BURN-OUT : VERS LA RECONNAISSANCE ? - L'Infirmière Magazine n° 376 du 01/11/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 376 du 01/11/2016

 

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CLARISSE BRIOT  

Le syndrome d’épuisement professionnel - ou burn-out - revient régulièrement (et dramatiquement) sur le devant de la scène, en particulier chez les soignants. Le repérer, le prévenir, le reconnaître : les enjeux sont multiples.

Marc Loriol « Aborder la souffrance par le burn-out serait moins stigmatisant »

En tant que sociologue, comment abordez-vous le syndrome d’épuisement professionnel, notamment chez les soignants ?

Le burn-out, tel que théorisé par Christina Maslach(1), repose sur l’idée que la relation soignante est à risque : le soignant s’occupe de personnes en besoin d’aide, avec le danger de se surinvestir, finalement de s’épuiser et, pour se protéger, de commencer à déshumaniser le malade. Le soignant est ainsi censé trouver le bon équilibre entre s’investir trop et pas assez. Je constate que cet écart est d’abord une question de normes sociales, avec des variations d’un pays à un autre, d’un service à un autre. Car le burn-out est lié au fait de ne pas pouvoir atteindre un idéal.

Cela signifie donc que les facteurs du burn-out sont d’ordre organisationnel plutôt qu’individuel ?

Les psychologues ont jusqu’à présent mis l’accent sur la capacité des soignants à trouver leurs propres limites. Mais il n’existe pas d’idéal absolu, seulement des normes sociales construites. Par ailleurs, de graves mésententes au sein d’un service peuvent être cause de souffrances. Dans une unité de chirurgie orthopédique, deux clans - infirmières des DOM-TOM et infirmières métropolitaines - se renvoyaient une image négative : les unes, fainéantes bavardes, les autres, piqueuses sans cœur. On y constatait de nombreux cas de burn-out. Un conflit sur le travail, pas mauvais en soi, est alors transformé en conflit de personnes pathogène. Autre exemple : la cadre de service qui se trouve coincée entre les impératifs de gestion fixés par l’hôpital et la défense de ce qui, aux yeux des soignants, sont les valeurs du métier.

La reconnaissance comme maladie professionnelle est-elle souhaitable ?

Oui, dans le sens où le burn-out se limite au travail, au contraire de la dépression qui touche l’ensemble de la vie et qui implique souvent la prise d’un antidépresseur, confirmant l’idée que le problème viendrait de soi. Aborder la souffrance par le burn-out plutôt que par la dépression serait donc moins stigmatisant et moins invalidant. Mais en même temps, le burn-out peut lui aussi faire porter le regard essentiellement sur l’individu, qui se donnerait à lui-même un idéal impossible à atteindre. Or, c’est aussi une question d’organisation, d’adéquation entre les moyens et les fins. À cet égard, la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle pourrait avoir pour effet de minimiser cette dimension. Par ailleurs, le burn-out est compliqué à faire entrer dans le tableau des maladies professionnelles. Les causalités sont contextuelles, non automatiques.

Quelles pistes, alors ?

Je vois deux démarches - imparfaites - pour faire évoluer les choses. Contraindre les employeurs par la norme à prendre en compte le bien-être de leurs salariés. Et celle, préférable, de les inciter à échanger et négocier autour de ce qui donne sens et fierté dans le travail, mais qui suppose de la confiance et un rapport de force égal entre employeurs et salariés. Il y a un équilibre à trouver entre ces deux démarches.

Philippe Colombat « Le décalage entre ce qui se dit et ce qui se fait est choquant »

Quels sont les enjeux d’une prise en compte de la souffrance des soignants ?

L’enjeu principal, ce sont les soignants, mais surtout les patients. Il y a une relation directe entre la qualité de vie au travail des soignants et la qualité de la prise en charge des patients. Et si j’étais directeur, je vous dirais qu’il y a aussi une corrélation avec la performance économique. Le modèle des hôpitaux magnétiques, qui repose sur un management autonomisant les professionnels, diminue la mortalité dans les services de chirurgie de 33 %.

Le rôle du management est donc fondamental ?

Dans notre référentiel sur le SEPS(2) comme dans nos formations, nous insistons sur cinq causes de souffrance : deux sont liées au type et à la charge de travail ; les trois autres - les plus importantes - à l’organisation du travail, aux conflits interpersonnels et au rôle du management.

Du point de vue des soignants, quelles sont les priorités ?

