Une surdose d’insuline évitée de justesse - L'Infirmière Magazine n° 379 du 01/02/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 379 du 01/02/2017

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

Mélanie Pessel  

Comment une infirmière experte a-t-elle failli injecter à une patiente 54 unités d’insuline au lieu de 5 ? Retour sur la recherche des causes immédiates et profondes en cause dans cet incident.

L’HISTOIRE

→ Mme G., 76 ans, a été diagnostiquée diabétique de type 2 en février 2014 suite à un bilan sanguin demandé par son médecin traitant. Elle est originaire d’Afrique du Nord et parle très peu français.

→ Le 17 juin 2015, elle est hospitalisée en hôpital de jour (HDJ) afin de réévaluer son traitement. En effet, malgré la prescription d’antidiabétiques oraux, le diabète reste déséquilibré. Il est alors décidé une mise sous insuline lente. Une consultation infirmière d’éducation thérapeutique est programmée à un mois, soit le 26 juillet à 13 h.

→ Le 26 juillet, Mme G. arrive en consultation accompagnée de sa belle-fille à 13 h 10. Elles sont en retard car elles avaient oublié de prévoir 15 minutes pour procéder à l’enregistrement. La belle-fille de Mme G. explique, qu’habituellement, l’infirmière à domicile fait l’injection d’insuline à 13 h 00. Cet horaire, inhabituel pour une insuline lente, a été défini par l’Idel en accord avec le diabétologue en raison du lieu d’habitation de la patiente ; celle-ci réside en effet dans un quartier dit « sensible ».

→ La patiente a apporté tout son matériel pour l’injection et demande à l’infirmière de consultation de lui faire la piqûre avant la consultation. Elles ont certes le matériel, mais pas l’ordonnance. Et ni la patiente ni sa belle-fille ne connaissent la dose d’insuline à faire.

→ L’infirmière explique qu’elle ne peut pas faire l’injection sans ordonnance, mais la patiente commence à s’inquiéter, car il est près de 13 h 20 et elle n’a toujours pas eu son injection. L’infirmière cherche alors des informations complémentaires dans le dossier médical. Elle ne trouve aucune trace de mise sous insuline, hormis une note manuscrite sur la pochette d’examen « mise sous insuline ». Le compte-rendu d’hôpital de jour du 17 juin n’est pas non plus en double dans le dossier et la patiente ne l’a pas avec elle.

→ À cette heure, il n’y a plus de consultations médicales dans les locaux et donc aucun médecin présent. L’infirmière appelle le Dr D., médecin de l’hôpital de jour, et lui explique la situation. Celui-ci ne connaît pas la patiente et est actuellement en visite en service d’hospitalisation. Il propose de descendre après sa visite afin de se connecter sur le logiciel spécifique de consultations de l’HDJ pour vérifier les informations.

→ Devant le peu de renseignements retrouvés et l’insistance de la patiente pour avoir son injection, l’infirmière vérifie dans le carnet de glycémie les doses faites les jours précédents et les résultats de glycémie capillaire. À la date du 25 juillet 2015, elle voit une dose écrite en manuscrit « 54 lente ». Mme G. présentant une obésité androïde, l’infirmière n’est pas interpellée par la dose qui peut s’expliquer par une insulino-résistance. Afin de pouvoir commencer la consultation, l’infirmière rappelle le médecin et lui explique la situation ainsi que les éléments retrouvés. Celui-ci lui dit qu’elle peut faire l’injection et fera la prescription plus tard.

→ Au moment de préparer l’injection, elle se rend compte qu’il ne reste que 25 unités d’insuline (UI) dans le stylo, soit insuffisamment. N’ayant pas de stock de pharmacie en consultation, elle téléphone à ses collègues d’hospitalisation afin que celles-ci donnent un stylo neuf au Dr D. quand il redescendra.

