Cancer et sexualité - L'Infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

ÉMILIE MOREAU  

Informer le patient sur les conséquences de son cancer sur sa sexualité tout au long de son suivi est reconnu comme essentiel à sa prise en charge. Une démarche à laquelle l’IDE est étroitement associée.

1. LE CONSTAT

La prise en charge du cancer a beaucoup évolué du fait des avancées médicales : guérir sans (trop) de séquelles est légitimement devenu une priorité. Même lorsque la rémission totale n’est pas envisageable, la sexualité n’est plus considérée comme un dommage collatéral pouvant être sacrifié sur l’autel de la survie du patient. Les répercussions du cancer et de ses traitements sur la sexualité sont multiples et très fréquentes. Deux ans après le diagnostic, deux tiers des patients rapportent ainsi des séquelles sur leur vie sexuelle (« La vie deux ans après le cancer », enquêtes nationales 2008, 2014, voir Savoir + p. 54). Prendre en compte la santé sexuelle des patients répond à plusieurs priorités du 3e plan cancer (1) : personnaliser la prise en charge, réduire les inégalités de soins, prévenir/minimiser les impacts négatifs, aigus ou chroniques, médicaux, psychosociaux et conjugaux. Outre ces dimensions éthiques et déontologiques, des études soulignent que le maintien de l’activité sexuelle et le soutien du partenaire ont un impact positif en terme d’ajustement du cancer, c’est à dire la capacité à s’adapter à l’irruption de la maladie. L’infirmière intervient à différents moments de la prise en charge : depuis la consultation d’annonce, jusqu’à la pratique des soins d’accompagnement, la préparation aux opérations, le suivi post-op, la survenue des conséquences des traitements (perte de cheveux, troubles sexuels, etc.), l’hospitalisation à domicile, pour finir par les soins de fin de vie.

2. DES CONSÉQUENCES SUR LA SEXUALITÉ

Indépendamment de la zone touchée, le cancer - et ses traitements - peut avoir un impact sur la sexualité des patients. Une représentation assez fréquente associant répercussions sexuelles et cancer génital, ou affectant une zone sexuelle secondaire comme le sein, exclut de fait l’abord de la sexualité avec certains patients. Et ce, alors que tous les cancers sont concernés par la question de la vie intime et sexuelle. De même, l’âge, la situation conjugale ou encore l’absence de demande des patients ne préfigurent en rien d’une absence de trouble ou de dysfonction consécutive à l’annonce du cancer et/ou de l’amorce des traitements. Se prémunir de représentations stéréotypées liées à la sexualité constitue l’une des bases fondamentales pour intégrer la sexualité dans la pratique soignante infirmière.

Atteintes gênant la réalisation de l’acte sexuel

Indépendamment du type de cancer et de traitement, la fatigue et les douleurs sont quasiment évoquées systématiquement par les patients comme facteur altérant leur qualité de vie. Elles participent globalement d’une moindre motivation et envie à s’engager dans un rapport sexuel, plus particulièrement un rapport pénétratif. De même, les symptômes dépressifs associés au diagnostic du cancer peuvent diminuer le désir ainsi que la capacité à avoir un rapport sexuel. La maladie et les traitements peuvent ainsi avoir un impact durant les différentes phases psycho-physiologiques de la réponse sexuelle décrite par les sexologues Masters et Johnson en 1966 : excitation, plateau, orgasme et résolution. On peut donc catégoriser les troubles de différentes manières.

→ Les troubles du désir peuvent être d’origine :

– psychogène : blocages sensoriels (vue, odeurs, bruits, touchers), altération de la motivation liée au diagnostic du cancer, communication insuffisante entre les partenaires ;

– iatrogène, c’est-à-dire liés aux traitements hormonaux ou médicamenteux durant et après le cancer.

→ Les troubles physiologiques :

– chez les hommes, des dysfonctions érectiles liées à un trouble du désir, à la chirurgie, à la radiothérapie peuvent apparaître. Des traitements médicamenteux peuvent être proposés ;

– chez les femmes, la sécheresse vaginale liée à un trouble du désir qui empêche la lubrification ou aux traitements chimiothérapiques et hormonaux, peut survenir. Des crèmes lubrifiantes sont proposées.

→ Les perturbations des rapports sexuels : dyspareunies (douleurs d’intromission dans le cas de radiothérapies pelviennes par exemple), dyspnées, positions, incontinences.

→ Les troubles de l’orgasme ou dysorgasmies : anéjaculation, modification des perceptions orgastiques, incontinence.

