Bien-être vs toxicité - L'Infirmière Magazine n° 369 du 01/03/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 369 du 01/03/2016

 

CANCER

DOSSIER

C. C.-C.  

Premières victimes des dérives sectaires, les malades du cancer sont particulièrement demandeurs d’autres approches thérapeutiques, notamment pour soigner les effets secondaires de leurs traitements.

Chaque région a ses guérisseurs. En Alsace, un remède druidique millénaire, réputé stimuler le système immunitaire, a beaucoup de succès : « Nombre de malades du cancer ont recours à des injections d’extraits de gui », raconte Simon Schraub, cancérologue à Strasbourg. Dans le sud de la France, il y a les passeurs de feu qui soulagent, par simple imposition des mains, un coup de soleil mais aussi des brûlures des radiothérapies. À l’hôpital de Rodez (Aveyron), le chef du service de cancérologie Alain Marre, retraité depuis peu, ne décourageait pas ses patients de recourir à ce savoir ancestral et empirique, souvent exercé gratuitement. « Ce n’est ni scientifique, ni rationnel, mais cela aide à mieux vivre le cancer », a-t-il déclaré au Nouvel Observateur en février 2015. En Haute-Savoie, on parle de coupeurs de feu : l’auteur d’une thèse de médecine de 2007 en a recensé 241, selon l’historien Yvan Brohard qui a consacré un ouvrage(1) aux « médecines populaires ».

La relation médecin-patient critiquée

Les malades du cancer sont particulièrement demandeurs d’autres approches thérapeutiques, complémentaires de la médecine conventionnelle. « Le cancer est devenu une maladie au long cours, rappelle Serge Blisko, le président de la Miviludes. Des personnes vivent pendant 15 ou 20 ans avec cette maladie, traversent des moments difficiles, douloureux, sont sans cesse sous la menace d’une récidive. Ils sont souvent angoissés, fragilisés. Et sont naturellement en attente d’autres approches thérapeutiques. » En Alsace, Simon Schraub a réalisé, en 2011, une « étude psychologique du recours aux médecines parallèles en cancérologie » auprès de 47 de ses patients. La majorité n’ont pas de défiance vis-à-vis de la médecine classique : « Rares sont les personnes qui abandonnent leurs traitements anti-cancéreux », note-t-il. Mais ces patients critiquent la relation médecin-malade : « Les médecins sont devenus des hyperspécialistes. Ils ne savent plus traiter les symptômes et les effets secondaires des traitements », regrette le cancérologue.

Prendre en charge les conséquences d’un cancer et des traitements est justement l’objet des « soins de support ». S’il est impossible d’en établir une liste exhaustive, ils peuvent cependant être classés en « deux catégories, explique Graziella Pourcel, chef de projet de coordination des soins à l’Institut national du cancer (Inca). Il y a les soins de support pour lesquels il existe des référentiels de prise en charge : le traitement de la douleur, la nutrition, la rééducation physique ou l’accompagnement social. Et il y a les soins de bien-être, pour lesquels il y a des risques de dérives, car ils sont peu encadrés. L’Inca est en train de définir un panier de soins pour lesquels il existe des preuves suffisantes d’une amélioration de la qualité de vie ».

Hypnose à tous les étages

L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris a déjà fait ce travail d’encadrement des thérapies complémentaires, puisqu’elle a intégré leur développement dans son plan stratégique 2010-2014. Dans un rapport interne écrit en 2012(2), l’AP-HP en recense 15, de trois types : les traitements psycho-corporels (hypnose, relaxation, toucher thérapeutique), les traitements physiques manuels (ostéopathie principalement) et les traitements issus de la médecine traditionnelle chinoise (acupuncture). Ceux qui les pratiquent sont des médecins, des sages-femmes et des paramédicaux. Le rapport souligne que « les paramédicaux sont demandeurs de ce type de pratique qui leur permet une approche plus personnalisée du soin, qui leur apparaît mieux répondre aux attentes des malades et à leurs propres aspirations ».

À l’Institut Curie, où l’hypnose est pratiquée depuis une dizaine d’années, elle est désormais présente « à tous les étages, explique Anne-Sophie Bounie, l’infirmière coordonnatrice du groupe hypnose. C’est devenu un axe majeur de notre projet de soins, centré sur les patients, suivant une prise en charge globale et une approche psycho-corporelle. L’Institut français d’hypnose, reconnu dans la formation des professionnels de santé, assure sept journées d’enseignement par an au sein de notre établissement ». Anne-Sophie Bounie a suivi une formation de deux ans à l’hypnose, et conduit aujourd’hui « un groupe de supervision pluridisciplinaire : une fois par mois, nous faisons un travail de retour sur nos pratiques, et je dirige un atelier de perfectionnement ». Aujourd’hui, une quarantaine de professionnels de l’institut pratiquent l’hypnose : « Ce sont des médecins, des infirmières, des aides-soignantes, des manipulateurs radio. Chaque professionnel intervient dans son champ de compétence. Les infirmières pratiquent l’hypno-analgésie, cherchent à soulager les nausées et les vomissements, l’anxiété, les bouffées de chaleur, etc. »

