Sus à la technique - L'Infirmière Magazine n° 372 du 01/06/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 372 du 01/06/2016

 

PRATIQUES SOIGNANTES

DOSSIER

Alors que les nouvelles générations se réclament davantage de la relation avec le patient, son opposition avec les soins techniques reste ancrée dans la mentalité infirmière.

La manière dont Fahima Amrane, installée en cabinet depuis trois ans, résume son parcours exprime l’ambivalence des soins infirmiers : « Je suis une grande technicienne. J’ai eu le concours d’Iade, mais ai toujours eu l’esprit de la relation avec le patient. J’ai suivi une formation sur le toucher, pour dialoguer avec les patients, travailler avec les sourires, les expressions du visage. » Si la technicité est valorisée, source de fierté, la relation au patient demande toujours son dû. Mais l’aspect technique du soin peut aussi être considéré par certains comme une menace. À l’image d’Emmanuelle Mulot, IDE en Ehpad, qui déclare : « En devenant infirmière, j’avais peur de passer trop de temps dans la technique. Les prises de sang, les transfusions, c’est bien de savoir les faire, mais cela reste des actes, des accessoires de mon métier. C’est tout le reste autour qui me paraît plus important. »

Technicité vs relationnel

Il y aurait donc une opposition entre la maîtrise des gestes et la prise en compte de l’être humain que l’on a en face de soi ? L’attitude de la direction des soins, qui valorise la technicité, pourrait en être à l’origine. Une démarche confirmée par Arnaud Gautier, cadre de santé qui travaille en psychiatrie depuis une quinzaine d’années : « Clairement, quand on a exercé dix ans en hôpital psychiatrique, on est étiqueté. Ce n’est pas la peine d’essayer de revenir vers une spécialité plus somatique. À l’inverse, un infirmier en réanimation qui vient travailler en psychiatrie, cela pose moins de problèmes. On part du principe qu’il y a la partie noble du métier, technique, et la partie moins noble, le relationnel. ». La technicité relèverait d’une forme d’habileté qui s’entretient, mais pourrait être une menace pour l’identité infirmière, et pour son autonomie. De son côté, Mathias Waelli, sociologue et maître de conférence à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), relève qu’une tendance nouvelle est en train de s’installer : « De plus en plus de jeunes veulent aller travailler en psychiatrie et en Ehpad. En étudiant les demandes de stage, cette évolution est frappante. Il y a une volonté de faire un travail davantage relationnel, centré sur le patient, avec la prise en compte de la dimension sociale, et d’être moins dans le soin technique hospitalo-centré. » Pour les infirmières récemment diplômées, le contenu des enseignements depuis la réforme de 2009 expliquerait en partie cette orientation. Pour Emmanuelle Mulot, « les anciennes infirmières se posent des questions beaucoup plus techniques que nous, et heureusement d’ailleurs ». Cette complémentarité entre deux générations est parfois l’occasion de débats houleux dans les services.

Approche globale

Les infirmières se réclament souvent de la prise en charge du patient dans sa totalité, en opposition avec la démarche médicale, plus axée sur les organes ou la seule maladie. Arnaud Gautier y voit « la recherche d’une certaine forme d’humilité, de proximité du patient. C’est aussi une manière de se démarquer du médecin, détenteur de savoir ». Dominique Boquet a travaillé pendant quinze ans en service de médecine générale, avant de se tourner vers le bloc opératoire. Si le travail qu’elle effectue est très différent, axé sur l’aide opératoire et l’instrumentation, elle parvient toujours à nouer un lien avec les personnes prises en charge : « J’aime bien cette relation avec les patients avant l’opération. Il y a tout un protocole de vérification. La check list est un outil qui nous permet de bien discuter avec eux. Pour être rassurés, ils n’ont pas besoin de grand chose : savoir comment cela va se dérouler et après, combien de temps il est probable qu’ils restent. Ensuite, la conversation évolue vite vers autre chose ; si le contact s’établit bien, cela permet de dédramatiser une entrée dans le bloc opératoire. » Ce n’est pas seulement la durée et la régularité de l’échange qui en font la qualité. Les deux aspects du soin – technique et relationnel – que l’on tend à poser en rivaux ont ainsi vocation à se compléter.