→ Les troubles de l’image corporelle et de l’identité sexuelle : l’annonce du cancer en lui-même peut être vécue comme une remise en question identitaire, et de ce fait avoir un impact sur la perception de son corps. Par ailleurs, les traitements anticancéreux sont souvent invasifs et peuvent altérer l’image corporelle, l’estime de soi et l’identité sexuelle :

– la chimiothérapie : perte de la pilosité et l’alopécie, ménopause induite ;

– la chirurgie : toutes les ablations d’organe peuvent modifier l’image corporelle : seins, appareils génitaux masculins comme féminins, sphères ORL, zone anale, zones colorectales… ; les stomies obligent à mettre en place des stratégies pour ne pas montrer la poche au partenaire ; les cicatrices peuvent être vécues telles des stigmates de la maladie et bouleverser la perception du schéma corporel ;

– la radiothérapie : brûlures associées ;

– l’hormonothérapie : ménopause induite.

Les difficultés conjugales

Généralités

La survenue d’un cancer peut induire une détresse émotionnelle chez le patient, mais aussi dans son entourage. Celui qui est le plus atteint par le choc émotionnel de l’annonce de la maladie n’est pas seulement le malade lui-même, mais parfois son partenaire. Partenaire qui peut devenir co-thérapeute, particulièrement dans les situations d’hospitalisation à domicile. La dynamique de l’interaction conjugale peut ainsi être source de soutien, mais aussi source de stress supplémentaire. On peut également observer une mise à mal de l’équilibre conjugal existant lorsque les relations avec les familles d’origine sont plus sollicitées au point de vue matériel et affectif. Deux grands mécanismes de défense peuvent être repérés chez le partenaire : le déni et l’hyperprotection, le premier entraînant l’indifférence et le second l’infantilisation. La capacité du partenaire à apporter du support dépend de sa propre réaction à la maladie et de la dynamique du couple avant la survenue du cancer. Un couple fonctionne comme un système et tout changement chez un individu altère l’interaction conjugale. La culpabilité du partenaire d’éprouver des sentiments de colère, de craintes et des affects anxio-dépressifs alors qu’il n’est pas lui-même malade doit être entendue.

La temporalité du cancer

→ L’annonce du cancer :

– précipite le couple dans une crise émotionnelle aiguë : menace de la perte et remise en cause des fantasmes d’immortalité ;

– Éros et Thanatos se trouvent confrontés, le désir et le plaisir peuvent dans un premier temps être abandonnés. En effet, alors que la sexualité sous-entend relation, reproduction, vie, plaisir, le cancer évoque la mort, la perte, la tristesse ; - augmentation de l’interdépendance du couple : rapprochement qui peut être motivé par la peur.

→ La phase de traitements :

– diminution du fonctionnement sexuel ;

– perturbation des différentes phases de l’activité sexuelle (désir, excitation, orgasme) par la maladie, par les traitements ou par le retentissement psychologique vécu par le malade ou par son conjoint ;

– le corps, source de plaisir, est remplacé par un corps souffrant ;

– le corps malade devient un terrain de lutte qui oscille entre une position défaitiste voire dépressive et l’espoir de la récupération ;

– crainte d’être repoussant, peur du regard de l’autre, d’infidélité, de la séparation et du rejet ;

– importance de se sentir accepté : l’intégration du traumatisme du cancer dépend entre autres choses de la réaction du partenaire ;

– pour beaucoup de couples, préserver ou retrouver des moments d’intimité, de complicité, d’harmonie amoureuse, de désir, de plaisirs sont autant de valeurs refuges qui les aident à garder une certaine « normalité » quand leur vie quotidienne est bouleversée.

→ La phase de rémission :

– période paradoxale, sentiments ambivalents : souhait « d’en sortir » et crainte de retourner à la vie normale d’avant la maladie ;

– sentiments d’incertitude et d’anxiété souvent masqués ;

– apparition de difficultés sexuelles, stigmates des difficultés de communication et ce, indépendamment des conséquences physiologiques ;

– les affects anxieux des conjoints peuvent être déphasés dans le temps ;

– importance d’accompagner les hommes et les femmes à retrouver confiance en eux et à accepter et réinvestir leur corps en dehors de la maladie.

3. RÔLE DE L’INFIRMIÈRE(2)

Connaître les différentes conséquences du cancer et de ses traitements sur la sexualité fait partie intégrante des compétences infirmières, pour pouvoir délivrer une information, intervenir ou orienter vers quelqu’un de plus compétent selon la nature des difficultés rencontrées par les patients. Sur le plan sexuel, trois types de « difficultés » ont ainsi été décrites de façon hiérarchique dans le référentiel de l’Association francophone pour les soins oncologiques de support Afsos (voir les repères ci-contre). Ces trois types de difficultés peuvent être rapprochées des trois niveaux définis par la WAS en 1974. (voir aussi tableau p. 41). Pour chacune d’entre elles, les compétences à mettre en œuvre sont décrites.

