Dans les arcanes du système nerveux - L'Infirmière Magazine n° 374 du 01/09/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 374 du 01/09/2016

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

Pascale Wanquet-Thibault*   Constance Flamand-Roze**  

Au-delà de l’imagerie cérébrale, qui a permis d’avoir une meilleure connaissance de certaines pathologies, les neurosciences explorent aujourd’hui d’autres champs, comme la psychologie sociale, particulièrement utile dans la relation avec le patient.

Les neurosciences… Un mot très à la mode ! Chaque semaine, une nouvelle étude est publiée en leur nom dans des revues scientifiques de haut niveau. Cet engouement est mérité : le but des neurosciences est de comprendre le système nerveux afin de soigner les maladies. Et le système nerveux, ce n’est pas que le cerveau : c’est aussi la moelle épinière, les nerfs, les organes des sens… Tout part du cerveau ! Vous avez mal au pied→? C’est parce que le cerveau lui envoie un message de douleur ! Vous sentez l’odeur de la lavande ? C’est grâce à l’aire olfactive de votre cortex ! Les neuro-scientifiques consacrent leur temps et leur énergie à comprendre les mécanismes complexes de notre cerveau. Les domaines d’application sont larges : ils vont des maladies psychiatriques à la douleur chronique, du vieillissement à la neurorobotique et l’intelligence artificielle, des mécanismes d’apprentissage aux pathologies neurologiques comme les tics, les accidents vasculaires cérébraux, la maladie de Parkinson… Les neurosciences sont certes une branche de la médecine et de la biologie, mais la psychologie, l’informatique (grâce au développement des nouvelles techniques d’imagerie par exemple) et la philosophie participent largement à la façon d’appréhender le cerveau.

Des révélations de l’imagerie…

Le principe des études neuroscientifiques est simple : il s’agit de chercher à savoir comment le système nerveux agit et réagit dans telle ou telle situation, face à tel ou tel stimuli. Concrètement, des chercheurs s’interrogent : « Où se situent précisément les aires du langage dans le cerveau, et quelles seront les conséquences d’une lésion ? », par exemple. Ou bien « Comment un enfant va-t-il réagir à tel ou tel type d’apprentissage de la lecture et celui-ci est-il significativement plus efficace que les autres ? ». Ou encore « Où sont stockés les souvenirs agréables dans le cerveau ? Est-ce au même endroit que les souvenirs désagréables ? », « Comment fonctionnent les zones de plaisir et de souffrance ? », « Quel est le rôle de nos émotions dans le processus de décision ? ».

Pour trouver des éléments de réponse, l’imagerie cérébrale est une aide précieuse : elle a permis d’obtenir la création d’un atlas neurofonctionnel du cerveau, de comprendre les fonctionnements neuro-psychologiques et d’avoir une meilleure connaissance des pathologies neuronales et de leurs mécanismes. …

à la psychologie sociale

Mais l’imagerie cérébrale n’est pas le seul outil des neurosciences : le plus important d’entre eux est l’humain. Les neuroscientifiques interrogent, regardent, observent, et déduisent ! Leur objectif : faire le lien entre la connaissance des mécanismes du système nerveux et la richesse des phénomènes cognitifs. Il ne s’agit donc plus uniquement de comprendre comment fonctionne le cerveau dans une approche très réductrice, mais d’un pont entre l’exploration des mécanismes cérébraux et la richesse d’autres champs scientifiques comme la linguistique, l’anthropologie, la psychologie, la sociologie, la psychiatrie, ou encore la psychologie sociale.

Cette dernière discipline nous intéresse plus particulièrement. Il s’agit de l’étude du retentissement sur les pensées, les émotions, les comportements individuels, de l’influence de la présence (réelle ou imaginaire), du comportement des autres individus. Cette branche de la psychologie s’appuie sur des travaux de recherche et des études menées scientifiquement.

Comme le propose le psychologue Gordon Allport(1) en 1954, « la psychologie sociale consiste à essayer de comprendre et d’expliquer comment les pensées, sentiments et comportements des individus, sont influencés par la présence imaginaire, implicite ou explicite des autres ».

Ce domaine de la psychologie intéresse chacun, mais tout particulièrement les professionnels du soin pour qui il est important de comprendre et identifier l’impact de leur présence, de leurs comportements, sur le fonctionnement de la personne soignée. Ceci passe bien entendu par toutes les formes de communication, que chacun adapte et utilise en fonction d’une situation donnée.

