L’UNITÉ INFIRMIÈRE DANS LA DIVERSITÉ ? - L'Infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016

 

MANIFESTATION

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

HÉLÈNE COLAU  

Le 8 novembre, les syndicats infirmiers, les organisations professionnelles et étudiantes ont lancé un appel à la grève pour appuyer des revendications communes : reconnaissance de la pénibilité, revalorisation salariale, réactualisation du décret d’actes infirmiers, démarrage des travaux sur les pratiques avancées… Une première depuis trente ans.

Nathalie Depoire « On a décidé de s’unir pour être plus forts »

La manifestation unitaire du 8 novembre est une première du genre depuis longtemps. Pourquoi cette décision ?

C’était en effet la première fois, depuis la grève de 1988(1) que nous mobilisions sur un socle aussi large. Les associations et syndicats ont appelé à manifester, car un certain nombre de revendications faisait consensus : l’amélioration des conditions d’exercice, la formation et la valorisation de l’exercice infirmier, qui passe notamment par la rémunération. Jusque-là, nous les portions séparément. Mais le traumatisme de cet été, avec le suicide de plusieurs soignants, et le silence de la ministre de la Santé ont fait monter la colère. Quand on nous a annoncé que l’Ondam(2) prévoit de nouvelles économies, nous avons eu peur de voir le système exploser. La CNI a alors organisé, le 14?septembre, un mouvement de grève national. D’autres organisations nous ont contactés et une discussion s’est amorcée. Nous avons tous – IDE, étudiants, cadres – les mêmes préoccupations. Et bien que nous soyons les professionnels les plus nombreux du monde de la santé – 700 000 avec les étudiants –, nous ne sommes jamais entendus ! On a décidé de s’unir pour être plus forts.

Pensez-vous avoir été mieux entendus que lorsque vous agissez séparément ?

Pour moi, c’est un succès. C’est la plus forte mobilisation de ces dernières années (14,6 % à l’échelle nationale). Mais nous ne sommes pas « satisfaits » pour autant. Notamment parce que la ministre ne nous a pas reçus. Nous sommes ressortis avec quelques promesses, mais on attend des engagements écrits. En revanche, nous avons déjà été contactés par les staffs de campagne des candidats à l’élection présidentielle, qui veulent s’entretenir avec nous des attentes des IDE afin de préparer leur programme. La plate-forme unitaire ne s’arrête pas là : nous allons continuer à travailler ensemble. Et si rien de concret n’émerge du côté du gouvernement et de la DGOS, c’est ensemble que nous appellerons à une nouvelle mobilisation, début 2017.

Bien qu’en regroupant leurs forces, les syndicats infirmiers comptent peu d’adhérents. N’est-ce pas un problème ?

En effet, la syndicalisation n’est pas dans la culture infirmière : seuls 4 % d’entre elles en sont adhérentes. Les IDE donnent la priorité aux patients et s’occupent finalement très peu d’elles. Mais si elles étaient informées de leurs droits, elles apprendraient à dire non aux débordements qu’on tente de leur imposer. Au final, le patient y gagnerait, car il serait pris en charge dans de meilleures conditions.

N’y a-t-il pas trop d’organisations différentes en France pour parvenir à rassembler les infirmières ?

C’est vrai qu’il y a quatre syndicats d’infirmières libérales… Mais il n’y en a que deux pour les hospitalières, ce n’est pas tant que ça. Par ailleurs, on compte un grand nombre d’associations, qui interviennent sur des champs spécifiques. Pour nous, c’est positif de bénéficier de cette diversité, afin de voir des idées émerger. L’important, ensuite, est de savoir se coordonner, et c’est ce qu’on essaie de faire avec la plate-forme unitaire.

Howard Catton « L’union ouvre des opportunités d’échange extraordinaires »

Quels sont les différents modèles, dans le monde, de représentation infirmière ? Lequel est le plus efficace ?

Il en existe de nombreux : des syndicats qui fédèrent différentes catégories de travailleurs et au sein desquels les IDE sont regroupées en sections, jusqu’aux associations composées uniquement de personnels infirmiers. Certaines organisations défendent les salaires et les conditions de travail, d’autres prodiguent conseils et expertise s’agissant de la pratique, de la recherche et de la formation cliniques. Un certain nombre d’entités assument une double fonction de syndicat et d’association professionnelle, ou de représentation et de réglementation de la profession infirmière. Il n’y a pas de modèle unique, ce que le CII ne préconise pas d’ailleurs : les différentes formes de représentation ont évolué en fonction des contextes nationaux, chacune à sa manière étant susceptible de représenter efficacement la profession infirmière.