Écoute et reformulation

Selon le référentiel de l’Afsos, « pour un tiers des patients, la sexualité n’est pas ou plus leur préoccupation ». Ici, c’est le premier niveau d’intervention de l’OMS qui est concerné, l’information des patients afin qu’ils sachent que le cancer et ses traitements peuvent avoir des conséquences sur leur vie sexuelle. Il concerne tous les professionnels de santé, car aucune qualification spécifique n’est nécessaire si ce n’est une information minimale afin, d’une part, de faire de la santé sexuelle un aspect de la qualité de vie comme les autres, et, d’autre part, de travailler sur les représentations inhérentes à la sexualité.

L’écoute et la reformulation constituent la première forme de communication concernant la sexualité pour les infirmières. Cette écoute empathique s’inscrit plus largement dans la dimension relationnelle de la profession : la relation d’aide. Elle se base sur des techniques verbales et non verbales qui se caractérisent notamment par une écoute active, la reformulation des propos ou encore une attitude empathique. Dans le contexte du cancer, il s’agit d’écouter la plainte éventuelle du patient, ses difficultés, ses craintes ou ses questions de façon empathique et compréhensive, mais aussi d’explorer et clarifier ses angoisses sous-jacentes grâce aux techniques inhérentes à la relation d’aide et notamment la reformulation pour faire comprendre à son interlocuteur que l’on a bien pris en compte/entendu sa plainte. L’écoute des patients et la reformulation de leurs propos constituent ici des outils de communication permettant de maintenir une continuité des soins malgré le manque de formation et de connaissances spécifiques.

Information, conseil et éducation

Toujours selon l’Afsos, « un tiers des patients présente des troubles dont le traitement est souvent très facile et accessible, surtout s’ils sont abordés précocement ». Dans ce cas, c’est le deuxième niveau d’intervention de l’OMS, celui du conseil qui est concerné par cette catégorie de patients. Tous les soignants sont également encouragés à intervenir à ce niveau.

Une formation minimale sur la santé sexuelle est là encore nécessaire, mais des compétences communicationnelles sont également requises afin que le cadre de la relation soignant-soigné soit respecté. Il s’agit pour le soignant d’adopter une approche centrée sur la recherche d’une altération de la santé sexuelle, en évaluant la plainte ou les craintes. Saisir l’opportunité d’aborder la sexualité peut passer par l’évocation d’autres sujets : la contraception, les prothèses, les soins corporels, l’hygiène de vie, le couple… Demander aux patients ce qu’on leur a déjà dit à ce propos ou ce qu’ils ont pu lire est important pour clarifier certains questionnements et apporter une information qui pourra les rassurer. L’utilisation de tous les moyens et supports d’information (brochures, plaquettes de sociétés savantes ou d’associations… ?) permet d’asseoir son propos. En outre, à l’aide d’une sémantique adaptée et pédagogique, beaucoup de craintes peuvent être « désamorcées », car elles sont abordables en pratique quotidienne.

Orientation et délégation

Enfin, « un tiers des patients souffre de troubles plus complexes pour lesquels il existe également des solutions » selon l’Afsos. Ce dernier niveau se réfère au troisième niveau des recommandations de l’OMS, celui de la thérapie (psychothérapie ou sexothérapie) ou du traitement (médicamenteux et/ou chirurgical) selon la nature du trouble. Il concerne donc plus spécifiquement les psychologues, psychiatres, psychothérapeutes ainsi que les médecins, mais également les infirmières en ce sens où elles doivent être capables d’évaluer la complexité du trouble afin d’orienter au mieux le patient, ce qui peut se révéler difficile sans le minimum de connaissances requises.

1 - Plan cancer 2014-2019, présenté par François Hollande en février 2014.

2 - Les idées de ce chapitre sont développées en détail dans l’article suivant : Giami, A., Moreau, E., & Domenech-Dorca, G. (2014). « Le conseil en santé sexuelle » (pp. 83-108). In G.-N. Fischer & C. Tarquinio (Eds.), Psychologie de la santé : applications et interventions. Paris : Dunod.

SITUATION CLINIQUE

Un couple face au diagnostic de cancer de la prostate

M. et Mme G. arrivent en consultation d’annonce, le diagnosticde cancer de la prostate a été posé. Le chirurgien leur a annoncé qu’une prostatectomie était à prévoir rapidement. Le couple semble anxieux et attend des informations. L’infirmière reprend les données du médecin et tente de faire comprendre à M. G. que l’opération qu’il va subir réduira sa capacité à l’érection. Elle lui fait un schéma pour lui en préciser les raisons. M. G. semble angoissé, hésitant et n’est plus très sûr de vouloir subir cette opération … Il se tourne vers son épouse comme pour lui demander son acquiescement, celle-ci lui dit très clairement et de façon décidée qu’il est important qu’il fasse cette intervention et qu’il reste en vie même s’ils doivent renoncer à leur vie sexuelle.

