Particularités de la transfusion des allogreffes de CSH - L'Infirmière Magazine n° 375 du 01/10/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 375 du 01/10/2016

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

RICHARD TRAINEAU  

Pour prévenir l’incompatibilité ABO, source d’accidents et d’incidents transfusionnels chez le receveur de cellules souches hématopoïétiques, une politique transfusionnelle adaptée est nécessaire.

Les résultats des examens d’immunohématologiques du patient et de son donneur (ou des donneurs en cas de double greffe de sang de cordon) doivent être connus et pris en compte dans les protocoles transfusionnels dès le début du conditionnement (groupes sanguins, RAI, anticorps anti HLA, etc.). Les produits sanguins labiles (PSL) transfusés devront être compatibles avec le patient et le donneur de cellules souches hématopoïétiques (CSH).

Au cours du premier trimestre de la greffe, le patient va passer progressivement de ses groupes sanguins propres à ceux de son donneur si les groupes sont différents. Pendant la première année, le greffé peut notamment présenter dans le système ABO, des doubles, voire des triples populations, constituées d’érythrocytes ayant les groupes du donneur, du receveur et des produits transfusés, ce qui peut poser des difficultés d’interprétation lors du contrôle pré-transfusionnel ultime au lit du malade ou d’examen de groupage sanguin.

Du fait de la greffe et des éventuels traitements antirejet ou antiréaction du greffon contre l’hôte, le patient est en profond déficit immunitaire pour plusieurs mois, voire plusieurs années. Cela rend très rare l’apparition d’une immunisation « de novo » anti érythrocytes (RAI), mais impose la transfusion de PSL irradiés (lire p. 44).

Les alloanticorps du patient préexistant à la greffe vont progressivement disparaître : anticorps du système ABO, anticorps anti-érythrocytes « irréguliers » (RAI positive), anti HLA… L’immunité du donneur va remplacer progressivement celle du patient : attention aux RAI positives du donneur.

Cartes de groupes sanguins et protocoles transfusionnels

Avant le début du conditionnement, les consignes et protocoles transfusionnels doivent être mis à jour en tenant compte des résultats du donneur (groupes et RAI).

→ À JO de la greffe, une carte dite de consigne transfusionnelle est éditée par le laboratoire immuno-hématologique du site de délivrance des PSL. Cette carte de consigne doit être remise au patient à sa sortie en lui expliquant son importance.

Les cartes de groupe antérieures à la greffe doivent être détruites par le service clinique et le patient doit être informé de détruire celles en sa possession.

→ La carte de consigne transfusionnelle peut être révisée un an après la greffe si aucune transfusion de globules rouges n’a eu lieu dans les trois mois précédents ; cette mise à jour sera effectuée à la vue des résultats d’un nouveau prélèvement du patient : chimérisme 100 % donneur (prise « totale » de la greffe), prise partielle ou rejet.

Transfusion dans le système ABO

Entre 40 et 50 % des greffes de CSH allogéniques ne sont pas réalisées en situation ABO identique entre le donneur et le receveur : 20 à 25 % le sont en situation d’incompatibilité majeure, 20 à 25 % d’incompatibilité mineure et 5 % d’incompatibilité bidirectionnelle.

Dans le système ABO, on doit transfuser des PSL compatibles avec le receveur et le donneuR. Les concentrés de globules rouges (CGR) devront être antigéniquement compatibles avec le donneur et le receveur, et ne devront donc pas apporter d’antigènes A ou B absents chez l’un ou chez l’autre. Les plasmas thérapeutiques devront, eux, être sérologiquement compatibles avec le donneur et le receveur et ne devront donc pas apporter d’anticorps du système ABO susceptibles de réagir avec les antigènes de l’un ou de l’autre.

→ Pour les concentrés de plaquettes (CP), la prise en charge transfusionnelle des patients recevant une allogreffe de CSH est plus complexe. Celle-ci est indiquée sur la carte de consigne transfusionnelle et est fonction des différents types d’incompatibilité ABO entre le donneur et le receveur, et de la disponibilité des produits plaquettaires.

Transfusion de CGR

→ Dans le système Rhésus Kell : en absence d’allo-anticorps chez le receveur :

– respecter si possible en priorité les antigènes absents chez le donneur et chez le receveur ;

– en cas de difficulté ou impossibilité, respecter en priorité le phénotype du donneur.

→ Dans les autres systèmes : en l’absence d’alloimmunisation chez le donneur et le receveur, on ne tient pas compte des autres systèmes antigéniques.

