Physiologie et évaluation de la brûlure - L'Infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

DR MORGANE BACUS*   MARIE FUKS**  

La qualité de l’évaluation des brûlures et la pertinence de l’orientation initiale des patients constituent une phase primordiale de la prise en charge des brûlés qui doit être bien connue des soignants et parfaitement maîtrisée afin d’optimiser la guérison.

1. LA PEAU : RAPPEL

Physiologie

La peau est à la fois un organe barrière qui protège l’organisme et un organe de communication avec le milieu environnant. Elle représente une surface d’environ 2 m2 et un poids d’environ 5 kg (c’est le plus grand organe du corps). La peau est constituée d’une partie superficielle, l’épiderme, et d’une partie interne plus épaisse comprenant le derme et l’hypoderme.

→ L’épiderme mesure de 0,1 mm (paupières) à 1 mm (paume des mains, plante des pieds) et ne contient pas de vaisseaux. Il est en constant renouvellement et est composé à 80 % de kératinocytes, cellules qui jouent, entre autres, un rôle protecteur fondamental(1). Les autres cellules constitutives de l’épiderme (20 %) sont, par ordre d’importance, les mélanocytes, qui donnent la couleur à la peau, les cellules de Langerhans chargées de capturer les antigènes et d’activer les lymphocytes T, et les cellules de Merkel, cellules neuroépithéliales qui dérivent des cellules souches fœtales et sont particulièrement présentes au niveau des lèvres, des paumes, de la pulpe des doigts et du dos des pieds(1).

→ Le derme est vingt fois plus épais que l’épiderme et peut atteindre 3 à 4 mm au niveau du dos. Il est constitué de fibroblastes et de cellules sanguines associées à des fibres de collagènes, d’élastine et de réticuline agglomérée par des mucopolysaccharides dont l’acide hyaluronique.

→ L’hypoderme, principalement constitué de graisse, assure une fonction d’amortisseur des chocs et d’isolant contre le froid.

Les fonctions de la peau

Au-delà de sa fonction protectrice évidente, la peau assure également d’autres fonctions qui pourront être altérées en cas de brûlure. Elle retient l’eau, régule la température corporelle via la sudation, permet l’exploration de l’environnement par le toucher, transmet des messages sociaux et sexuels, ressent grâce aux terminaisons nerveuses les sensations de pression, la chaleur et la douleur et constitue un organe immunitaire à part entière grâce aux cellules de Langherans et aux kératinocytes(1).

2. LA BRÛLURE CUTANÉE

Définition – étiologies

La brûlure est une lésion plus ou moins profonde du revêtement cutané et des tissus sous-jacents qui peut également atteindre les muqueuses et les voies aériennes ou digestives. Elle est provoquée par un agent causal thermique (liquide, vapeur, flammes, gaz chaud) dans 90 % des cas. Les liquides chauds sont le plus souvent en cause dans les brûlures de moindre gravité et dans les brûlures graves chez l’enfant. La brûlure peut également être d’origine électrique (7 % des cas), causée par un agent chimique – acides ou bases – (3,5 %), des radiations (soleil, radiothérapie…) ou encore d’origine mécanique par dermabrasion.

Caractéristiques physiopathologiques

→ Une pathologie locale au retentissement général : chez un grand brûlé, au-delà du traumatisme local, très rapidement, la brûlure retentit sur tout l’organisme. Dans ce cas, elle évolue en deux phases :

• la phase « inflammatoire » : dans les 48 premières heures, la libération de médiateurs de l’inflammation responsable d’une hyperperméabilité capillaire a pour conséquence une plasmorragie (fuite liquidienne) qui se traduit par l’apparition d’œdèmes majeurs associés à une hypovolémie consécutive à la perte importante d’exsudats au niveau des brûlures ;

• la phase dite « anti-inflammatoire » et d’hypercatabolisme : elle correspond sur le plan immunologique à une phase d’immunosuppression intense et prolongée due à différents mécanismes liés à l’activation des macrophages qui engendrent une immuno?suppression et imposent l’hospitalisation des patients en secteur de soins protégé +++. Durant cette phase se produit également une dégradation majeure des molécules organiques (hypercatabolisme) qui justifie un apport protéique supérieur à la normale pour la cicatrisation (de 30 kcal/kg/j à 50 kcal/kg/j) et un apport en oligo-éléments trois à cinq fois supérieur à la normale pour compenser la perte massive au niveau des plaies.