→ À 13 h 30, l’infirmière peut enfin commencer sa consultation d’éducation. Elle aborde différents thèmes tels que les risques par rapport au transport du traitement et du matériel et remet à la patiente un document autorisant le transport de traitement lors de voyage en transport aérien. Puis l’infirmière aborde l’adaptation des doses. Au vu des difficultés cognitives de la patiente, elle utilise des schémas et son carnet de glycémie afin de pouvoir utiliser les résultats notés comme support pédagogique.

→ Au cours des explications, l’infirmière relève une discordance entre les doses d’insuline notées au début du carnet avec la dose qu’elle a lu en date du 25 juillet. Elle réalise qu’elle a pris le U (unité) pour un 4 et lu 54 ou lieu de 5 U.

→ Lorsque le médecin arrive, il vérifie sur le logiciel médical et confirme qu’effectivement la dose prescrite un mois précédemment est de 5 UI. Il prescrit alors cette dose et l’infirmière de consultation réalise l’injection d’insuline.

ANALYSE

À la suite de cet évènement, il a été décidé de l’analyser comme un évènement porteur de risques, car si le stylo d’insuline avait été rempli de plus de 55 UI, l’infirmière aurait injecté dix fois la dose d’insuline. Il est donc évident que plusieurs verrous de sécurité ont sauté. L’analyse s’est faite avec le chef de service, la cadre de santé, l’infirmière présente, le cadre supérieur à la qualité et gestion des risques.

La recherche des causes a été effectuée avec la méthode Alarm (Association of Litigation and Risk Management) qui permet de dépasser les causes immédiates pour en rechercher les causes profondes (systémiques, organisationnelles). Un premier schéma a pu répartir les causes immédiates (voir ci-dessus). La situation a mis en évidence que différents facteurs, tant humains, qu’organisationnels ou environnementaux sont en cause.

→ Facteurs humains :

– expression ou communication difficiles ;

– insuffisance d’échange d’informations entre les professionnels de santé et la famille du patient, ses proches ;

– défaut de communication écrite (données patients non présentes), pas d’accès au dossier informatisé pour l’infirmière ;

– prescription orale du médecin ;

– pression ressentie par l’infirmière de la part de la patiente et de sa belle-fille, aucune des deux n’étant disponibles pour la consultation tant que le problème de l’injection n’était pas réglé.

→ Facteurs organisationnels :

– soins ne relevant pas du champ d’activité du service (la consultation infirmière de diabétologie) ;

– problème d’organisation interne du service (problème de définition des responsabilités et des tâches) : le médecin fait une prescription orale au regard d’éléments apportés par l’infirmière.

→ Facteurs environnementaux : le bureau de la consultation infirmière est situé au niveau des bureaux médicaux de consultation. L’infirmière étant la seule en poste sur ce secteur (car pas d’IDE affectées aux activités de consultations médicales), celle-ci est fréquemment interrompue dans sa tâche, ce qui est porteur de risque. L’infirmière explique que ce jour là, elle avait déjà été interrompue deux fois le matin par des médecins afin de réaliser des injections. Et ce, alors qu’elle n’en fait normalement jamais dans le cadre de la consultation IDE.

→ À la suite de cette analyse, un questionnaire a été soumis aux trois infirmières réalisant des consultations infirmières. Il comporte ces trois questions : 1 Quelle est pour moi la mission infirmière en consultation (tâches) ? 2 Qu’est-ce qui me met en difficulté lors d’une consultation ? 3 Que puis je proposer pour améliorer les consultations infirmières ?

Il est alors apparu que toutes les infirmières se sont senties à plusieurs reprises en difficulté lors de leur consultation par une similitude de situation (absence de dossier, insuffisance de connaissance du motif de consultation…).

MESURES ADOPTÉES

Suite à l’analyse de risque, différentes mesures ont été mises en place.

• Rappel du cadre législatif exigeant le respect d’une prescription écrite, nominative, datée, signée et lisible. Ce rappel a été fait autant auprès des infirmières que de l’équipe médicale.

