L’infirmière du futur - L'Infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016

 

PROFESSION

DOSSIER

MAGALI CLAUSENER  

Si les perspectives d’emplois des infirmières sont au beau fixe, le métier va devoir s’adapter aux évolutions de la société et à la réorganisation du système de santé dans les années à venir. Enquête sur le terrain.

Les infirmières constituent la part la plus importante des professionnels de santé dans le monde avec 13 millions de personnes en exercice. En France, c’est également le cas. Au 1er janvier 2015, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) dénombrait 638 200 infirmières contre 222 150 médecins(1) : 310 758 exerçaient en établissements de santé(2) et 103 393 travaillaient en libéral (voir tableau p. 20).

Depuis vingt ans, on constate une augmentation constante des effectifs. Cette progression devrait se poursuivre dans les prochaines années. Selon le scénario tendanciel établi par la Drees en 2011 et actualisé en 2016, la hausse du nombre d’infirmières en activité se poursuivrait jusqu’en 2030, à un rythme moyen de + 1,2 % par an. De fait, entre 2011 et 2015, la croissance des effectifs a bien été effective et même plus élevée que celle projetée. Au 1er janvier 2012, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) recensait 567 564 infirmières diplômées d’État et autorisées, soit environ 70 600 professionnels en plus en trois ans.

En revanche, « la répartition des infirmières par mode d’exercice serait assez peu modifiée », observe la Drees. Environ 50 % des IDE continueraient de travailler à l’hôpital public. Les auteurs du rapport notent également que l’âge moyen des infirmières en activité resterait relativement stable, c’est-à-dire autour de 40 ans. « Enfin, les écarts entre les densités régionales d’infirmières libérales devraient se réduire fortement », commentent-ils. La densité de l’ensemble de la profession est donc en croissance : de 760 IDE pour 100 000 habitants en 2010, elle est passée à 967 en 2015 selon l’Insee. Ces projections rejoignent celles de France stratégie et de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) dans leur rapport sur les métiers en 2022. Les auteurs expliquent ainsi que « l’ensemble des professions de soins et d’aide aux personnes fragiles devrait bénéficier d’une forte dynamique de l’emploi, à l’exception des médecins dont l’évolution dépend du numerus clausus et pour lesquels tous les départs en fin de carrière ne seraient pas remplacés à l’horizon 2022 (avec la destruction d’un peu plus de 20 000 postes en dix ans) ». Et d’ajouter : « Aides à domicile, aides-soignantes et infirmières figureraient ainsi parmi les métiers qui gagneraient le plus d’emplois à l’horizon 2022, avec de l’ordre de 350 000 créations nettes en dix ans. »

Même s’il ne s’agit que de projections, les perspectives d’emplois des infirmières sont clairement à la hausse, sous réserve de politiques publiques qui tendraient à freiner la progression en instituant, par exemple, des quotas. Des prévisions qui n’empêchent pas, localement, un chômage infirmier relatif(3).

Les évolutions positives en volumes ne doivent pas masquer les changements qualitatifs qui vont concerner la profession. Face aux défis sociétaux comme le vieillissement de la population et le maintien à domicile ou l’augmentation du nombre de pathologies chroniques, et la restructuration de l’offre de santé avec la mise en œuvre des groupements hospitaliers de territoire (GHT), le virage ambulatoire et la désertification médicale, les professions paramédicales vont connaître des transformations. Tout le monde s’accorde à dire que le métier d’infirmière doit et va évoluer, mais aucune étude prospective n’a été réalisée sur le sujet. Pour autant, plusieurs pistes se dessinent.