Par ailleurs, aux effets immédiats de la lésion initiale qui peut s’approfondir du fait de la persistance d’action de l’agent en cause, s’ajoutent les facteurs « aggravants » liés au patient (antécédents médicaux, dénutrition, par exemple). Ainsi, si la brûlure retentit sur l’état général du patient, à l’inverse, un état général altéré peut aggraver et approfondir une brûlure.

→ Des retentissements systémiques aux complications : les brûlures très graves sont responsables d’une cascade inflammatoire importante qui va avoir pour conséquence un syndrome de défaillance multiviscérale (SDMV) atteignant notamment les poumons et le myocarde. Il peut être aggravé par une brûlure des voies respiratoires responsable d’un œdème réactionnel pouvant aller jusqu’à un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) à l’origine d’une hypoxie, pouvant elle-même approfondir une brûlure initialement superficielle (cercle vicieux). Par ailleurs, la brûlure grave peut s’accompagner d’une hémolyse, d’une rhabdomyolyse et de troubles précoces de l’hémostase(2). Ces retentissements peuvent être à l’origine de complications précoces, rénales, hémodynamiques, métaboliques, infectieuses, respiratoires et du décubitus(3). Les complications tardives sont majoritairement d’ordre esthétique, fonctionnel et psychologique. Des cancers cutanés sont également observés.

Évaluation de la gravité des brûlures

Différents critères permettent d’évaluer la gravité de la brûlure.

→ Surface corporelle : l’évaluation de la surface corporelle (SC) brûlée est réalisée d’après la règle des 9 de Wallace chez l’adulte (voir schéma p. 49) ou, de façon plus précise, à l’aide de la table de Lund et Browder (voir ci-dessous) qui définit pour chaque tranche d’âge et beaucoup plus en détails, la surface à prendre en compte. « En pratique, commente le Dr Morgane Bacus, médecin anesthésiste-réanimateur du centre de traitement des brûlures (CTB) du CHRU de Lille, « il existe des logiciels très utiles pour évaluer la surface brûlée comme l’application E-burn (lire encadré ci-contre), accessible gratuitement sur Internet et sur smartphone. Simple d’utilisation, elle constitue un outil d’évaluation très intéressant pour éviter de surestimer la surface brûlée, ce qui est assez fréquent. »

→ La profondeur de la brûlure constitue théoriquement un critère majeur quant à l’orientation et aux modalités de prise en charge. Si sa définition clinique et histologique est bien établie – 1er degré, 2e degré superficiel, 2e degré profond, 3e degré (voir schéma p. 48) –, en revanche, son évaluation pré-hospitalière est très difficile, car l’aspect clinique est souvent polymorphe et sujet à des variations dans les 48 premières heures associant des « mosaïques » de brûlures de profondeurs différentes au sein d’une même localisation. En outre, « il n’existe aucune méthode scientifique validée permettant d’apprécier la profondeur d’une brûlure, explique le Dr Hervé Carsin, médecin-général de l’hôpital Percy(2). Vouloir évaluer la profondeur sur l’histologie entraîne un pourcentage élevé d’erreurs, même chez les médecins s’occupant de brulés quotidiennement. » C’est la raison pour laquelle, l’évaluation clinique s’applique aujourd’hui à distinguer les brûlures qui vont guérir spontanément des situations à risque qui nécessitent une prise en charge chirurgicale et un suivi prolongé.

• Les brûlures qui guérissent se caractérisent par une phlyctène, une douleur très intense, la présence d’exsudat, l’intégrité des poils, une persistance de la décoloration-recoloration à la pression et des tissus qui restent souples. Elles concernent les brûlures du 1er et 2e degré superficiel dont la guérison spontanée intervient dans les 10 à 15 jours qui suivent l’accident.

• Les brûlures à risque sont caractérisées par la destruction complète du derme et de l’épiderme, la perte de sensibilité (pas de douleur), de décoloration-recoloration, de souplesse des tissus (aspect cartonné) ainsi que l’absence d’adhérence des phanères et moins d’exsudat.

