ENGAGEMENT OU PROFESSIONNALISATION ? - L'Infirmière Magazine n° 375 du 01/10/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 375 du 01/10/2016

 

TUTEUR DE STAGE

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À LA UNE

CAROLINE COQ-CHODORGE  

Sept ans après la réforme de la formation des études en soins infirmiers, celle des tuteurs est repensée. Mais l’encadrement des stagiaires restera, dans la plupart des cas, un engagement de la part des IDE, non rémunéré mais professionnellement valorisant.

La formation que devront à l’avenir recevoir les tuteurs de stages des étudiants paramédicaux prend forme. Le 29 juillet est parue une circulaire de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) qui prévoit d’ « optimiser » leurs compétences(1). « Un pas vers la généralisation d’un enseignement clinique de qualité », s’est félicitée la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). « L’essentiel de notre enseignement clinique se déroule durant nos stages, pointe Alexandre Picard, vice-président de la Fnesi. Or, nous constatons une grande hétérogénéité dans la qualité de l’encadrement : certains établissements n’ont aucune réflexion, pas toujours de tuteurs ; dans d’autres, il y a des tuteurs, mais ils ne sont pas formés. Heureusement, ailleurs encore, les professionnels sont bien formés, même s’ils n’ont pas beaucoup de temps à nous consacrer. »

L’encadrement des étudiants infirmiers par des tuteurs, en plus du maître de stage et de l’infirmier de terrain référent, est obligatoire depuis 2009. Mais leur formation s’avère nécessaire : « Avec la réforme de 2009, la vision de la formation des étudiants a beaucoup changé, explique Isabelle Bayle, la directrice de l’Ifsi de Saverne (67). On ne répète plus les actes pour les acquérir. On a adopté une approche par compétences. L’étudiant doit donner du sens au geste qu’il fait, analyser ses actes. Il pourra ainsi les répéter dans un autre contexte. C’est indispen?sable, car les étudiants et les jeunes professionnels changent souvent d’établissements et de services. » De nombreux ifsi proposent donc des formations à destination des tuteurs, souvent de 4 jours.

Tous tuteurs ?

Sept ans après la réforme, l’élaboration d’un cahier des charges de la formation des tuteurs s’est imposée. Si sa rédaction a été consensuelle (voir encadré), la question des moyens a divisé le groupe de travail. « Nous réclamions 20 à 25 jours de formation pour les tuteurs, nous en avons obtenu seulement 4 », regrette Marielle Boissart, vice-présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec), qui représentait les Ifsi. Quatre jours, c’était déjà trop pour la Fédération hospitalière de France (FHF) : « Un maximum d’infirmières doit être formé. Et ce projet ambitieux doit être supportable pour les établissements dans un contexte budgétaire contraint », argumentait-elle auprès de la DGOS en janvier. Et de ne proposer une formation que de trois jours seulement : « Je suis opposée à la professionnalisation du ?tutorat à partir du moment où la transmission des savoirs est inscrite dans les référentiels d’activités des professionnels », se justifie Cécile Kanitzer, la conseillère paramédicale de la FHF. Autrement dit, le tutorat doit être une mission largement partagée par les soignants, qui restent au lit des malades.

Former pour recruter

Ce n’est pas un hasard si l’Assistance publique - Hôpitaux de Marseille a abandonné début juillet, sous la pression d’un sévère contrat de retour à l’équilibre financier, son programme de tutorat développé depuis 2012. Vingt postes d’IDE étaient alors affectés exclusivement au suivi de milliers d’étudiants. Cette expérience a été présentée au Salon infirmier, en mai dernier, par les cadres qui l’ont pilotée. Étudiants et infirmiers encadrants se déclaraient alors très satisfaits par le dispositif. « Nous étions contactés par le tuteur avant chaque stage, confirme Marion, en 3e année à Marseille. Il consultait nos objectifs dans notre portfolio. Il nous demandait de remplir un questionnaire sur les prérequis utiles au stage, et nous le corrigions ensemble. Il nous recevait régulièrement et organisait des groupes d’analyse de pratique très bénéfiques. Et bien sûr, il était présent lors de notre évaluation. Comment serons-nous accueillis à l’avenir ? », s’interroge l’étudiante. L’institut Gustave Roussy, situé à Créteil (94), a fait un choix différent, mais tout aussi ambitieux. Le tutorat y est assuré, dans chaque service, par une IDE qui est en charge de deux missions : la coordination du parcours de soins du patient et le tutorat des stagiaires et des nouveaux arrivants. « Nous avons à cœur de bien accueillir les étudiants et de bien les former, dans l’idée de les recruter ensuite, explique la directrice des soins, Anne Montaron. Pour nous, c’est une politique d’attractivité. » Quant aux infirmières en charge de cette mission, « ce sont des expertes, au profil de clinicienne, et qui ont un goût pour la pédagogie. Elles deviennent des références dans l’analyse des pratiques, le raisonnement clinique ».