La communication : au-delà des mots

La communication fait partie des champs communs entre la pratique des soins infirmiers et les neurosciences : comment communiquons-nous ? Comment optimiser la relation patient/soigné ? La communication au sein d’une équipe peut-elle modifier la qualité des soins ? Nous savons bien que ce n’est pas uniquement par le langage articulé, mais quelle est la part de la communication non verbale ? Comment le cerveau fonctionne-t-il dans une situation de communication complexe, quand par exemple nous ne parlons pas la même langue que notre interlocuteur ? Quelles sont ces capacités d’apprentissage, de ré-apprentissage, d’adaptation ? Comment le cerveau se réorganise-t-il en cas de lésion dans la zone du langage ? Peut-on en créer une autre ? Quel impact les mots utilisés ou entendus peuvent-il avoir sur notre comportement ? Multiples questionnements !

Une anecdote de situation de communication difficile mérite ici d’être racontée : le romancier Daniel Pennac, avant d’être l’écrivain célèbre que nous connaissons, était professeur de français dans un lycée parisien. Un jour, il est appelé par une de ses collègues qui se trouve dans une situation difficile : un élève du collège est en pleine crise dans sa classe : il jette les chaises contre les murs et personne ne peut l’apaiser. Daniel Pennac entre alors dans la classe, se place près du jeune garçon, prend à son tour une chaise et la lance contre le mur, sous le regard effaré des autres élèves et de leur professeur. Le jeune s’arrête net, tenant une chaise au-dessus de sa tête et lui demande : « Mais qu’est-ce que vous faites ???? » Et Pennac, de répondre : « Tu vois, je fais comme toi : je communique. » Le jeune garçon laisse alors tomber la chaise au sol et s’effondre en larmes : le dialogue est alors rétabli et tout rentrera dans l’ordre. En agissant ainsi, le professeur n’a pas utilisé de mots, mais le langage corporel qui l’a rapproché de l’adolescent : ils parlaient le même « langage ».

Comme cette histoire nous le prouve, la communication, c’est évidemment bien plus que les mots que nous utilisons.

La règle des 3 V

D’après le psychologue Albert Mehrabian, les mots n’ont pas l’importance que l’on voudrait bien leur donner. Il a décrit la règle des 3V (communication verbale, visuelle, non verbale), selon laquelle ils ne correspondraient qu’à 7 % du message que l’on souhaite faire passer (voir schéma ci-dessous).

Chacune de ces trois parties a son rôle à jouer.

→ Les mots. Quand nous communiquons avec des enfants, par exemple, nous n’utilisons pas le même vocabulaire qu’avec des adultes : nous adaptons notre langage à notre interlocuteur. De la même manière, nous choisissons certains mots plutôt que d’autres en fonction de notre place dans la relation à l’autre : si nous sommes élèves, formateur, en demande de renseignement ou bien en position de force. Cette adaptation est essentielle au lien. Des études plus ou moins récentes ont démontré l’impact que les mots pouvaient avoir sur nos souvenirs, et même sur notre vitesse de déplacement ! Il y a 20 ans, une équipe de chercheurs de l’université de New York(2) a demandé à deux groupes d’étudiants, qui ne connaissaient pas le but de l’étude, de fabriquer des phrases à l’aide de mots. Le premier groupe avait à sa disposition des mots neutres, tandis que le second travaillait avec des mots ayant un rapport avec le vieillissement (comme solitaire, gris, courtois, retraité…). Les chercheurs ont ensuite chronométré le temps que mettaient les étudiants à rejoindre la sortie de la salle, et ont trouvé que celui du groupe « vieillissement » était significativement plus long que celui du groupe « mots neutres ». Des résultats identiques ont été obtenus à plusieurs reprises. Les mots ont donc induit le comportement ! Les étudiants, en ayant travaillé sur des notions de vieillesse, ont spontanément adapté leur comportement moteur de manière non consciente. Toutefois, en 2012, une autre équipe a à nouveau tenté l’expérience(3), et découvert que, si l’expérimentateur est incité à croire que les participants du groupe « vieillissement » seront plus lents, alors seulement les résultats seront congruents. Cette nouvelle donnée pose donc la question, comme le dit le titre de l’étude, de savoir quel est l’esprit concerné par l’amorçage comportemental ? Celui de l’examinateur ou celui de l’examiné ?