→ Localisation : le siège de la brûlure constitue un indicateur majeur des risques de séquelles fonctionnelles et esthétiques. L’orientation immédiate après avis du médecin de garde d’un CTB doit en tenir compte pour assurer une prise en charge capable d’en minimiser l’impact à distance. Cela concerne particulièrement les brûlures du visage, du périnée, des mains, des pieds et des articulations, ainsi que les brûlures circulaires et profondes.

→ L’état physiologique et l’âge des patients : l’état de santé général du brûlé retentit sur la cicatrisation et la capacité de récupération. Un patient âgé, dénutri, atteint d’une maladie chronique ou immunodéficient, ne cicatrise pas aussi facilement qu’un jeune en bonne santé et justifie a minima une hospitalisation, voire une prise en charge en CTB. De même, la brûlure grave du jeune enfant justifie d’emblée une orientation initiale en milieu hospitalier pour une surface brûlée plus limitée que les adultes en raison du risque d’hypothermie majoré et d’hypovolémie plus délétère (plus rapide et plus brutale).

→ Les lésions associées : tout patient à la fois traumatisé et brûlé (explosion, défenestration, accident de la route) est avant tout un patient traumatisé, expliquent les spécialistes. La priorité consiste à prendre en charge les différents traumatismes associés à la brûlure, car il est plus urgent de combattre une intoxication au monoxyde de carbone ou à l’acide cyanhydrique (première cause de mortalité précoce du brûlé), de suturer une plaie qui saigne, de drainer un pneumothorax, d’immobiliser une fracture (en excluant tout plâtre ou traction) ou de traiter un hématome périfracturaire associé à une brûlure circulaire par exemple. À Lille, les patients dans ce cas sont initialement pris en charge au déchocage chirurgical pour réaliser le bilan lésionnel puis, dès stabilisation, transférés au CTB pour la prise en charge spécifique des brûlures. La recherche des lésions doit tenir compte de plusieurs paramètres(3) :

– en dehors d’une intoxication associée, un brûlé est toujours conscient. Un scanner cérébral s’impose en cas de perte de conscience initiale traumatique ;

– la découverte d’un hématocrite inférieur ou égal à 35 %, doit faire rechercher une hémorragie interne par échographie abdominale ou scanner ;

– l’œdème et la brûlure peuvent masquer des fractures ;

– un traumatisme crânien ou thoracique et des brûlures justifient une prise en charge en réanimation. Ce sont des urgences extrêmes.

→ La douleur : la douleur est d’autant plus aiguë que la brûlure est superficielle et inversement. Il convient donc d’en tenir compte et d’en évaluer l’intensité afin de mettre en place les traitements antalgiques adaptés, voire si nécessaire d’hospitaliser le patient (lire p. 51)

→ Le pronostic de la brûlure peut être estimé à l’aide de différents scores.

• Le score de Baux = % de la surface corporelle brûlée (SCB) + âge. Si cette somme dépasse 100, le risque vital est engagé (par ex. brûlure à 35 % chez un patient de 85 ans => 35 + 85 = 120).

• Le score UBS : il prend en compte l’étendue et la profondeur de la brûlure et se calcule comme suit : UBS = SCB + 3 × SCB au 3e degré. Une brûlure est considérée comme grave dès 50 UBS et très grave avec un risque accru de mortalité au-delà de 150 UBS.

• Le score ABSI : il prend en compte le sexe, l’âge, la surface brûlée ainsi que la présence ou non de quatre autres critères : brûlure de la face, expectoration noire, tirage (dyspnée inspiratoire), présence de zones brûlées au 3e degré. La probabilité de survie du patient est calculée directement par le logiciel une fois que les données ont été renseignées sur le site medicalcul.free.fr.

