POURQUOI ÇA COINCE - L'Infirmière Magazine n° 369 du 01/03/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 369 du 01/03/2016

 

HOSPITALISATION À DOMICILE

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À LA UNE

Véronique Hunsinger  

Les pouvoirs publics poussent au développement de la HAD, encore mal connue. Sur le terrain, les réalités apparaissent contrastées et illustrent toute la complexité de la coordination entre la ville et l’hôpital.

Les députés experts des questions de Sécurité sociale viennent de se lancer dans une série d’auditions sur l’hospitalisation à domicile (HAD). Après avoir demandé à la Cour des comptes de leur rendre un rapport préparatoire, ils devraient dévoiler fin juin leurs recommandations pour lever les freins dans ce secteur. Un secteur encore relativement restreint, mais qui devrait sans doute profiter des futurs groupements hospitaliers de territoire (GHT), créés par la loi de santé, comme l’appelle de ses vœux la Fédération hospitalière de France. Une circulaire ministérielle de 2013 avait déjà fixé comme objectif un doublement de l’activité de la HAD en cinq ans pour la porter de 0,6 à 1,2 % des hospitalisations complètes. Bon an, mal an, celle-ci progresse, mais lentement : 4 403 464 journées au profit de 106 082 patients en 2014, soit une progression de 1,9 % par rapport à l’année précédente, contre 4,7 % en 2013 et 7,7 % en 2012.

Dans la pratique, les choses coincent souvent faute notamment d’une définition précise du rôle des infirmières. « Les médecins, et encore moins les usagers, ne connaissent pas vraiment la HAD, analyse Joëlle Huillier, députée socialiste de l’Isère, rapporteure de la MECSS(1) sur ce sujet. Il y a très probablement aussi des freins liés à la tarification, complètement obsolète et qu’il faudrait revoir sans que le dispositif ne coûte nécessairement plus cher. De même, les ARS ne montrent pas partout le même dynamisme pour promouvoir la HAD. Mais surtout, je crois que les infirmières, libérales comme salariées, sont vraiment le pivot de la HAD, car ce sont elles qui font fonctionner le système et il faudra sans doute leur donner davantage de marge de manœuvre. » Dans les faits, si les HAD publiques ont généralement leurs propres équipes infirmières, les HAD privées font largement appel aux infirmières libérales (Idel).

Un système « bâtard »

Malheureusement, cela ne se fait pas toujours dans les meilleures conditions. Idel à Castres (Tarn), Marie-Cécile Barthes a actuellement deux de ses patients en HAD. « Je suis payée trois mois après les soins et sans facture détaillée, ce qui ne permet de trouver les causes de différentiels quand on en constate, témoigne-t-elle. Nous avons également demandé une formation sur le matériel, que nous n’avons jamais eue ; de manière générale, le matériel fourni n’est pas toujours de bonne qualité. » Sur ses trois associées, l’une souhaite continuer la collaboration tandis que les deux autres n’ont jamais été intéressées. « Cette HAD travaille avec les Idel, il n’y a donc pas de problème de captation de patientèle comme on peut parfois le voir ailleurs, reconnaît-elle. Mais le problème de la HAD est que cela reste un système bâtard où les libéraux, infirmières comme médecins généralistes, ont dû mal à trouver leur place. » Les médecins généralistes peuvent prescrire la HAD depuis 1992, mais ils le font de moins en moins. « Nous prescrivons la HAD quand nos patients en ont besoin, si on peut leur éviter une hospitalisation, répond Claude Leicher, le président du syndicat de généralistes MG France. Sur le terrain, nous avons généralement de bonnes relations avec ces structures. En revanche, on peut être très agacé quand l’hôpital va faire intervenir une HAD pour des prises en charge que nous savons très bien faire en libéral. C’est aussi dommage que nous soyons parfois obligés de recourir à la HAD, par exemple dans la fin de vie, simplement parce que nous n’avons pas accès aux produits nécessaires aux sédations. »

Une analyse largement partagée par la Fédération nationale des infirmiers (FNI). « La HAD a du sens quand elle se substitue à une hospitalisation, pas quand elle vient prendre la place des équipes de ville ; d’autant que dans ces cas-là, elle coûte beaucoup plus cher, abonde Philippe Tisserand, son président. Par exemple, sur la réalisation de pansements lourds et complexes, la nomenclature des Idel est tout à fait adaptée et il n’y a aucune raison de faire appel à la HAD. » Et de rappeler une étude que la FNI et le Synalam, syndicat de prestataires, avaient fait réaliser en 2012 : le cabinet d’études Jalma avait démontré que dans le domaine de la perfusion à domicile, la prise en charge libérale est 40 % moins chère que la HAD. « Les Idel apprécient souvent de travailler avec la HAD, nuance Annick Touba, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). À condition de ne pas être considérées comme des subordonnées. Mais peut-être qu’à l’avenir, on aura moins besoin de la HAD, si le monde libéral parvient à s’organiser en équipe de soins de proximité, et en faisant appel à des aides-soignantes pour les prises en charge les plus lourdes. »

200 euros la journée

De son côté, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) continue de défendre bec et ongles la HAD. Se disant convaincu de la « forte pertinence » du modèle, Jean Debeaupuis, son directeur, a vanté devant les députés un coût de journée de 200 euros pour la HAD, plus de trois fois inférieur à celui de l’hospitalisation conventionnelle. Ces débats s’inscrivent aussi dans un contexte où le secteur est en pleine restructuration. La Cour des comptes a souligné la mauvaise répartition de l’offre et l’existence de structures trop petites pour pouvoir répondre correctement à leurs missions. Il faut savoir que les dix plus gros établissements en France assurent 27 % de l’activité totale.

La HAD existe également dans d’autres pays européens dans lesquels l’infirmière occupe une place centrale. Ainsi, au Royaume-Uni, des prises en charge peuvent être organisées par des community nurses pour éviter les hospitalisations. Le dispositif s’appuie alors sur du personnel infirmier spécialisé, formé à l’examen clinique et à la prescription. Une tout autre culture qui appelle aussi une question de fond à laquelle devront répondre les députés s’ils veulent promouvoir la HAD : comment répartir au mieux les rôles de chacun ?

1- Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS).