De la similitude au particularisme - L'Infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016

 

RÉGIONS

DOSSIER

En région, la démographie et les particularités des besoins de la population ainsi que du système de soins peuvent influer sur les perspectives d’emploi. Un point commun : la baisse des effectifs hospitaliers au profit de l’exercice en ville. Les évolutions du métier, elles, sont déjà visibles. Zoom sur trois régions.

ÎLE-DE-FRANCE : FORTE POPULATION INFIRMIÈRE ET INTÉRIM

L’Île-de-France se démarque des autres régions par un nombre élevé d’infirmières. Pour autant, les établissements font appel à l’intérim pour faire face à leurs besoins.

En 2014, l’Île-de-France comptait 87 633 infirmières dans les établissements publics et privés de santé, ce qui représente 23 % des effectifs totaux des hôpitaux. Plus de 90 % d’entre elles sont infirmières en soins généraux. Ce qui signifie que 9 % sont des infirmière spécialisées. Quant aux Ehpad, ils employaient environ 3 800 infirmiéres équivalents temps plein au 1er janvier 2016, pour 61 300 places d’hébergement permanent installées. Enfin, on dénombrait, en 2015, 9 376 professionnelles en libéral ou mixte, dont les deux tiers exercent en cabinet individuel.

Des besoins en hausse

La population infirmière est donc importante. Pour autant, « la région est une perpétuelle zone de tension pour répondre à la loi de l’offre et de la demande », souligne Thibault Vautier, directeur général d’Adecco Medical. « Sur Paris, nous comptons 1?200 équivalents temps plein d’intérimaires médicaux, dont 60 % d’infirmières. Et depuis environ un an et demi, l’intérim est reparti à la hausse », poursuit-il. La demande porte notamment sur les infirmières spécialisées et les infirmières de bloc opératoire. Les établissements font appel à l’intérim pour trois raisons : faire face à la pénurie de soignants, effectuer une pré-embauche, remplacer du personnel en urgence. « Les établissements publics et privés sont soumis à des pressions économiques et il faut du personnel pour faire tourner « la machine » », commente le directeur général d’Adecco Medical.

Les infirmières sont donc assurées de trouver du travail. Mais à l’avenir ? « Nous sommes prudents. Il est difficile d’identifier les besoins quantitatifs. D’autant que nous sommes dans un contexte particulier avec la mise en œuvre des groupements hospitaliers de territoire et l’élaboration du prochain plan régional de santé », explique Sébastien Firroloni, directeur du pôle ressources humaines en santé de l’Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France. De plus, il constate une baisse de la densité d’infirmières sur le territoire régional : « La densité est inférieure à la moyenne nationale alors que le nombre d’infirmières a augmenté de 20 % depuis cinq ans. » Autre spécificité de l’Île-de-France : l’âge moyen des IDE. Seulement 10 % des infirmières ont plus de 54 ans, mais les écarts sont très différents selon les métiers : 40 % des infirmières psychiatriques sont ainsi âgées de plus de 54 ans contre 7 % pour les infirmières puéricultrices. Les filières des soins généraux et des puéricultrices sont donc assez « jeunes » : plus de la moitié des IDE ont moins de 35 ans (voir infographie p. 24). En clair, ce ne sont pas les départs à la retraite qui vont susciter une vague de recrutements !

Coordination et pratiques avancées

En revanche, à l’ARS, on est un peu plus prolixe sur les changements qui se profilent en termes de métier. « Il y a énormément d’évolutions dans le même temps : le paysage du système de soins se transforme – la chirurgie ambulatoire est un bon exemple d’évolution –, l’universitarisation des formations, la mobilité des professionnels, observe Marie-Jeanne Renaut, directrice des soins – conseillère pédagogique régionale au pôle RH en santé. Les métiers de coordination émergent et vont se développer. Ce qui modifie la prise en charge des patients et l’exercice des professionnels. Ce qui pointe aussi culturellement, ce sont les pratiques avancées. L’ARS finance d’ailleurs des projets de pratiques avancées en cancérologie par exemple. Nous assistons surtout à un élargissement de la profession de l’infirmière. » Et d’évoquer également la télémédecine : « On peut très bien imaginer faire appel dans ce cadre à l’expertise infirmière », ajoute Marie-Jeanne Renaut. Concernant les infirmières spécialisées, l’ARS ne constate pas de forte augmentation dans les formations des Ibode, mais la mise en œuvre de la validation des acquis de l’expérience démarre seulement. « Le virage ambulatoire va plus transformer l’activité que conduire à une hausse du nombre d’Ibode », remarque Marie-Jeanne Renaut. Sébastien Firroloni met, lui, l’accent sur la formation, qui va permettre d’acquérir et d’approfondir des connaissances. L’ARS a particulièrement travaillé sur ce sujet pour la chirurgie ambulatoire. Elle a ainsi élaboré un guide qui fait le point sur les compétences que chaque acteur (médecin traitant, chirurgien, médecin-anesthésiste, infirmière, Ibode, Iade, Idel, etc.) doit mettre en œuvre, acquérir individuellement et collectivement. « L’objectif était d’identifier les écarts entre ce que les professionnels de santé savent faire, font et ce qu’ils devraient faire, afin de mieux les former, explique-t-il. Ce n’est pas en termes de soins, mais d’efficacité et de qualité du parcours qui sont très liées à la coordination entre les professionnels. »