Réorganisation autour du patient

Il est certain que le cœur du métier ne va pas fondamentalement changer. Les infirmières dispenseront toujours des soins. Aucune révolution ne va avoir lieu en la matière. En fait, les évolutions qui se profilent vont plus porter sur la façon de travailler, les compétences à mettre en œuvre et, au final, sur la place de l’infirmière dans le système de santé. « Les professionnels hospitaliers doivent prendre conscience que nous sommes dans une évolution importante du système de santé. Le virage ambulatoire est une étape, déjà franchie par d’autres pays aujourd’hui, explique le Dr Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad). En France, 37 % des dépenses de santé sont consacrées à l’hospitalisation, contre 29 % en moyenne dans les autres pays. En Allemagne, elle n’atteint même que 27 %. Ces dépenses élevées en France sont dues au poids important de l’hébergement. Il va falloir travailler différemment et organiser les choses différemment. Il n’y aura pas moins d’hospitalisations dans le futur, mais moins l’hébergement avec le développement de l’hospitalisation de jour, de la chirurgie ambulatoire, de l’hospitalisation à domicile et d’autres actions déployées à domicile. » On devrait donc passer, à terme, d’un modèle hospitalo-centré vers un modèle où l’extrahospitalier jouera un rôle de plus en plus important. C’est du moins l’analyse d’Odessa Dariel, infirmière et professeure à l’Ecole des hautes études en santé publique (lire interview p. 21), mais aussi de Claudine Gracies, chef de projet ambulatoire à la direction qualité, risques et filières de soins de Ramsay Générale de santé : « Nous passons d’une production de soins dit « “techniques” à la construction d’un parcours de soins centré sur le patient. Ce qui va impliquer pour les infirmières hospitalières de devoir travailler avec les professionnels extrahospitaliers – les professionnels libéraux et les services médico-sociaux – afin de construire le parcours adapté à chaque patient. La prise en charge devient plus complète, elle doit tenir compte du patient et de ses problématiques, ainsi que de son environnement. ». « Les pratiques hospitalières sont centrées sur la pathologie, car la porte d’entrée à l’hôpital est le diagnostic d’une maladie. Or, on s’oriente vers une approche globale des patients », insiste Élisabeth Hubert. Bien que l’on en parle depuis des années, les liens entre l’hôpital, la ville et le médico-social sont voués à se développer par nécessité. « Nous n’aurons pas le choix et il ne faudra plus raisonner uniquement par rapport à son service », observe aussi Cécile Kanitzer, conseillère paramédicale à la Fédération hospitalière de France (FHF). « Nous sommes dans des logiques de parcours et de territoire. Cela commence à prendre du sens dans la réalité », juge de son côté Ljiljana Jovic, directrice des soins-conseillère technique régionale à l’Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France.

Des compétences non techniques

La première conséquence de cette évolution du système de santé et de la « gestion de la complexité des parcours », comme le souligne Claudine Gracies, est le développement de compétences non techniques. « Les compétences à développer en priorité sont liées à la prévention, la promotion de la santé, la coordination des parcours de santé », juge Véronique Lescop, directrice de l’Ifsi de Saint-Brieuc (22). Le travail en équipe, le relationnel, la prise en charge des patients – en particulier des personnes âgées – vont aussi devenir essentiels. Ces compétences ne s’acquièrent pas forcément lors des études d’infirmière. « Le fonctionnement du secteur médico-social n’est pas toujours enseigné durant la formation », note Claudine Gra§cies. Certes, toutes les infirmières ne vont pas être appelées à faire de la coordination, même si cette dimension se développe par exemple dans les services d’oncologie, de dialyse, de chirurgie cardiaque ou bien encore dans l’hospitalisation à domicile (HAD). « Les infirmières salariées dans les établissements d’HAD sont essentiellement focalisées sur les tâches de coordination, car nous privilégions la proximité et travaillons avec les infirmières libérales », explique Élisabeth Hubert. Pour Sylvie Amzaleg, directrice des relations du travail à la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (Fehap), « il s’agit de plus en plus de travailler en équipe pluridisciplinaire ». Or, si savoir travailler en équipe peut paraître évident, « ce n’est pas automatique ! 70 % des erreurs médicales sont dues à des problèmes de communication », déclare Frédéric Lepetit, Iade, responsable du centre de simulation de Semur-en-Auxois (21) et président de l’Association bourguignonne des acteurs de simulation en santé (Abass). Il souligne à cet égard, l’intérêt de la simulation en santé, en formation initiale ou continue, consistant à observer comment une équipe hospitalière ou de Smur prend en charge un patient, communique et prend les décisions. « L’avenir est d’apprendre aux médecins et soignants à travailler ensemble, au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Cela implique une organisation efficiente, des procédures et des “boucles de communication” », explique Frédéric Lepetit.

Aux infirmières de s’ouvrir au monde extérieur et d’acquérir ces compétences par leur expérience dans différents services ou par la formation continue. Ce qui n’est peut-être pas le plus simple. « Les établissements publics ont des plans de formation, mais face aux tensions dans les services, ils n’arrivent pas à former le personnel », explique Cécile Kanitzer. Celle-ci estime que l’avenir passe par l’augmentation du temps « au lit du malade ». À condition que les infirmières s’emparent aussi de l’aspect relationnel. « Les IDE se plaignent de ne pas s’occuper assez des patients, mais dans le même temps, elles ont voulu à un moment donné avoir un rôle technique et ont délégué certaines tâches aux aides-soignantes », remarque-t-elle. Dans le même temps, le manque de cadres de santé a conduit à transférer aux infirmières certaines tâches administratives…

Dans une certaine mesure, la robotisation de la santé pourrait aussi contribuer à changer les métiers en suppléant les blouses blanches – et aussi les médecins d’ailleurs – sur certaines tâches : robots d’assistance déjà utilisés, robots coursiers au sein de l’hôpital, robots capables de réaliser une prise de sang(4)

Les pratiques avancées

Une autre piste d’évolution du métier concerne les pratiques avancées, expérimentées dans le cadre de coopération et entérinées par la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016. Les infirmières de pratique avancée pourront prendre en charge des situations complexes de soins, notamment en oncologie, gérontologie, maladies chroniques, dépendance ou santé mentale. « Mais ce n’est pas un nouveau métier, prévient Ljiljana Jovic. C’est une évolution des pratiques et des compétences à un moment donné pour répondre à certains besoins. » En outre, les pratiques avancées ne concerneront qu’une partie de la profession (lire l’interview p. 21) et il faudra du temps avant qu’elles ne s’installent véritablement dans le paysage sanitaire français.

