La discrétion professionnelle - L'Infirmière Magazine n° 372 du 01/06/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 372 du 01/06/2016

 

CARRIÈRE

GUIDE

ANNABELLE ALIX  

La confidentialité ne couvre pas que l’information médicale. Les IDE doivent aussi faire preuve de discrétion au sujet du fonctionnement de leur établissement. Retour sur le contenu et l’étendue de cette obligation.

Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle. Cette obligation est prévue par la loi du 13 juillet 1983 qui régit leurs droits et leurs devoirs. Mais que recouvre-t-elle exactement ? À l’image du secret professionnel et médical, la discrétion professionnelle interdit à l’infirmière de révéler les faits, documents ou informations dont elle a connaissance au cours de ses fonctions… Et qui revêtent, cette fois, un caractère administratif. « Ces éléments portent, par exemple, sur l’organisation de l’établissement, sur son fonctionnement habituel ou encore sur ce qui se dit dans les services », développe Guillaume Champenois, avocat au barreau de Paris. Dans un tel contexte, l’information délivrée au public dans le cadre de l’activité d’un service doit être mesurée, proportionnée. Elle ne saurait empiéter sur le périmètre protégé par la discrétion. Par ailleurs, seule l’autorité dont dépend l’infirmière peut décider de la délier de son obligation. Ce peut être le cas « lorsqu’elle se trouve dans une situation délicate et qu’elle doit se justifier », précise Guillaume Champenois.

Jouer la prudence

→ Certains documents sont confidentiels sans en avoir l’air. Illustration ? Le protocole d’hygiène, ou de soins, formalisé par l’établissement dans le cadre de sa démarche d’amélioration continue de la qualité. Attention, « la réglementation générale sur la qualité (arrêtés ministériels, décrets d’application, etc., NDLR) revêt un caractère public, précise toutefois Sophie Herren, avocate au barreau de Paris. Mais ce n’est pas le cas d’un protocole de soins qui copie, même très précisément, celui d’un site officiel et qui est ensuite adapté ou mis au format qualité de l’établissement. »

→ Conclusion ? Sans autorisation, une infirmière ne peut transmettre ce document à sa consœur en poste dans un établissement voisin… Ni le publier sur son site Internet, sur son blog, ou encore sur son mur Facebook (lire l’interview ci-contre) !

Une réglementation vigilante

→ Certains comportements sont proscrits, à titre préventif, afin d’anticiper les risques de débordements. Un exemple ? Le fonctionnaire est contraint à refuser les « déjeuners en ville ». « Cette expression désigne les invitations ou privilèges accordés par des personnes aux intentions potentiellement intéressées (journalistes, etc., NDLR), explique Sophie Herren. Ces procédés sont de nouvelles formes d’indiscrétion, à l’heure où tout, ou presque, fonctionne par le biais du réseau et du tuyautage. »

→ Le devoir de discrétion professionnelle perdure une fois l’établissement quitté. « Le médecin qui écrit un livre en dénigrant les conditions de prise en charge médicale dans l’établissement qu’il vient de quitter manque à son obligation de discrétion professionnelle », estime Sophie Herren.

→ La réglementation, elle-même, pose d’ailleurs les jalons d’une discrétion professionnelle préservée pour l’établissement, après le départ de l’agent. « La commission de déontologie vérifie l’absence d’incompatibilités entre l’emploi qu’il vient de quitter et celui qu’il s’apprête à occuper lorsqu’il s’agit d’un emploi public concurrentiel ou relevant du secteur privé », note l’avocate. Et pour cause : « Un ancien Agent de l’agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) pourrait, par exemple, être tenté de révéler des informations utiles au laboratoire dans lequel il exercerait ses nouvelles fonctions », développe-t-elle.

Gare aux sanctions

→ Toute faute mérite sanction. Ainsi, lorsqu’une infirmière a divulgué des informations sur son hôpital, « l’employeur s’enquiert d’abord de savoir si une faute a bien été commise », énonce Guillaume Champenois.

→ Tout dépend de la nature des propos révélés. En l’absence de définition précise dans la loi, l’indiscrétion professionnelle est évaluée au cas par cas. Si la faute est avérée, la sanction infligée à l’agent doit alors être proportionnée. Prévue par la loi du 9 janvier 1981, l’échelle des sanctions disciplinaires va du blâme ou de l’avertissement à la révocation. Les circonstances, le contenu de l’information divulguée et le comportement habituel de l’agent sont autant de critères pris en compte pour fixer la sanction.