• Réflexion quant à la pertinence de l’élaboration de protocole de coopération : les infirmières ne sont pas sous contrat de coopération et exercent sous le cadre législatif d’« infirmier en soins généraux ». Pour autant, elles sont expertes en diabétologie et doivent avoir un regard critique sur la situation lors de la consultation. Elles ne peuvent pas modifier ou administrer un traitement sans prescription écrite obligatoire… même si elles ont les compétences pour éduquer le patient ou son entourage à le faire.

• Mise en place d’un médecin référent de la consultation : il a été décidé avec les infirmières qu’en début de plage de consultations, elles soient en lien avec un seul médecin présent dans les locaux en cas de besoin.

• Formalisation du contenu d’une consultation infirmière afin de cadrer l’exercice de l’infirmière, limiter le glissement de tâches et le flou autour des missions de l’IDE en consultation : différentiation entre consultation post hospitalisation, consultation dans le cadre du diabète gestationnel…

• Réflexion quant à la pertinence d’une infirmière aux consultations affectée aux activités des consultations médicales afin de limiter les interruptions de tâches, facteurs de risques.

• Ouverture d’un agenda spécifique consultations infirmières sur le logiciel patient permettant ainsi l’acheminement du dossier complet papier des archives vers la salle de consultation la veille et l’accès direct sur le dossier informatisé du patient lors de la consultation.

• Motif de consultation infirmière explicite sur le dossier informatisé ou noté sur la convocation donnée au patient.

• Mise en place d’un document informatisé de compte-rendu de la consultation infirmière afin de permettre la traçabilité de celle-ci – une copie est remise au patient à la fin de la consultation.

Plus globalement, l’analyse de cet évènement ayant pu conduire à un évènement grave a relevé une insuffisance de communication entre tous les acteurs. Ce point est d’autant plus fondamental dans le cadre du suivi d’un patient atteint de maladie chronique, car celui-ci relève d’une prise en charge interdisciplinaire. Une réflexion et des actions au regard de cette problématique sont donc mises en place de façon globale sur l’ensemble du service.

ÉTUDIANTS EN IFSI

Les UE en lien avec le dossier

Références d’UE et extrait de leur contenu :

→ UE 2.1.S1 « Biologie fondamentale » (compétence 4) : les molécules constitutives du vivant et leur fonction dans les équilibres ou déséquilibres biologiques et UE 2.2.S1 « Cycles de la vie et grandes fonctions » ;

→ UE 2.3.S2 « Santé, maladie, handicap, accidents de la vie » (compétence 1) : explorer les notions de maladie chronique et ses spécificités ;

→ UE 2.11.S1 « Pharmacologie et thérapeutiques » (compétence 4) : les risques et dangers de la médication, la prescription et UE 2.11.S5 « Pharmacologie et thérapeutiques » (compétence 4) : responsabilité infirmière en pharmacothérapie, la prescription médicale et infirmière ;

→ UE 3.1.S2 « Raisonnement et démarche clinique infirmière » (compétence 1) : le recueil de données cliniques, méthodes et les outils de mesure de l’autonomie, transmissions, dossier de soins ;

→ UE 3.2.S2 « Projet de soins infirmiers » (compétence 2) : objectifs de soins centrés sur la personne, plan d’interventions, résultats, réajustements… et UE 3.2.S.3 : mise en œuvre et suivi du projet de soins dans le cadre de la pluriprofessionalité ;

→ UE 4.2.S3 « Soins relationnels » (compétence 6) : la relation d’aide, les entretiens infirmiers, l’alliance thérapeutique ;

→ UE 4.5.S4 « Soins infirmiers et gestion des risques » (compétence 7) : la gestion des risques, l’analyse multifactorielle des contextes de risques pour les personnes ou des groupes de personnes ;

→ UE 4.6.S3 « Soins éducatifs et préventifs » (compétences 5) : soins infirmiers d’éducation, de prévention, démarche d’éducation interdisciplinaire, ETP individuelle et collective ;

→ UE 4.6.S4 « Soins éducatifs et préventifs » (compétences 5) : élaborer une démarche d’éducation thérapeutique en interdisciplinarité.