RAI positive

→ Si l’anticorps est présent chez le receveur et l’antigène cible présent sur les hématies du donneur de CSH, on respecte cet anticorps, pendant la période post-greffe, jusqu’à la mise en évidence, dans le sang périphérique du receveur, d’hématies originaires du greffon.

→ Si l’anticorps est présent chez le receveur et l’antigène cible absent sur les hématies du donneur de CSH, on respecte cet anticorps durant les premiers mois de la greffe ; on peut le négliger à distance, lorsque le chimérisme établi correspond à 100 % des cellules du donneur et que l’anticorps a disparu.

• Si l’anticorps est présent chez le donneur de CSH, on doit toujours le respecter et ne transfuser, dès le début du conditionnement, que des CGR ne présentant pas l’antigène cible.

Prévention de l’immunisation anti-RH1

Elle est indiquée en cas de transfusion de concentrés de plaquettes RH1 à une receveuse RH-1 ayant un avenir obstétrica, mais est inutile du début du conditionnement à 1 an post-greffe en raison de l’immunosuppression.

Aucune prophylaxie n’est nécessaire si le donneur est RH1 et chez les patients de sexe masculin.

Irradiation des PSL

Les CGR, CP et concentrés de granulocytes doivent être irradiés, afin de prévenir la GVH post-transfusionnelle. La transfusion de PSL irradiés doit débuter au plus tard au début du conditionnement du patient pour une durée minimum d’un an où elle pourra être reconsidérée mais le plus souvent et notamment en cas de poursuite des traitements immunosuppresseurs, cette indication sera maintenue à vie. Selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) en 2015, « l’indication de la transformation “irradiation” est notifiée par le prescripteur à chaque prescription. Lors de la première prescription, le motif précis de l’indication est porté à la connaissance de la structure de délivrance pour qu’elle puisse inscrire, dans sa base de données, le protocole transfusionnel. Le patient en est informé et reçoit un document mentionnant cette indication et sa durée si elle est programmée. » Ces produits ne contenant pas de lymphocytes T viables, l’irradiation des plasmas est inutile. Certains CP sont soumis à une technique d’atténuation d’agents pathogènes, cette technique fait intervenir un psoralène et une illumination par la lumière ultraviolette (UVA). Cette transformation permet d’inactiver les lymphocytes T résiduels et est équivalente à une irradiation ionisante.

Indication CMV négatif

Aucune étude ne montre une supériorité de l’adjonction de la qualification CMV négatif sur la déleucocytation des PSL telle qu’elle est pratiquée en France. Selon la HAS, « il n’y a pas lieu de prescrire la qualification CMV négatif pour les CP et les CGR ».

Seuils transfusionnels

→ CGR. Les transfusions de concentrés érythrocytaires sont prescrites à partir d’un taux de 7 à 8 g/dl d’hémoglobine. Cependant, en cas de mauvaise tolérance clinique, notamment en présence d’un contexte cardio-pulmonaire à risque, le seuil peut être augmenté jusqu’à 10 g/dl. Chez les patients réfractaires aux transfusions de plaquettes qui ont une absence totale de rendement transfusionnel, le taux d’hémoglobine doit être maintenu au-dessus de 9 à 10 g/dl

→ CP. Le seuil des transfusions de plaquettes peut être Þxé à 10 000/mm3, mais en présence de signes hémorragiques, d’infection, de Þèvre, d’hypertension artérielle mal contrôlée, de GVH ou de maladie veino-occlusive, le seuil doit être remonté à 20 000/mm3. Il sera augmenté à 50 000/mm3 pour la pose d’un cathéter central, pour la réalisation d’un examen invasif (Þbroscopie avec biopsie), et en cas de cystite hémorragique ou de prescription d’héparine à dose hypocoagulante.

LEXIQUE

→ GVH (Graft versus Host) : la réaction du greffon contre l’hôte (lire p. 51).

→ PSL (produits sanguins labiles) : CGR, CP, concentrés de granulocytes, plasmas produits par l’Etablissement français du sang.

→ CGR : concentrés de globules rouges.

→ CP : concentrés de plaquettes (MCP et CPA).

→ MCP (mélange de concentrés plaquettaires) : pool de plaquettes provenant de plusieurs dons de sang.

→ CPA (concentré de plaquettes d’aphérèse) : Concentré de plaquettes provenant d’un seul donneur prélevé sur « machine ».

→ CSH (cellules souches hémato-poïétiques) : cellules ayant une capacité d’autorenouvellement à l’origine de toutes les lignées de cellules sanguines.