FRAGMENTS DE MÉMOIRE - L'Infirmière Magazine n° 373 du 01/07/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 373 du 01/07/2016

 

PSYCHIATRIE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

Nadia Deghache  

Certains symptômes psychiatriques peuvent masquer des troubles cognitifs plus graves, et être la cause d’erreur ou de retard dans le diagnostic. Au CH Le Vinatier, la consultation mémoire sert à mieux évaluer et dépister les pathologies neurodégénératives.

Les maladies neurodégénératives regroupent un nombre important d’affections qui altèrent les structures du cerveau. Si les plus connues sont les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, d’autres pathologies apparentées existent comme la maladie à corps de Lewy, la démence fronto-temporale et les démences vasculaires. La plupart d’entre elles peuvent débuter par des symptômes psychiatriques non spécifiques. Dans certains cas, ces symptômes masquent ou bien précèdent les troubles cognitifs, conduisant alors à des erreurs ou des retards diagnostiques. Face à la complexité de l’évaluation de ces troubles chez les patients présentant des troubles psychiatriques, le CH Le Vinatier, à Bron (69), a ouvert, en 2015, une consultation mémoire dédiée à l’évaluation et au diagnostic des pathologies neurodégénératives avec intrication neuropsychiatrique.

Créé dans le cadre du plan national Alzheimer et financé par l’ARS Auvergne Rhône-Alpes, le projet a accueilli 157 patients d’avril 2015 à avril 2016, avec une prévalence des 60-79 ans.

Composée d’une équipe pluridisciplinaire – deux psychiatres, deux neuropsychologues, une IDE et une secrétaire, tous à temps partiel –, la consultation mémoire accueille les patients dont les symptômes neuropsychiatriques peuvent être associés à une maladie neurodégénérative. Leurs profils sont assez hétérogènes de par leur âge, leur pathologie déjà diagnostiquée, les symptômes déclarés… La consultation entend remplir trois objectifs :

→ repérer et diagnostiquer les maladies neurodégénératives à mode d’entrée psychiatrique, en particulier chez la personne jeune (moins de 65 ans) ;

→ mieux diagnostiquer l’évolution démentielle des pathologies psychiatriques vieillissantes ;

→ identifier des symptômes d’origine psychiatrique chez les personnes souffrant de maladies neurodégénératives déjà diagnostiquées : apathie, troubles dépressifs, délire, etc.

Non sectorisée, elle permet de répondre à un nombre important de demandes émanant de services intrahospitaliers et/ou extrahospitaliers, du département ou au-delà.

Premier bilan

Deux jours par semaine, j’interviens en amont de la consultation avec le psychiatre, au sein de la consultation mémoire, et traite les demandes émanant des services de l’hôpital de façon à intervenir le plus vite possible avant la sortie du patient (le délai d’intervention est inférieur à 7 jours). Une fois que la demande est validée par le Dr Jean-Michel Dorey, psychiatre responsable de la consultation mémoire, j’appelle le service pour convenir d’un rendez-vous avec le patient et l’équipe soignante. Je leur demande d’avertir le patient, et de veiller à ce qu’il ait ses lunettes, son appareil auditif ou tout autre dispositif pour être dans des conditions favorables pour les tests. Il doit aussi apporter les clichés déjà réalisés, surtout l’IRM cérébrale.

En amont, je fais un premier recueil d’information à partir du dossier médical informatisé du patient : profil (âge, situation familiale, mode de vie actuel, ancienne profession, lien avec la famille, médecin traitant, etc.) et historique de la pathologie (motif d’hospitalisation, date d’entrée, apparition et symptômes, une prise en charge initiale ou non, libre ou sous contrainte, etc.). Les aspects cliniques, ainsi que l’anamnèse récente et ancienne avec tous les éléments liés à la prise en charge sont pris en compte de façon à anticiper les aides futures : Ehpad, aide à domicile, etc.

Ce premier bilan donne une orientation à l’entretien clinique qui suit (environ 2 heures) en ciblant les grandes lignes à explorer. Par exemple, si le patient est de type paranoïaque, la communication sera adaptée à sa pathologie, et les questions seront plutôt ouvertes de sorte qu’il ne ressente pas d’intrusion.

Évaluation infirmière

Lors de la rencontre avec le patient, je me présente et explique ma fonction tout en détaillant la suite des soins. Et nous évoquons plusieurs points : présence ou non de conduites addictives, impact des traitements, comportement, qualité du sommeil, degré d’autonomie, appétit, état psychoaffectif, antécédents psychiatriques, médicaux et chirurgicaux personnels et familiaux… Je me renseigne aussi pour déterminer les examens déjà réalisés ou à faire : examen biologique, ponction lombaire, scanner cérébral, etc.