Pour ou contre, le débat continue

Mais à la porte de l’hôpital, par exemple dans les structures associatives d’aide aux malades du cancer, comme La Ligue contre le cancer, la situation est plus confuse. « Nous sommes extrêmement sollicités par des personnes aux métiers variés », raconte Geneviève Eguimendya, présidente du comité départemental de La Ligue des Pyrénées-Atlantiques. L’une des missions du comité est de dispenser de l’aide aux malades. Avec un budget d’1 million d’euros, le comité emploie 6 salariés et rémunère 47 professionnels de santé qui prodiguent des soins de support aux malades du cancer : socio-esthéthique, psychologie, sophrologie, réflexologie, ostéopathie, yoga, peinture, activité physique adaptée, tai-chi, etc. « Chaque professionnel et chaque bénévole de La Ligue est reçu et sa formation vérifiée. J’ai par exemple la chance d’avoir un professeur de sport avec un master de santé publique », se félicite Geneviève Eguimendya. Cette ancienne cadre de santé est très ouverte aux thérapies complémentaires. À l’Institut Curie, elle a ainsi développé la socio-esthétique. Pour améliorer ses compétences en management, elle s’est aussi formée à la programmation neuro-linguistique (PNL), une branche de la psychologie ericksonienne qui vise à acquérir des techniques de communication. En revanche, elle n’a pas été convaincue par la pratique de la PNL par une infirmière au sein de l’institut : « On s’est rendu compte que son discours était un peu déviant, elle présentait la PN comme une thérapie miracle… »

La frontière entre la thérapie utile et celle qui est déviante est floue. Simon Schraub est par exemple sceptique sur l’efficacité de la réflexologie, une technique de massage qui repose sur le postulat que chaque organe est relié à un point de la main, du pied ou des oreilles. « Si quelqu’un vous masse les pieds, vous allez forcément vous sentir mieux. Mais affirmer qu’il y a une projection sur des organes… Je ne peux que constater la profusion de cette offre, parfois prise en charge par les comités départementaux. » C’est le cas dans les Pyrénées-Atlantiques, et Geneviève Eguimendya assume : « Nous proposons de la réflexologie palmaire, plantaire, mais également sur les cicatrices : massées, elles se décollent plus vite, c’est un constat. Même si c’est difficile, nous essayons d’évaluer ces pratiques à partir du ressenti des malades. » Pour tenter de clarifier la situation, La Ligue est en train d’élaborer un guide des thérapies complémentaires à l’usage des comités départementaux, qui livre leurs indications précises, les formations les plus sérieuses, etc. S’il pose un cadre utile, ce guide ne va pas sûrement mettre un terme aux différences d’appréciation.

1- Yvan Brohard et Jean-François Leblond, Herbes, magies, prières : une histoire des médecins populaires, La Martinière, 2013.

2- Pr Jean-Yves Fagon, Dr Catherine Viens-Bitker, « Médecines complémentaires à l’AP-HP », rapport, mars 2012.

FORMATION CONTINUE

Contrôles renforcés à l’hôpital

« Nous savons depuis le début des années 2000 que l’hôpital est un aimant pour les pratiques de soins non conventionnelles, y compris les dérives sectaires », explique Michel Fourmeaux, responsable du service du développement de la formation et des compétences de l’Agence nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH). Cette agence collecte les fonds de la formation et valide les programmes. « Nous procédons à un contrôle administratif, mais aussi pédagogique, de toute offre de formation, assure Michel Fourmeaux. Et nous sommes vigilants aux signaux d’alerte, en particulier pour les formations qui ont trait aubien-être : si le public visé est trop large, l’objectif professionnel trop vague, le contenu pédagogique conçu par un seul individu. Nous avons actuellement un débat sur le toucher-massage. En revanche, des pratiques comme la kinésiologie, la fasciathérapie ou la naturopathie ne sont jamais financées. » Les 26 délégations de l’ANFH peuvent répondre à toutesles questions et des établissements et des agents.

www.anfh.fr

SAVOIR PLUS

QUI CONTACTER ?

→ L’ONI vient de signer une convention avec la Miviludes, qui prévoit un échange d’informations sur des situations à risque. Tout infirmier qui craint une emprise sectaire sur un de ses patients, ou s’interroge sur les pratiques d’un confrère peut donc prendre contact avec l’Ordre.

→ Sur son site, la Miviludes liste, pour chaque département, des institutions ou des associations ressources.

www.derives-sectes.gouv.fr

→ L’Unadfi joue également un rôle de veille, d’étude et d’information.

www.unadfi.org