. : Les mères pensent être dans l’incapacité de prendre en charge leur enfant. Parfois, c’est en raison d’une grande détresse matérielle. Parfois, c’est à cause d’un contexte de violence. Certaines ont été violées. D’autres viennent de familles traditionalistes et ont réussi à cacher leur grossesse à leurs parents, mais la maternité les exposerait au rejet. Elles ont souvent découvert qu’elles étaient enceintes après le délai légal pour pratiquer une IVG, ou ont fait un déni de grossesse. Il y avait d’ailleurs beaucoup plus d’accouchements sous X avant la loi Veil…

Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais rencontré au cours de ma carrière une mère qui confiait son enfant de gaieté de cœur. C’est toujours un choix douloureux. Mais c’est aussi un acte d’amour pour leur bébé, un don de vie.

L’I.M. : Les soignants ont-ils un rôle particulier à jouer auprès d’elles ?

M.-J.K. : Au-delà des soins médicaux, leur attitude est déterminante. Il est très important qu’ils respectent le choix des mères, sans les juger, les culpabiliser, les brutaliser… On ne connaît pas leur histoire. En revanche, on peut les encourager à laisser quelque chose pour leur enfant dans le dossier, une petite lettre par exemple, qu’il pourra découvrir à l’âge adulte. Pendant son séjour à l’hôpital, si elle le souhaite, la mère doit être libre d’aller voir son enfant, de le prendre dans ses bras, de lui parler.

L’I.M. : Et pour les enfants, y a-t-il une prise en charge différente des autres nourrissons ?

M.-J.K. : On leur apporte une attention toute particulière, évidemment. Ils sont plus portés, plus bercés que les autres. Les bébés ont besoin d’un contact physique bienveillant. Dans la mesure du possible, on s’arrange pour que ce soit toujours la même personne qui s’en occupe. Dans un grand nombre de maternités, un carnet est mis en place, où l’on raconte le premier bain, le premier biberon, les progrès. On peut aussi coller des photos et donner quelques informations sur la naissance. Ce document est ensuite remis aux services de l’Aide sociale à l’enfance, quand le bébé quitte l’hôpital. Il me semble important aussi que dès les premiers jours, une puéricultrice parle au bébé pour lui expliquer ce qui se passe. Dire par exemple : « Ta maman ne peut pas te garder, je vais m’occuper de toi quelques jours et ensuite tu vas trouver une autre famille où tu pourras grandir. »

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