De quels moyens disposent ces organisations pour peser sur les politiques nationales ?

Elles appliquent une gamme de stratégies et de techniques pour protéger leurs membres et améliorer leur qualité de vie : sensibilisation et recherche du soutien du public, campagnes et lobbying politique, mobilisation individuelle pour des actions collectives. On observe au niveau mondial une dégradation très nette des conditions de travail des IDE. On comprend donc pourquoi de plus en plus d’organisations infirmières manifestent pour les conditions de travail et pour la qualité et la sécurité des soins. Le CII défend fermement le droit des infirmières de s’organiser, de négocier collectivement et, en dernier recours, de faire grève, après épuisement de tous les autres moyens de résoudre un conflit et moyennant un accord préalable sur la fourniture des services essentiels pendant le mouvement.

En France, les IDE parviennent rarement à parler d’une seule voix. La grève du 8 novembre constitue-t-elle un progrès ?

L’union ne fait pas seulement la force : elle ouvre aussi des opportunités d’échange extraordinaires entre les infirmières confrontées, partout dans le monde, à des pressions et à des exigences similaires.

Comment les IDE pourraient-elles se faire encore mieux entendre des autorités ?

Le CII aide les associations nationales à négocier au nom de leurs membres. Il forme des cadres pour le secteur infirmier et collabore avec l’Organisation internationale du travail pour faire évoluer les politiques de ressources humaines et sanitaires. Ces derniers mois, le CII s’est beaucoup investi dans les travaux de la Commission de haut niveau des Nations unies sur l’emploi en santé et la croissance économique. Le rapport recommande de mettre l’accent sur l’éducation, les salaires, les conditions de travail et la pratique infirmière avancée. Investir dans les ressources humaines pour la santé, c’est aussi investir dans les femmes, dont l’autonomisation réduira les inégalités, renforcera les communautés, avec des avantages économiques à la clé. À cet égard, un changement dans l’état d’esprit politique et un leadership audacieux s’imposent.

1- La grande grève de 1988 manifestait contre un décret ouvrant le concours d’État à toute personne ayant été au chômage pendant cinq ans.

2- Objectif national de dépenses d’assurance maladie.

NATHALIE DEPOIRE

PRÉSIDENTE DE LA COORDINATION NATIONALE INFIRMIÈRE

→ 1993 : obtient son diplôme d’État infirmier à Belfort (90)

→ 2002 : prend la présidence de la Coordination nationale infirmière (CNI) de Belfort-Montbéliard, nouvellement créée

→ 2008 : accède à la présidence nationale

→ 2010 : obtient un DU en droit, expertise et soin

HOWARD CATTON

DIRECTEUR DES POLITIQUES DE SOINS INFIRMIERS ET DE SANTÉ AU CONSEIL INTERNATIONAL DES INFIRMIÈRES (CII)

→ 1988 : obtient son diplôme infirmier au Royaume-Uni

→ 2005-2015 : chef des affaires internationales au sein du Royal College of Nursing

→ Avril 2016 : rejoint le CII en tant directeur des politiques de soins infirmiers et de santé

POINTS CLÉS

→ Grève. Le 8 novembre, les principales organisations et syndicats infirmiers ont appelé à manifester ensemble autour de revendications communes : sécurisation de l’exercice, amélioration des conditions de travail (révision du plan triennal de maîtrise des dépenses de l’assurance maladie, attribution de fonds permettant la mise en place d’effectifs proportionnels aux charges de travail, suivi médical des professionnels, prévention des risques psycho?sociaux, reconnaissance de la pénibilité professionnelle), travaux concernant la pratique avancée, relance des travaux de réingénierie des formations d’Ibode, de puéricultrice et de cadre de santé, reconnaissance statutaire et indiciaire…

→ Mouvement d’unité. Une manifestation exceptionnelle dans un pays où les IDE sont peu syndiquées (environ 4 %) et où les différentes organisations peinent à s’entendre.

→ Plate-forme unitaire. Sa création, cet automne, va dans le sens d’un leadership infirmier fort, prôné par le CII. Un modèle qui permet, par exemple, à des organisations, telles que le syndicat américain National Nurses United ou l’Ordre infirmier québécois d’avoir un vrai poids politique.