Engagement

La majorité des établissements n’ont pas les moyens de consacrer des postes au tutorat. Mais ils peuvent aussi faire preuve d’initiative, comme le centre hospitalier spécialisé Théophile-Roussel, situé à Montesson (78). L’établissement a développé son propre programme de formation des tuteurs, d’une durée de huit jours. Comme à Marseille ou à Créteil, « les tuteurs accueillent les étudiants, les font travailler sur des situations emblématiques avant leur arrivée dans l’unité, conduisent des entretiens avec l’étudiant, des séances d’analyse de pratique », énumère Pascale Royer, cadre supérieure de santé chargée de la formation continue. Et c’est un engagement de leur part, car « le tuteur n’a pas d’allègement de sa charge de travail d’infirmier. Nous n’avons hélas pas les moyens de valoriser financièrement cette mission. Si l’IDE n’arrive pas à dégager du temps sur sa journée de travail, elle peut déclarer des heures supplémentaires et les récupérer. Nous sommes cependant plus attentifs aux demandes de formation de ces professionnelles très impliquées ». « Quand on sort de la formation ?dispensée par l’Ifsi, on a de bonnes idées, puis on se confronte à la réalité…, témoigne Peggy Valle, infirmière tutrice au sein du centre hospitalier Asselin-Hédelin d’Yvetot (76). Je finis parfois plus tard mes journées, je ramène mon travail de tuteur à la maison. Il m’arrive de participer à des réunions sur mon temps de repos. Je récupère parfois ce temps, mais ce n’est pas toujours possible. En revanche, la satisfaction professionnelle est là : au cours des analyses de pratique ou des entretiens pédagogiques, j’apprends autant que l’étudiant. Et il y a une reconnaissance de l’encadrement : j’ai pu faire un diplôme universitaire et ma cadre et mes collèges me poussent à faire l’école des cadres. »

Ces bonnes pratiques vont-elles se diffuser dans tous les établissements ? « L’instruction n’est pas contraignante, mais va accélérer les choses, positive Isabelle Bayle. Des cadres nous contactent, car ils espèrent en faire un levier vis-à-vis de leur direction pour faire avancer leur projet. Les Ifsi ont un gros travail pour les accompagner. »

1 - Instruction n° DGOS/RH4/ DGCS/4B/2016/250 du 29 juillet 2016 relative aux orientations en matière de développement des compétences des personnels des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 89-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

CAHIER DES CHARGES

Quatre compétences requises

Il n’est pas encore paru, mais nous nous sommes procurés le cahier des charges qui a été approuvé par le Haut Conseil des professions paramédicales (HCPP).

Il prévoit que chaque étudiant soit « placé sous la responsabilité d’un maître de stage ou de l’établissement d’accueil, d’un tuteur de stage et d’un professionnel de proximité au quotidien ».

Le maître de stage, souvent un cadre de santé, doit s’assurer que le tuteur ales compétences requises : « compétences sociales et relationnelles », notamment pour « créer une relation pédagogique avec l’étudiant » ; des « compétences pédagogiques » ; des « compétences réflexives », en particulier grâce à l’analyse de pratique ; des « compétences organisationnelles » enfin, pour « collaborer avec les autres professionnels et les formateurs des centres de formation ».