M. C.

BRETAGNE : LE POTENTIEL DE L’HAD

Travail auprès des personnes âgées, soins à domicile et ambulatoire sont en plein essor en Bretagne. Ce qui bouscule le rôle des infirmières dans la chaîne de soins.

Dans une étude de septembre 2015, le Gref Bretagne estime que 29?200 infirmières exercent en Bretagne ; 24 % des salariées et 31 % des libérales y ont plus de 50 ans, soit une part des seniors un peu plus basse qu’au niveau national. « Notre pyramide des âges est plutôt équilibrée, nous ne craignons pas un départ massif en retraite », pointe Chantal Bost, responsable du pôle des professions paramédicales à l’ARS de Bretagne. Parmi les infirmières salariées, 72 % travaillent dans le milieu hospitalier et 16 % dans le médico-social. Mais « les hôpitaux embauchent beaucoup moins », souligne Patrick Surtel, président du conseil départemental de l’Ordre des infirmiers d’Ille-et-Vilaine et Côtes-d’Armor. En effet, ce secteur ne représente que 19 % des offres d’emploi émises en 2014 alors que le ratio s’élève à 30 % pour l’action médico-sociale pour les personnes âgées. « Il y a plus de postes aujourd’hui proposés dans les Ehpad car notre population est vieillissante, d’autant plus que de nombreux retraités s’installent dans notre région », analyse Chantal Bost.

Soins à domicile, gros pourvoyeur d’emplois

Dans les années à venir, la question du maintien à domicile sera de plus en plus prégnante. Encore plus en Bretagne, qui « est une terre de prédilection des soins à domicile, juge Stéphane Volleau, responsable communication de l’agence d’intérim Appel Medical. Ce secteur représente un gros potentiel d’emplois ». La région comprend 14 structures d’hospitalisation à domicile (HAD) et leur activité ne cesse d’augmenter. L’HAD de Lorient est passé de 37 patients par jour en 2007 à 132 aujourd’hui. Son équipe n’a cessé de grossir et compte, en 2016, 23 infirmières. Les soins palliatifs (28 %) et les pansements complexes (21 %) représentent le gros de l’activité.

« Une dimension relationnelle renforcée »

En Bretagne comme ailleurs, se profilent les évolutions du métier liées notamment au développement de l’ambulatoire. Après un virage un peu tardif, la Bretagne a désormais rattrapé son retard. « Gérer une hospitalisation sur une journée nécessite que les infirmières soient capables d’anticiper, d’organiser les entrées et sorties, de donner les soins curatifs appropriés, mais aussi les bonnes informations », remarque Chantal Bost. L’infirmière coordinatrice en ambulatoire est d’ailleurs un des ?nouveaux métiers identifiés par Marcelle Le Bihan, directrice de la coordination des soins au CHP Saint-Grégoire, près de Rennes (35). Elle cite aussi l’infirmière référente en récupération rapide après chirurgie orthopédique et l’infirmière de consultation d’annonce (plan cancer). Ces trois postes ont en commun « leur dimension pédagogique et relationnelle renforcée, explique la directrice. En orthopédie, au cours d’une séance d’information, l’infirmière référente va expliquer au patient les différentes étapes de son parcours de soins, pourquoi il est important de respecter les consignes prodiguées, afin qu’il se rétablisse au plus vite. Elle insistera également sur l’intérêt de suivre des séances de kinésithérapie ».

