Je suis souvent face à des patients qui me tutoient et qui voudraient que je fasse de même. Quelle attitude adopter ? | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017

 

RELATION DE SOIN

SUR LE TERRAIN

MON QUOTIDIEN

PASCALE GÉRARDIN*   MICHEL COMBRET**  

Quelle est la juste distance dans la relation de soin ? Si le vouvoiement est d’usage, peut-on tutoyer un patient ? « Aucun texte officiel n’aborde la question du tutoiement/ vouvoiement dans le domaine de la relation soignant/soigné, note le comité d’éthique de l’hôpital Esquirol(1). En revanche […], la relation thérapeutique doit se construire sur le respect de la personne soignée quand bien même elle est dissymétrique. » Un respect qui « se traduit, a priori, par l’utilisation du vouvoiement » et « garantit l’égalité et la distance entre le soignant et le patient ». Mais cette distance peut rassurer le patient et le mettre en confiance, comme elle peut créer une barrière invisible. De la même façon, le tutoiement peut installer un lien plus affectif ou être perçu comme un manque de respect. « Cette question concerne tous les services de soins où la personne soignée est vulnérable et dépendante, explique Pascale Gérardin, psychologue dans un centre de mémoire, de recherche et de ressources au CHRU de Nancy (54). Le soignant, lui, prend cette forme de familiarité pour de la tendresse ou un signe d’affection envers le patient. Mais il faut être vigilant, car il suffit parfois de peu pour que cela dérape. » S’il appartient à chaque service de trouver la bonne distance thérapeutique dans la relation de soin, la psychologue est d’avis que toute demande de tutoiement et d’utilisation du prénom formulée explicitement par le patient doit être discutée et réfléchie en équipe.

1- http://bit.ly/1Q8Oq2E.

LES BONNES PRATIQUES

→ Le vouvoiement est de rigueur, mais on peut céder au tutoiement s’il peut être un atout dans la relation de soin.

→ Toute demande de tutoiement ou d’utilisation de son prénom formulée par le patient doit être discutée et réfléchie en équipe.

→ Ne jamais utiliser de langage familier pour s’adresser au patient.

→ Si le code de déontologie infirmier ne parle pas de tutoiement/vouvoiement, il évoque néanmoins le respect : « L’infirmière ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne prise en charge. » « La règle est de donner des soins consciencieux, explique Karim Mameri, secrétaire général de l’ONI et infirmier cadre de santé en pédiatrie. Le choix du pronom ne doit pas se faire selon le soignant, mais bien selon le patient. »

Une proximité qui rassure en gériatrie

→ Dans les structures d’hébergement et d’accueil de personnes âgées, si le tutoiement est relevé, il s’installe souvent dans les situations singulières : l’aide à la vie quotidienne, la toilette, ou selon le patient, comme ceux ayant des troubles cognitifs évolués. Dès que la situation entraîne une posture infantile ou maternante et une dépendance importante, le vouvoiement peut céder facilement le pas au tutoiement.

→ En tutoyant le soignant plus jeune que lui, le patient l’absorbe dans une relation de proximité qui tend à le rassurer. Mais cette sorte de filiation informelle peut créer un schéma de réciprocité qui renvoie le soignant à sa propre vulnérabilité. Ainsi, si le patient demande explicitement qu’on le tutoie ou qu’on l’appelle par son prénom, il est nécessaire d’y réfléchir en équipe, afin de trouver la réponse la plus adaptée à la prise en soin. Et pour éviter tout glissement de langage familier.

Un choix lié à la notion d’empathie en psychiatrie

→ Après une étude menée au CH de Cadillac (33), les soignants ont observé que la durée de séjour avait une influence majeure sur le choix du pronom ; les patients en services de longue durée ont plus souvent tendance à tutoyer et à demander à l’être que ceux accueillis ponctuellement.

→ L’utilisation du pronom est liée à la notion d’empathie. Quatre « types-idéaux » de pratiques soignantes ont été définis ; ils correspondent aux affects ressentis envers les patients : maltraitant (usage du « tu » ou du « vous » sans discernement, mépris du patient, image dévalorisante de la maladie mentale) ; fusionnel (un « tu » fraternel, le soignant a de la considération pour le patient mais ne mesure pas les effets de la pathologie) ; distant (utilisation du « vous », le soignant maintient le patient à distance et perd de vue la personne en souffrance) ; empathique (le soignant utilise le « vous » mais se sert du « tu » s’il peut être un atout, un choix conscient et étayé sur la théorie et l’expérience).

→ Ainsi, l’utilisation du pronom en psychiatrie dépend du type de relation et n’obéit pas nécessairement à des objectifs thérapeutiques.