Les mots peuvent également modifier nos souvenirs : dans une des ses nombreuses études, Élisabeth Loftus(4) a proposé à des étudiants de regarder un film montrant un accident de voiture. Les étudiants sont séparés en deux groupes et doivent raconter ce qu’ils ont vu, en commençant leur récit par « quand les deux voitures se sont percutées » pour le premier groupe, et par « quand les deux voitures se sont touchées » pour le second. Par la suite, il a été demandé aux deux groupes si du verre avait été brisé dans cet accident. La plupart des étudiants du groupe « percutées » disaient, à tort, que oui. Les autres ne se trompaient pas. Cette expérience montre que l’usage de certains mots peut modifier nos souvenirs visuels.

La communication visuelle et la communication gestuelle : elles représenteraient, toujours d’après Mehrabian, 93 % de la communication au sein d’un message. Le langage non-verbal peut être :

– kinésique quand il concerne les mouvements et les positions du corps ;

– haptique alors qu’il englobe le toucher et les phénomènes kinesthésiques, la perception du corps dans l’environnement ;

– proxémique quand il concerne l’espace, la distance entre deux individus ;

– lié à la tenue vestimentaire, semi-vestimentaire (téléphone portable), au maquillage, au tatouage.

En effet, lorsque les mots ne peuvent pas être utilisés, comme chez les patients aphasiques ou bien de langue étrangère, le langage gestuel et les mimiques aident à se comprendre. On incite d’ailleurs les patients privés de langage à utiliser ces différents canaux afin de ne pas être d’avantage isolés. Les expressions faciales sont le miroir de notre état d’esprit lors d’une interaction : si nous sourions, notre interlocuteur, avant même que nous n’ayons prononcé un mot, saura a priori que nous sommes bienveillant à son égard. À l’inverse, un élève face à un professeur avec les sourcils froncés et les mains sur les hanches aura probablement, et à juste titre, des raisons de s’inquiéter…

Le ton de la voix que nous choisissons d’employer a les mêmes fonctions et donne des indications essentielles sur notre état d’esprit, bien au-delà du contenu du message. Une même demande exprimée avec une voix douce ou une voix énervée, n’aura pas le même impact sur l’interlocuteur. D’ailleurs, de nombreuses confusions ont eu lieu lors d’envoi de textos, dans lesquels seuls les mots étaient utilisés pour transmettre le message. Le contenu, uniquement écrit, était compris, mais pas toujours l’intention (humoristique, sérieuse, amicale….). Les émoticônes ont alors pris la place du langage corporel afin de dissoudre tout malentendu !

Parfois, les questions posées par les neuroscientifiques ne semblent pas avoir d’implication directe sur le traitement d’une pathologie précise, bien entendu. Et pourtant, ce sont ces travaux, ces questionnements permanents qui vont permettre petit à petit de nous familiariser avec le cerveau, la machine la plus complexe qui soit et dont il nous reste encore tant à découvrir. Finalement, mieux connaître notre cerveau et son fonctionnement, c’est mieux se connaître soi-même, ce qui est le premier pas vers une meilleure prise en charge.

1- Allport G.W. (1954). « The historical background of modern social psychology ». In G. Lindzey & E. Aronson (Eds). The Handbook of Social Psychology. Reading, Addison-Wesley.

2- Bargh J.A. et al. « Automaticity of social behavior : direct effect of trait construct and stereotype activation on action ». Journal of Personnality and Social Psychology. 1996 71(2):230-44.

3- Doyen S. et al. « Behavioral Priming: It’s all in the mind, but whose mind ? ». PLoS One. 2012 7(1): e29081.

4- Loftus E., Palmer J.C. « Reconstruction of automobile destruction : An example of the interaction between language and memory ». Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior. 1974 13(5):585-589.

HISTOIRE

→ Il y a 2000 ans Hérophile de Chalcédoine fonde l’anatomie humaine. Il décrit l’architecture du cerveau et des nerfs crâniens.

→ 1808 Naissance de la phrénologie avec la publication des recherches de Gall : une localisation cérébrale = une fonction.

→ 1861 Paul Broca découvre l’aire du langage articulé grâce au premier patient aphasique dont le cerveau a pu être étudié post-mortem.

→ 1909 Classification anatomique et cytoarchitectonique des aires cérébrales par Brodmann.

→ 1968 Création de sociétés de neurosciences aux États-Unis, puis en Europe (1978) et en France (1988).

→ Depuis les années 80 Synthèse entre les neurosciences, l’éthologie, la psychologie cognitive, la neuropsychologie, et l’imagerie cérébrale.