Élargissement des compétences

Philippe Le Goff, en poste depuis 1980 à la clinique du Val Josselin, près de Saint-Brieuc (22), a vu son métier évoluer. Au sein de cette clinique spécialisée en psychiatrie, il remarque que la prise en charge infirmière s’étend, au travers d’entretiens plus réguliers, d’un suivi des patients plus approfondi : « On va plus loin que la simple distribution de médicaments. C’est un travail plus intéressant, mais aussi plus chronophage, alors que nous sommes de moins en moins nombreux. On tend vers un élargissement des compétences des infirmières, du fait de la carence en médecins. » D’ailleurs, le décret sur les pratiques avancées est attendu par les professionnelles bretonnes. « L’infirmière de pratique avancée aurait alors un droit de prescription, explique Chantal Bost. Ce qui permettrait, par exemple, à une infirmière libérale avancée exerçant dans une maison de santé de travailler en collaboration avec le médecin traitant et de s’occuper du renouvellement d’ordonnance dans le cas de maladies chroniques lorsque les personnes ne présentent pas de signes nécessitant une consultation médicale approfondie. » Une évolution soutenue par l’Ordre national des infirmiers, « à condition qu’il y ait des formations spécifiques et qualifiantes mises en place, souligne Patrick Surtel. Aujourd’hui, les formations évoluent très lentement alors que les pratiques changent sans arrêt et qu’il faut s’adapter toujours plus vite ».

ÈVE CHALMANDRIER

RHÔNE-ALPES : DYNAMISME ET DISPARITÉS DE L’EMPLOI

La région Rhône-Alpes est plutôt dynamique en termes d’emplois infirmiers. Néanmoins, l’emploi hospitalier a tendance à se réduire au profit des soins à domicile…

En mai 2014, la région Rhône-Alpes comptait 61 105 infirmières en activité, soit près de 10 % de l’effectif national, d’après une enquête de l’Agence régionale de santé (ARS) de 2015(1). La densité régionale (957,04 IDE pour 100 000 habitants) était supérieure de 14 points à la densité nationale (933,17 IDE pour 100 000 habitants). Néanmoins, des disparités importantes existaient entre les départements moins dotés tels que l’Ain (678,1) ou l’Isère (786), et les plus dotés tel que le Rhône (1 136,8). Pour Pierre Ménard, responsable du pôle parcours de soins et professions de santé à l’ARS Auvergne Rhône-Alpes, « globalement, Auvergne Rhône-Alpes est un territoire à forte dynamique, un peu plus Rhône-Alpes qu’Auvergne ». Sur les dix dernières années, une forte augmentation des effectifs d’infirmiers a été constatée : + 33 % entre 2006 et 2014. Il ajoute que les départs en retraite de la génération du baby-boomoffrent des perspectives d’emploi importantes.

Départs en retraite dans le Rhône

Entre 2013 et 2015, 2 091 équivalents temps plein (ETP) d’infirmières (toutes spécialités confondues) ont été recensés comme étant susceptibles de partir à la retraite ; des départs potentiels les plus nombreux dans le Rhône. Pour remplacer ces départs, Pierre Ménard pense que « la forte augmentation des effectifs formés ces dernières années devrait suffire, sous réserve d’une stabilité des quotas actuels de formation ». Néanmoins, depuis trois ou quatre ans, « certaines infirmières ont tendance à se maintenir dans l’emploi au-delà de la durée obligatoire ». Cette observation va de pair avec une augmentation de la durée de recherche d’emploi chez les jeunes diplômés.

De son côté, Antoine Loubes, vice-président du conseil régional pôle Rhône-Alpes de l’Ordre et président du Conseil de l’Ordre des infirmiers du Rhône juge que « la problématique de l’emploi est paradoxale. D’un côté il y a des emplois non pourvus et de l’autre des infirmières qui ne trouvent pas de travail ». Pour lui, le secteur salarié est en recul, ce qui « pousse un certain nombre d’IDE à s’installer en libéral et crée aussi des difficultés, car la demande en elle-même ne change pas ».

2 700 emplois supplémentaires à domicile en 2020

Cette demande devrait évoluer dans les années à venir, d’après des projections de l’Insee(2) qui recense en effet 172 000 personnes âgées potentiellement dépendantes en 2015, en Auvergne-Rhône-Alpes (c’est-à-dire relevant des GIR 1 à 4), un chiffre qui devrait atteindre 187 000 en 2020, puis 215 000 en 2030 (+ 25 % entre 2015 et 2030) selon une hypothèse moyenne prenant en compte les progrès médicaux et sociaux. Parmi ces personnes âgées dépendantes, 55 % vivent à domicile en 2015, tandis que les 45 % restants sont hébergés dans des établissements spécialisés (Ehpad, logements-foyers, etc.). L’Insee souligne que 109 000 emplois en ETP sont consacrés aux soins à ces personnes, dont 12 900 emplois infirmiers à domicile en 2015. Selon ses estimations, en 2020, 110 000 personnes vivraient à domicile, soit 59 % des personnes en situation de dépendance (+ 4 points par rapport à 2015). « En supposant que le volume d’emplois en institution reste inchangé, le maintien à domicile des 15 000 personnes dépendantes supplémentaires nécessiterait 12 000 ETP en plus, dont 2 700 ETP d’infirmières », souligne l’Insee.