3. ORIENTATION ET PRSE EN CHARGE

Une fois les différents critères de sévérité des brûlures appréciés par le service d’urgence (pompiers, Samu, Smur), l’orientation du patient est déterminée par le médecin régulateur qui prend, en général, préalablement avis auprès du médecin référent du CTB dans le but d’optimiser la prise en charge conformément aux dispositions actuellement en vigueur (lire encadré p. 48). En pratique, l’orientation finale du patient se fera selon la clé de répartition suivante :

Les patients ne relevant pas de cette orientation pourront être suivis en consultation externe (pansement simple tous les 2 – 3 jours) pour la réalisation des pansements sous sédation/anesthésie ou en ambulatoire lorsque les CTB n’ont pas de consultation externe. Dans ce cas, le patient est revu régulièrement par un médecin pour le suivi cicatriciel.

  • 1- Dréno B., « Anatomie et physiologie de la peau et de ses annexes », Annales de dermatologie et de vénérologie, 2009, vol. 136, n° S6, p. 247-251 (bit.ly/2eVwZBf).

  • 2- Carsin H., « Prise en charge initiale d’une brûlure grave », Urgences-Online (bit.ly/2eFXsnm).

  • 3- Loba K., « Prise en charge pré-hospitalière des grands brulés adultes », thèse de doctorat, 2014 (bit.ly/2eAE8eR).

Peau et degrés de brûlure

→ 1er degré : atteintes de couches superficielles de l’épiderme.

→ 2e degré :

– superficiel : atteinte de tout l’épiderme ;

– profond : atteinte de la jonction dermo-épidermique.

→ 3e degré : atteinte de l’épiderme, du derme, plus ou moins de l’hypoderme.

REPÈRES

Orientation pré-hospitalière

→ Depuis le décret n° 2006-73 du 24 janvier 2006 relatif aux activités de soins faisant l’objet d’un schéma interrégional d’organisation sanitaire (Sios), la mise en place des Sios pour le traitement des brûlés définit l’organisation de la prise en charge au niveau de chacune des interrégions hospitalières.

Sous l’autorité des ARS, le circuit impose l’hospitalisation des patients les plus graves dans un centre de traitement des brûlés (les CTB, au nombre de 24 en France). Les moins graves peuvent être accueillis en région dans quelques services habilités.

→ Par ailleurs, l’instruction DGOS du 2 juin 2016 relative au service d’aide à l’orientation pour la prise en charge des patients brûlés, fait obligation aux CTB de mettre à jour quotidiennement le répertoire opérationnel des ressources afin de connaître au jour le jour la disponibilité des lits.

L’APPLI E-BURN

Conçue pour une utilisation préhospitalière (Samu) ou hospitalière (déchocage, service d’urgence) l’application E-burn(1) est disponible :

→ sur le site du centre de traitement des brûlés du CH Saint-Joseph Saint-Luc de Lyon (brules.ch-stjoseph-stluc-lyon.fr). Pour obtenir des identifiants, envoyer un mail à brules@ch-stjoseph-stluc-lyon.fr. ;

→ pour smartphone et tablette sur l’App Store et Google Play depuis mai 2016.

→ À noter : une hotline réservée aux professionnels de santé est accessible 24 h/24 h au 04 78 61 89 50.

1- Validée par le Dr Mathieu Fontaine, adjoint au chef de service – Centre des brûlés CH Saint-Joseph Saint-Luc.

EN CHIFFRES

→ 400 000, c’est le nombre estimé de cas de brûlures en France par an(1).

→ 8 670 brûlés ont été hospitalisés en France en 2011(2) ; 215 (2,4 %) sont décédées de suites de leurs blessures.

→ L’enfant de moins de 4 ans représente plus de quart des personnes hospitalisées.

→ 64 % des brûlés hospitalisées sont de sexe masculin.

→ 93 % des brûlures seraient accidentelles – dont 70 % d’origine domestique, 20 % consécutives à un accident de travail et 3 % à un accident de la voie publique – et 7 % concernent les tentatives d’autolyse(3).

1- Dupont A., Thélot B. et al., « Les victimes de brûlures : patients hospitalisés en France métropolitaine en 2011 et évolution depuis 2008 », INVS 2015

2- Carsin H., Le Béver H., Bargues, Stéphanazzi J. « Brûlure ». EMC, Urgences, 24-116-E-15, 2006.

3- Carsin H., « Prise en charge initiale d’une brûlure grave », Urgences-Online (bit.ly/2eFXsnm).