Cependant elles peuvent ouvrir la voie à un élargissement du champ d’intervention des infirmiers y compris libéraux. « La consultation infirmière a du sens, notamment dans les déserts médicaux. À condition que les médecins acceptent que nous ayons des compétences pour le suivi des patients atteints de certaines pathologies ou, ensuite, pour les téléconsultations », déclare Marien Lovichi, infirmier libéral à Dijon (21) et vice-président de l’URPS Infirmiers Bourgogne-Franche-Comté.

De nouvelles façons d’exercer

Tous les interlocuteurs s’accordent à dire que c’est finalement les contextes de l’exercice qui vont changer en raison des réorganisations du système de santé. Déjà, les parcours des infirmières sont moins linéaires que par le passé, même si la durée moyenne d’une carrière d’une infirmière est de 30 ans dans la fonction publique hospitalière. Les passages entre le secteur public et privé ou bien encore le libéral sont plus fréquents. L’intérim peut aussi représenter une autre façon de travailler : « Désormais, les sociétés d’intérim peuvent embaucher en CDI et dans ce cadre, les salariés effectuent des missions. Ce dispositif, qui offre à la fois la sécurité du CDI et la flexibilité de l’intérim, intéresse vraiment les infirmières », observe Thibault Vautier, directeur général d’Adecco Medical.

Les infirmières doivent aussi s’intéresser à des secteurs qui paraissent moins attractifs aujourd’hui, mais qui peuvent être des viviers d’emplois. C’est le cas du médico-social et des maisons de retraite. « Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont un secteur dynamique qui développe des techniques de prise en charge des patients innovantes, remarque Thibault Vautier. La santé au travail offre aussi des perspectives. Avec la loi El Khomry, les entreprises recrutent des infirmières. » « Les infirmières sont incontournables en termes organisationnels et d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. Leur valeur ajoutée c’est d’être à l’écoute des besoins des patients et des professionnels de santé qui collaborent à la prise en charge. Leur mobilité et leur adaptabilité sont des atouts », conclut Claudine Gracies. Le métier d’infirmière a donc encore de beaux jours devant lui, à condition d’intégrer les évolutions et d’anticiper les changements.

1- Portrait des professionnels de santé, Dress, édition 2016.

2- Les établissements de santé publics comprennent les CHR, les CHU, les CH et les centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie. Parmi les structures privées, deux types d’établissements cohabitent : les établissements privés à but lucratif (ou cliniques) et les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic).

3- Lire l’article du 26/10 sur Espaceinfirmier.fr « Normandie : confrontée au chômage infirmier, la région ferme un Ifsi ».

4- Vasculogic, une entreprise nord-américaine, a développé un robot infirmier capable d’installer un cathéter et de faire des prises de sang très facilement.

SPÉCIALISATION

Le bloc, voie royale ?

→ Selon le baromètre E-volution RH d’Adecco Medical(1), 40 % des IDE interrogées souhaitent se spécialiser dans les années à venir. L’anesthésie (24 %), la santé au travail (22 %), la puériculture (8 %) et devenir cadre de santé (17 %) sont les principales spécialisations envisagées. Pour 52 % des infirmiers interrogés, il s’agit d’acquérir de nouvelles compétences. Pour 18 %, la motivation est d’obtenir une meilleure rémunération et pour 13 % plus de responsabilités.

→ La spécialisation peut en effet représenter une voie d’évolution. Il faut cependant savoir que les Ibode et les Iade sont finalement peu nombreuses. Selon des cartographies de dix régions réalisées par l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH), les Ibode représentent entre 0,5 et 1,5 % des effectifs de la fonction publique hospitalière, les Iade entre 0,6 et 1,2 % et les puéricultrices de 0,5 à 1,7 %.

→ Pour Brigitte Ludwig, présidente du syndicat Unaibode, les besoins en infirmières de bloc opératoire sont cependant importants dans le secteur privé. Thibault Vautier, directeur général d’Adecco Medical, constate aussi une forte demande d’Ibode en intérim. Le décret n° 2015-74 du 27 janvier 2015 va aussi conduire à une augmentation du nombre d’Ibode notamment par la voie de la validation des acquis de l’expérience. Néanmoins, les perspectives sont incertaines, car les GHT devraient à terme réorganiser les blocs et regrouper des plateaux techniques. Une évolution qui touchera aussi les Iade.

1- Enquête réalisée en juin 2016 auprès d’un échantillon de 324 infirmiers.