Il est essentiel de mieux prévenir. Ensuite, il faut apprendre aux collègues et aux cadres de santé à dépister les gens qui ne vont pas bien, sachant que les soignants en burn-out ne se rendent pas compte de leur état. Une fois que les gens ne vont pas bien, il faut bien-sûr les prendre en charge. Mais à ce moment-là, c’est un peu tard. Il faut donc insister sur la prévention et le repérage. Enfin, le retour du soignant doit être préparé, afin d’éviter la récidive. Il faut repartir de son projet professionnel, accompagner son retour avec des évaluations régulières et un suivi psychologique.

Quelles solutions managériales préconisez-vous pour prévenir l’épuisement ?

Le manque de reconnaissance est la première cause de souffrance. Pour favoriser cette reconnaissance, nous soutenons la démarche participative, avec la mise en place de staffs pluriprofessionnels, où tout le monde s’écoute et où aides-soignantes et infirmières peuvent s’exprimer. Au cours de ces réunions, nous identifions les besoins et essayons de construire un projet personnalisé de prise en charge. Ces staffs sont obligatoires depuis 2008, mais ne sont mis en place que dans 30 % des services. Les résistances sont très fortes. L’alibi est le manque de temps. Mais la réalité, c’est que pour les managers, écouter les infirmières une heure par semaine représente une perte de temps… Le changement passe par la formation des managers.

Ce modèle participatif est-il exportable, selon vous ?

Oui, il est universel, car simple : il s’agit de créer des espaces d’échanges, d’écouter les gens et de les responsabiliser dans une démarche projet. C’est un modèle valable pour la souffrance en entreprises, mais aussi dans les prisons, les banlieues, pour le handicap…

Y a-t-il une réelle prise de conscience autour du burn-out ?

C’est devenu une préoccupation des pouvoirs publics, et donc, des directions. Mais ce qui est très choquant, c’est le décalage entre ce qui est dit et fait. À partir du moment où les pouvoirs publics poussent en ce sens, il faut faire semblant…

1 - Une psychologue américaine spécialisée dans les domaines de l’épuisement et le stress au travail.

2 - Référentiel sur le syndrome d’épuisement professionnel des soignants en oncologie et hématologie, coordonné pour l’Afsos (Association francophone des soins oncologiques de support).

MARC LORIOL

SOCIOLOGUE DU TRAVAIL ET DE LA SANTÉ

→ Depuis 2000 : chercheur au CNRS

→ Depuis 2014 : membre du laboratoire Idhes (Institutions et dynamiques de l’histoire de l’économie et de la société), Paris 1

→ 2015 : publie avec Nathalie Leroux « Le travail passionné. L’engagement artistique, sportif ou politique » (Érès)

PHILIPPE COLOMBAT

PROFESSEUR EN HÉMATOLOGIE AU CHRU DE TOURS (37)

→ 2006-2011 : chef de l’unité de soins palliatifs (CHRU de Tours)

→ Depuis 2011 : en charge du pôle cancérologie-urologie (CHRU de Tours), récompensé en septembre 2016 par le trophée de l’innovation managériale de l’Essec pour la mise en oeuvre d’une démarche participative

→ Depuis 2012 : responsable du master 2 Management des équipes, santé et qualité de vie au travail (IAE de Tours), publie « Qualité de vie au travail et management participatif » (Éd. Lamarre)

POINTS CLÉS

→ Définition. Théorisé par le psychiatre américain Freudenberger en 1975, le burn-out a fait l’objet de nombreux travaux, dont ceux de la psychologue sociale Christina Maslach qui pointe trois dimensions dans le processus : l’épuisement émotionnel, le cynisme vis-à-vis du travail et la diminution de l’accomplissement personnel dans le travail.

→ Débat. Le cabinet Technologia, qui estime que plus de 3 millions d’actifs sont en risque élevé de burn-out en France, fait campagne pour sa reconnaissance au tableau des maladies professionnelles. Des députés ont déposé une proposition de loi en ce sens tandis qu’une mission parlementaire est en cours.

→ Législation. La loi sur le dialogue social du 17 août 2015 a inscrit la possibilité de reconnaître des pathologies psychiques (dont le burn-out) comme maladie professionnelle « hors tableau ». Le salarié doit prouver que sa pathologie est due au travail, un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) d’au moins 25 % devant lui être attribué. Le décret du 7 juin 2016 met en place des modalités spécifiques de traitement des dossiers de reconnaissance des pathologies. Jusqu’à présent, le nombre de cas aboutissant à une reconnaissance était très faible.

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