Laurence Jeunet, directrice du pôle santé de l’École santé social sud-est (ESSSE) de Lyon, confirme l’essor des soins à domicile, dans deux domaines : « Les filières gériatrique et de cancérologie. La perte d’autonomie est de plus en plus gérée à la maison et cela va jusqu’aux soins palliatifs. » Par ailleurs, les « établissements gériatriques sont d’importants pourvoyeurs d’emploi pour les infirmières, note-t-elle. Néanmoins, l’attractivité du métier est limitée et les Ehpad ont parfois du mal à recruter, tandis que le turn-over est important ». Un avis que partage Philippe Fersing, président de la conférence des directeurs de ressources humaines de la Fédération hospitalière de France (FHF) : « Un poste en Ehpad suscite moins de candidatures de la part de jeunes professionnels qu’un poste d’infirmière urgentiste ou d’infirmière Smur. De même, la psychiatrie a parfois du mal à recruter. » À l’inverse, « les services de chirurgie, toujours très demandés, recrutent de moins en moins. Quant aux services d’urgence et au Samu, les professionnels en place ne cèdent pas facilement leurs postes », souligne Laurence Jeunet. Par contre, la neurochirurgie, la chirurgie cardiaque, et la cancérologie devraient recruter. « Ce sont des disciplines très pointues qui nécessitent des investissements lourds », insiste Philippe Fersing. Les Iade et les Ibode restent également très demandés.

Quand à la chirurgie ambulatoire, son développement « ne remettra pas en cause les emplois, pense Philippe Fersing. Il y aura peut-être l’attente d’une technicité plus importante au regard de ces différents changements de prise en charge ». De son côté, Pierre Ménard estime que « dans le cadre du virage ambulatoire, l’activité de ville devrait se développer, en parallèle d’une réduction relative des emplois hospitaliers à moyen terme. Le besoin de soins en libéral devrait augmenter ».

ANNE-GAËLLE MOULUN

1 - ARS Rhône-Alpes, « État des lieux démographiques de la profession d'infirmiers en région Rhône-Alpes », janvier 2015 (chiffres issus des sources : Deos/Ds-Pro – base Adeli redressée par la Dress, mai 2014).

2 - Insee, « Des emplois à pourvoir pour accompagner le vieillissement de la population », juillet 2016 (bit.ly/2eNkHxE).

TÉMOIGNAGE

« Le médecin coordinateur s'appuie sur notre vision »

MAGALI GRAIGNIC

INFIRMIÈRE COORDINATRICE À L'HAD DE LORIENT (56)

« Au sein de l’hospitalisation à domicile (HAD), chaque infirmière gère 12 à 14 patients. On se rend chez eux au moins une fois par semaine, en apportant le matériel nécessaire pour les infirmières libérales, qui s’occupent des soins. Mon rôle est de tenir le dossier de transmission, vérifier les ordonnances, les péremptions. Je me mets en relation avec le pharmacien, le médecin traitant, l’auxiliaire de vie… Je fais le point avec le patient sur ses rendez-vous et m’assure que le protocole soit bien compris. Je reste entre 45 mn et 1 h avec lui. Cela demande une plus grande autonomie. Le médecin coordinateur s’appuie énormément sur notre vision, il reconnaît davantage notre travail d’infirmière. Il nous arrive aussi de former les Idel à certains soins, comme l’usage de la pompe à morphine. On prend en charge tout l’environnement du patient : son domicile, sa famille, etc. J’ai plus de temps pour le relationnel. »

PROPOS RECUEILLIS PAR E. C.

HOSPICES CIVILS DE LYON

5 000 IDE pour 14 hôpitaux

En Rhône-Alpes, les Hospices civils de Lyon (HCL) regroupent 14 établissements de soins et représentent donc un bassin d’emplois important. À l’heure actuelle, les HCL emploient 5 000 infirmières. Selon la direction du personnel, 29 départs en retraite sont prévus en 2017. Mais « plus globalement, ce qui caractérise les départs, ce sont davantage les demandes de disponibilité que les départs en retraite ou les départs hors HCL. Le nombre de démissions est d’ailleurs à la marge », précise la direction du personnel. Quant aux besoins en recrutement, « lorsqu’ils se font sentir, ils ne relèvent pas d’une spécialité médicale. Compte tenu des augmentations récentes des quotas d’entrée en Ifsi ces dernières années, il n’y a plus de besoins spécifiques en infirmmière en soins généraux ». La direction note néanmoins que « les jeunes IDE préfèrent les services de réanimation et le travail en 12 h ».

Par ailleurs, la demande est toujours forte en IDE spécialisées, comme les Iade et les Ibode.