« Se concentrer sur les soins primaires » - L'Infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016

 

INTERVIEW ODESSA DARIEL INFIRMIÈRE, DOCTEUR EN SCIENCES INFIRMIÈRES (PH.D), PROFESSEURE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SANTÉ PUBLIQUE, INSTITUT DU MANAGEMENT, ÉQUIPE D’ACCUEIL EN MANAGEMENT DES ORGANISATIONS DE SANTÉ

DOSSIER

M. C.  

De l’élargissement des compétences aux pratiques avancées à la transition du milieu hospitalier vers des soins ambulatoires ou à domicile, Odessa Dariel fait le point sur les mutations auxquelles les infirmières doivent se préparer.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quelles sont, pour vous, les évolutions du métier d’infirmière dans les prochaines années ?

ODESSA DARIEL : La première concerne la mise en place complète du processus d’universitarisation. Les infirmières devraient être de plus en plus sensibilisées à la recherche. Ceci leur permettrait d’améliorer la qualité de leurs soins à travers une appropriation des données scientifiques et une démarche visant à être plus critiques par rapport à leurs pratiques. Une universitarisation à 100 % avec la création de facultés de sciences infirmières, à l’instar du Canada, permettrait non seulement aux formateurs d’intégrer le milieu académique, mais aussi aux étudiants en formation initiale de côtoyer des infirmières qui font des masters et des doctorats en sciences infirmières. Nous devons encourager les IDE à s’intéresser davantage aux recherches réalisées par leurs consœurs. C’est important, car certaines pratiques ont été démontrées inefficaces.

L’I. M. : Quid des pratiques avancées ?

O. D. : Les pratiques avancées sont assez révolutionnaires en France ! Mais attention, elles ne concerneront qu’une partie des infirmières. À l’étranger, elles représentent moins de 10 % des professionnels. Ces pratiques conduisent à un élargissement du champ d’intervention permettant la prise en charge de pathologies chroniques ou de polypathologies. Mais c’est compliqué à mettre en œuvre, car nous n’avons pas encore cette culture d’avoir une infirmière qui fait une consultation complète avec un diagnostic et une prescription. Ne parlons même pas d’un système permettant un remboursement de leurs soins par l’Assurance maladie… Cela suppose une révolution des mentalités et un changement de notre vision en plaçant le patient au centre. Je pense que les pratiques avancées vont mettre du temps à s’implanter. Le problème de la rémunération se pose également. Avoir un master et être payée comme une IDE, c’est choquant ! Pourtant, les pratiques avancées peuvent répondre à des besoins et des pénuries de professionnels de santé(1).

L’I. M. : Quels autres changements peuvent influer sur l’exercice professionnel ?

O. D. : Une autre évolution du métier sera liée à la transition du milieu hospitalier vers des maisons de santé pluridisciplinaires, des soins ambulatoires, des soins à domicile. Une concentration sur les soins primaires, la promotion de la santé et la prévention des maladies repositionnerait les infirmières. Dans les soins primaires, les infirmières peuvent se focaliser sur leur cœur de métier. Mais cette évolution prendra du temps et demandera aux IDE d’anticiper les changements à venir afin de pouvoir répondre aux besoins en santé de la population. Nous sommes souvent trop dans la réaction, nous devons faire des propositions. Les infirmières pourraient être de vrais entrepreneurs et imaginer l’offre de soins qu’elles pourraient proposer dans le système de santé. Même s’il concentre la majorité des stages, l’hôpital n’est pas la seule voie.

L’I. M. : Les infirmières doivent-elles acquérir des compétences moins techniques ?

O. D. : L’élargissement des compétences ne concerne pas uniquement les soins techniques ! Par exemple, savoir travailler en équipe et en réseau est essentiel. J’espère qu’avec les évolutions qui se profilent, nous allons reconnaître la valeur des soins non-techniques et leur importance dans la qualité des soins. Par exemple, d’autres compétences et connaissances non-techniques à acquérir sont le leadership et le système politique de santé.

Les 638 000 infirmières en France pourraient être une force puissante auprès des politiques. Mais pour cela, il faudrait savoir se mobiliser autour d’une vision partagée…

L’I. M. : Vous évoquez la nécessité d’un changement de mentalité. Les professions de santé en sont-elles capables ?

O. D. : Oui, même si nous avons tendance à être assez figés, il faut commencer à imaginer la santé autrement et aller au-delà des corporatismes. Le corporatisme, c’est oublier pourquoi nous avons choisi de travailler dans les soins.

1- « Infirmières de pratique avancée – Les pionnières gagnent la lutte », L’Infirmière magazine n° 376, novembre 2016.