→ Mais à lui seul - sauf erreur très grave -, le manque de discrétion professionnelle ne mérite pas une révocation. Au contentieux, « il est d’ailleurs rarement considéré seul, note Sophie Herren. Il va souvent de paire avec un manquement au secret professionnel ou au devoir de réserve qui consiste, notamment, à ne pas dénigrer son administration. »

→ Concrètement, l’objectif conjoint de ces trois obligations est de « protéger le bon fonctionnement du service public », résume l’avocate. Ainsi, l’agent lourdement sanctionné sera celui dont le comportement général est peu scrupuleux face aux informations confidentielles. Les agissements de l’agent doivent toutefois être étudiés avec prudence. « Ils imposent une réflexion poussée, car les obligations de réserve et de discrétion doivent aussi se conjuguer avec un devoir de transparence et d’information du public », détaille Sophie Herren. Il convient donc de vérifier si l’équilibre entre ces obligations contraires est rompu.

Lanceur d’alerte

→ La discrétion poussée à l’extrême est sclérosante. La déontologie commanderait parfois de révéler certaines informations graves qui affectent le service ou la prise en charge. Et ce, à l’image de la levée du secret professionnel pour le signalement des cas de maltraitance constatée.

→ La loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, autorise désormais l’agent à dénoncer les conflits d’intérêts constatés, auprès des autorités administratives ou judiciaires, sans risquer la sanction… À condition d’avoir d’abord alerté, en vain, l’une de ses autorités hiérarchiques.

→ Celui qui donnera l’alerte ne pourra souffrir d’aucune discrimination de la part de son employeur, en termes de recrutement, de titularisation, de rémunération, de formation, d’évaluation, de notation, de discipline, de promotion, d’affectation ou de mutation. Les fonctionnaires qui utiliseraient ce droit de manière abusive (avec mauvaise foi, dans l’intention de nuire ou en avançant des faits au moins partiellement erronés) encourront, en revanche, une peine de 5 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (voir schéma ci-contre).

→ « La loi sur la déontologie apportera aussi une aide aux fonctionnaires qui souhaitent obtenir des informations sur ce qu’ils ont précisément le droit de faire ou non, indique Sophie Herren. Un déontologue sera placé, à cet effet, dans chaque administration. » Son profil ? « Probablement celui d’un fonctionnaire formé aux ressources humaines, avec une formation complémentaire spécifique. »

→ En parallèle, « la loi Sapin 2 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de l’économie s’apprête à définir un véritable statut aux lanceurs d’alerte », indique Sophie Herren. Une évolution est en marche… Affaire à suivre.

SAVOIR PLUS

→ Loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires :

- articles 26, 27 (discrétion professionnelle) ;

- article 28 (devoir de désobéir à un ordre illégal).

→ Loi n° 1986-33 du 9 janvier 1986, article 81 sur l’échelle des sanctions disciplinaires dans la fonction publique.

→ Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, article 4 sur la levée de l’obligation de discrétion professionnelle.

INTERVIEW

GUILLAUME CHAMPENOIS AVOCAT AU BARREAU DE PARIS

Le devoir de discrétion professionnelle est-il aussi de mise hors les murs de l’hôpital ?

• Oui ! Après sa journée de travail, l’infirmière doit rester vigilante sur le propos qu’elle tient… notamment sur les réseaux sociaux ! La cour de cassation considère, par exemple, le mur d’un profil Facebook comme un espace public. Sur ce mur, les critiques à l’égard d’un cadre supérieur sur sa manière d’organiser le travail ou encore la mention de blagues, de noms d’oiseaux, de dessins ou propos racistes à l’égard d’un collègue sont des comportements condamnables. Et l’infirmière ne doit pas se croire à l’abri des regards extérieurs ! Par le jeu des commentaires et des éventuelles re-publications, toutes ces informations remontent très facilement à la vue du chef d’établissement.

Les insultes ou critiques dont vous faites mention relèvent-elles du champ de la discrétion professionnelle ?

• Pas nécessairement, mais elles peuvent relever du devoir de réserve qui lui est associé. Celui-ci accentue l’obligation de discrétion puisqu’il interdit au fonctionnaire de critiquer son administration, de la dénigrer sur la scène publique. L’agent s’expose ainsi à des poursuites disciplinaires s’il tient, sur son compte Facebook, des propos défendant une action violente commise dans un service d’urgence, par un usager qui refuse que son épouse soit prise en charge par un homme, en raison de considérations religieuses.

Quelles sont les sanctions encourues ?

• Sauf plainte d’un collègue visé, la sanction due à un manquement au devoir de réserve ou de discrétion professionnelle ne relève pas du droit pénal, mais du droit administratif (sanction disciplinaire). Dans le secteur privé, de nombreux licenciements ont vu le jour parce que des salariés avaient critiqué leur employeur sur leur mur Facebook. Dans le public, en 16 ans d’exercice, je n’ai jamais vu de cas de révocation. Mais tout dépend de la teneur des propos tenus… S’ils sont absolument odieux à l’égard de la hiérarchie, l’infirmière peut craindre la sanction disciplinaire ultime. Il faut savoir qu’une faute très grave commise par un agent en dehors de ses fonctions peut, dans tous les cas, aboutir à une révocation.

PROPOS RECUEILLIS PAR A. A.