Gare aux contresens - L'Infirmière Magazine n° 375 du 01/10/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 375 du 01/10/2016

 

SANTÉ PUBLIQUE

DOSSIER

Aurélie Vion  

Quand elles ne sont pas sources d’erreurs, les campagnes de prévention pour le grand public peinent à toucher la population sourde. Il est donc nécessaire d’adapter tant le message que le visuel.

Fumer nuit gravement à la santé. » Le message inscrit sur les paquets de cigarettes ne semble souffrir d’aucune ambiguïté. Et pourtant… Certaines personnes sourdes ont pensé que fumer la nuit n’était pas bon pour la santé. Sous-entendu : le jour, pas de problème ! Un exemple parmi d’autres qui illustre tout le chemin qu’il reste à parcourir en termes de prévention auprès de la population sourde. Parce que certains sourds de naissance ont des difficultés de compréhension de l’écrit, parce qu’ils ne saisissent pas les subtilités de la langue française et les éventuels jeux de mots, parce qu’ils ont accès à une quantité inférieure d’informations dans leur langue (quand celle-ci n’est pas tout simplement erronée, ce qui est fréquent sur Internet)… Autant de raisons qui expliquent ce type de malentendu qui, si les conséquences n’étaient pas aussi dramatiques, pourraient presque paraître grotesques.

« Il y a un énorme travail à mener dans tout le champ de la santé publique. Les campagnes de prévention ne prennent pas en compte les représentations visuelles des sourds. Elles s’appuient sur des approches d’entendants. Il faut les retravailler avec des codes couleurs spécifiques, adapter les messages… », confirme Cécile Curtaz, coordinatrice des programmes d’éducation à la santé en langue des signes (LSF) au Groupement des hôpitaux de l’Institut catholique de Lille (GHICL). Au sein du réseau Sourds et santé du Nord-Pas-de-Calais, elle est chargée de monter des projets concernant la prévention et la promotion de la santé spécifiquement auprès des sourds. Pour ce faire, elle s’appuie sur l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire du réseau, composée d’un médecin, de travailleurs sociaux, d’interprètes, de psychologues et surtout d’intermédiateurs sourds. Un élément essentiel, car l’éducation par les pairs est ce qui fonctionne le mieux. « Pour qu’une information soit entendue et bien assimilée par les sourds, il faut qu’elle soit dite en LSF, c’est la meilleure manière pour qu’ils s’approprient le contenu », estime le Dr Benoît Drion, médecin coordonnateur du réseau. C’est ainsi que la dizaine de conférences organisées chaque année sont animées par un intermédiateur sourd préalablement formé à la thématique. Les professionnels de santé sont, eux, présents pour appuyer l’intervention et répondre aux questions via un interprète.

Du chant-signes

Le réseau intervient aussi régulièrement au sein des établissements accueillant de jeunes sourds. « Nous venons de finaliser un DVD sur l’éducation affective et sexuelle destiné aux jeunes sourds. C’est une thématique sur laquelle nous intervenons souvent, notamment dans les établissements scolaires. Nous y expliquons les différences entre les hommes et les femmes, les attributs sexuels, les cycles menstruels, les IST… Le programme s’inscrit sur une année à raison d’une séance par mois. L’explication du cycle menstruel par exemple peut prendre deux heures », précise Cécile Curtaz. Toujours sur cette même thématique, le réseau travaille actuellement avec un foyer accueillant des sourds non-voyants. Il faut créer de nouveaux outils qui ne soient pas visuels mais en relief grâce à des imprimantes 3D. Un vrai défi !

La prévention passe aussi par la réalisation d’affiches, de spots et de vidéos adaptés en LSF, notamment sur l’alimentation, la digestion, la grossesse ou le diabète, mis en ligne sur Internet. Ou encore par des actions ponctuelles comme des ateliers culinaires animés par des cuisiniers professionnels sourds et une diététicienne du GHICL. L’équipe a aussi recours au chant-signes : « Pour Mars bleu, nous avons créé une flash song en LSF pour promouvoir le dépistage du cancer colorectal », explique Cécile Curtaz.

Si les façons de diffuser les messages peuvent être très variées, les subventions sont quant à elles plus rares. La coordinatrice va aussi bien frapper à la porte d’instances privées que publiques, comme l’ARS, la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, ou l’Inpes avec lequel elle collabore régulièrement pour faire avancer la cause des sourds(1).

1- Sur le site de l’Inpes, voir notamment le guide « Informer les personnes sourdes ou malentendantes. Partage d’expériences », décembre 2012.