En deuxième partie d’entretien, je propose un MMSE (mini mental state examination), instrument clinique standardisé d’évaluation des fonctions cognitives conçu pour un dépistage rapide des déficits cognitifs. Sous la forme d’un questionnaire, ce test permet d’observer et de noter l’orientation (quelle est la date d’aujourd’hui ? où sommes-nous ?), l’apprentissage (capacité à retenir et répéter des mots), l’attention et le calcul (compter jusqu’à 100 en retirant 7 à chaque fois, épeler un mot à l’envers) et le langage (nommer des objets, accomplir des gestes). En-dessous du seuil, fixé à 26/30, la situation est considérée comme problématique.

Sitôt l’entretien terminé, je rencontre l’équipe soignante pour confronter les données recueillies avec leurs observations sur le quotidien : le patient a-t-il de l’appétit ? Est-il apathique ? A-t-il noué des relations ? Ce temps permet de compléter les informations, notamment sur les troubles du comportement – à l’aide de l’échelle NPI(1) –, le degré d’auto-nomie du patient, son orientation… mais aussi, s’il bénéficie d’aides à domicile, si une mesure de protection est en place, etc.

À l’issue de ces deux rencontres, je remets une synthèse des résultats et de la consultation mémoire, les examens paracliniques et biologiques au Dr Dorey. Il peut se rendre compte, par exemple, de l’étendue des lésions cérébrales et déterminer s’il s’agit d’une maladie d’Alzheimer, d’une démence vasculaire ou autre.

Projet de soins adapté

Mon intervention se fait en fonction du rythme du patient et du service. Je m’y rends rarement tôt le matin car c’est le temps de la toilette et des soins, et respecte le temps de repos des personnes âgées après le repas. Tous les éléments recueillis lors du bilan infirmier peuvent guider le psychiatre et l’amener à confirmer ou infirmer un diagnostic. Le jour même, il communique ses hypothèses diagnostiques au patient et à la famille, et au médecin à l’origine de la demande.

Après évaluation de la consultation mémoire, il apparaît que les modifications cliniques observées chez M. P. sont en lien avec une encéphalopathie vasculaire associée à la maladie bipolaire. Les phases dépressives constatées depuis le décès de son épouse sont rapportées à un syndrome apathique en lien avec la leuco-encéphalopathie vasculaire et non à des décompensations dépressives récurrentes. Le projet de soins a donc été modifié : les traitements psychotropes ont été réduits et les aides à domicile augmentées. Il a intégré un hôpital de jour dans l’attente d’un accueil de jour, et a rejoint parallèlement un groupe de stimulation cognitive.

1- Cette échelle sert à évaluer 12 comportements, en notant la présence, la gravité et le retentissement des troubles : idées délirantes, hallucinations, agitation/agressivité, dépression/dysphorie, anxiété, exaltation de l’humeur, apathie/indifférence, désinhibition, irritabilité/instabilité, comportement moteur, sommeil, troubles de l’appétit.

CAS DE DÉPART

M. P., 69 ans, est diagnostiqué bipolaire depuis plus de 30 ans. Depuis le décès de sa femme en 2012, il a été hospitalisé à de nombreuses reprises pour une symptomatologie d’allure dépressive : épisodes délirants, dépenses excessives, tristesse, idées suicidaires… À chaque hospitalisation, l’équipe soignante constate une amélioration de son humeur et de son état sans aucune modification de son traitement psychotrope. Mais à son retour à domicile, il manque de motivation pour les actes de la vie quotidienne et souffre de difficultés de concentration.

HISTORIQUE DU PROJET

→ Janvier 2011 : Création d’une consultation mémoire de proximité classique localisée sur le CMP personnes âgées de Decines.

→ Janvier 2015 : Financement de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes et extension de la consultation mémoire à valence neuropsychiatrique au CH Le Vinatier. Elle s’adresse aux patients atteints d’une pathologie psychiatrique hospitalisés ou non.

→ Octobre 2015 : DU psychiatrie du sujet âgé pour Nadia Deghache.

PATHOLOGIE

La problématique du diagnostic

D’origine génétique ou héréditaire, les maladies neurodégénératives sont caractérisées par une détérioration des neurones, ou de leur gaine de myéline, et un dysfonctionnement progressif du système nerveux. Il existe des facteurs aggravants : les toxiques (abus d’alcool et tabac), le diabète de type 2, l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie, les traumatismes crâniens ainsi qu’un faible niveau de scolarisation. Ces maladies ont un lourd impact sur la santé des individus du fait de complications multiples au niveau physique, émotionnel, cognitif et comportemental. D’installation insidieuse, elles peuvent débuter chez des sujets jeunes (moins de 60 ans) et avoir un mode d’entrée psychiatrique (dépression, troubles du comportement et de l’humeur…) entraînant des retards de diagnostic. Par ailleurs, il a été établi que les pathologies psychiatriques chroniques comme la schizophrénie ou la maladie bipolaire, pouvaient évoluer vers une détérioration cognitive.