Que faire ?

Concernant la prostatectomie prévue, les informations sont à reprendre et les précisions à donner en fonction des décisions et des protocoles chirurgicaux en vigueur. Il est raisonnable de laisser une place pour les incertitudes (chirurgie plus ou moins envahissante que prévue) et informer des répercussions au niveau de la fonction sexuelle. Savoir que cette situation que vivent le patient et sa partenaire est à traiter comme une perte, voire un deuil, et que plus d’une étape sera nécessaire avant l’acceptation. La priorité, le sujet de soins, c’est M. G. Sa femme est à considérer comme proche et aidant naturel ; à ce titre son aide sera précieuse et son accompagnement probablement nécessaire, mais en matière de sexualité et d’acceptation en tant qu’homme, c’est M. G. qui est concerné. Il faudrait essayer de voir le patient seul pour qu’il puisse exprimer ses craintes et ses difficultés : il pourrait avoir peur de perdre sa femme par exemple. Revoir le couple ensuite serait une bonne chose, l’infirmière en charge de la consultation d’annonce serait alors au cœur de la médiation et de ses compétences, comme le prévoit le 3e plan cancer.

REPÈRES

→ Le nombre important de patients concernés par une atteinte de leur vie sexuelle conjugué aux difficultés communicationnelles des soignants à aborder la sexualité a conduit une équipe d’oncologie à élaborer un référentiel ad hoc intitulé « Cancer, vie et santé sexuelle » et à proposer des formations aux soignants, (Afsos, 2010).

→ Ce référentiel, outre l’apport de connaissances, offre des solutions aux soignants, selon leurs champs de compétences respectifs, pour intervenir dans ce domaine.

→ Guide téléchargeable sur le site de l’Afsos (bit.ly/2lfnGj9).

MALADIES CHRONIQUES

DES CONSÉQUENCES À LONG TERME

Douleurs, fatigue, dépression, les conséquences sexuelles des maladie chroniques, encore trop sous-estimées, doivent être inclues dans la prise en charge. Ce qui nécessite de les identifier…

« Les conséquences sexuelles de la maladie sont parmi les plus difficiles à vivre et à surmonter. Elles sont cependant encore trop souvent sous-estimées et prises en compte par le corps soignant. »* Intégrer la sexualité dans l’éventail de la prise en charge globale des maladies chroniques nécessite d’avoir une vision élargie des conséquences physiques, psychiques et sociales des maladies sur le bien-être sexuel, bien-être non réductible à la possibilité d’avoir un rapport sexuel pénétratif.

→ Les douleurs et la fatigue envahissent toutes les sphères de la vie des patients, et concernent toutes les maladies chroniques. À long terme, elles affectent la capacité des patients à pouvoir éprouver du désir et à s’engager dans des relations sexuelles. L’adaptation est ici un mot-clé : les capacités érotiques peuvent être maintenues par le toucher par exemple pour que le corps ne soit pas vécu que comme un objet de souffrance.

→ La dépression, l’anxiété et les troubles de l’humeur sont des conséquences émotionnelles rapportées fréquemment. Leur évaluation et leur prise en compte est déterminante quant à l’observance des traitements d’une part, mais également quant à leur poids sur la dimension psycho-affective de la sexualité. Inversement, la baisse de la libido est un marqueur de l’apparition de troubles anxio-dépressifs.

→ Selon la pathologie, certaines conséquences sur la sexualité sont plus significatives :

- diabète : un homme sur deux souffre d’une dysfonction sexuelle (trouble de l’éjaculation notamment) et une femme sur deux déclare des troubles d’excitation et de lubrification ;

- maladies cardio-vasculaires : le retour à une vie sexuelle active est très souvent compromis ;

- sclérose en plaques : 83 % des femmes déclarent des dysfonctions sexuelles (majoritairement des troubles du désir) quand un homme sur deux souffre de dysfonction érectile.

Les recherches ne cessent d’évoluer et on peut désormais considérer que toutes les maladies chroniques ont un impact plus ou moins important sur la sexualité, qu’il est nécessaire d’évaluer. En effet, « l’installation de difficultés sexuelles chez les personnes souffrant de pathologies chroniques va très vite donner lieu à une majoration de l’impact émotionnel du vécu de la maladie initiale, et s’avérer déterminante dans la détérioration de la qualité de vie ». L’estime et la confiance en soi que les difficultés sexuelles peuvent majorer au cours de la maladie, sont des dimensions émotionnelles déterminantes dans le vécu de la maladie.

* Colon M.-H. Dysfonctions sexuelles de la maladie chronique, l’état des lieux. Première partie : fréquence, impact et gravité. Sexologies, vol. 25, p. 16-23.