PREMIER ROUND TERMINÉ | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 368 du 01/02/2016

 

GESTION DES LITS

ACTUALITÉS

À LA UNE

Hélène Colau  

Les 159 établissements engagés dans le Programme national de gestion des lits, initié en 2013 pour désengorger les urgences, arrivent au bout du processus. Mais ce n’est que le début pour les soignants, indissociables de cette réorganisation.

Aujourd’hui, plus personne ne peut ignorer la gestion des lits dans un établissement, un sujet totalement tabou il y a deux ans. Plus personne ne peut dire qu’il n’y a pas de solution », s’est félicité Pierre Carli, président du Conseil national de l’urgence hospitalière, lors de la journée « Bilan et perspectives du Programme national de gestion des lits », organisée en novembre dernier par l’Agence nationale d’appui à la performance (Anap). En effet, selon l’agence, cette réorganisation lancée en octobre 2013 à l’initiative de la ministre de la Santé dans le but de désengorger les services d’urgences est un succès. « Nous avons changé l’état d’esprit de l’hospitalisation », assure Pierre Carli. Du moins dans les 159 établissements volontaires… Pendant dix-huit mois, l’Anap a accompagné les binômes médico-soignants en charge du projet dans chaque hôpital. En tout, 573 lits d’hospitalisation conventionnelle ont été adaptés ou transformés. Dans le même temps, l’indice de performance des durées moyennes de séjour s’est amélioré de 1,7 % en chirurgie et de 0,8 % en médecine ; le taux de transfert des urgences vers un établissement extérieur a, lui, baissé de 25,6 %. Pour un coût plutôt modique : 12 000 € par établissement. « Ce que vous avez fait, on l’avait pensé. Vous, vous l’avez fait, établissement par établissement, service par service, presque lit par lit », a lancé Pierre Carli aux équipes. En effet, ces résultats sont le fruit d’un minutieux travail de terrain.

Nouveaux métiers

Tout d’abord, les établissements ont réalisé quatre mois de diagnostic(1), avant de rédiger leur plan d’action, qu’ils ont eu treize mois pour appliquer. « 70 % des actions décidées ont déjà été mises en œuvre », se félicite Christine Kiener, directrice des soins et responsable du programme à l’Anap. La nature de ces actions varie selon les établissements (voir encadré ci-contre). « Tout le programme repose sur ce principe : on n’impose pas de pratiques, chacun s’adapte en fonction de ses propres contraintes », assure Christine Kiener. Le CHU de Nîmes (Gard) a, par exemple, choisi de mettre en place une plate-forme opérationnelle de sortie, comptant deux infirmières, destinée aux patients en grande fragilité. « Cela ne concernait que 1 000 patients par an, mais qui engendraient un long temps d’hospitalisation, précise Georges Gleizes, cadre supérieur de santé. Sur les neuf premiers mois, la plate-forme a permis d’économiser environ 1 000 jours d’hospitalisation. On a aussi constaté une baisse des réhospitalisations : aujourd’hui, pour ces patients, on en compte 1 sur 300. » La désignation de bed managers, qui avait cristallisé les inquiétudes au moment du lancement du programme, ne concerne qu’un peu moins de la moitié des établissements participants : « C’est surtout utile dans les grands hôpitaux », estime Christine Kiener. C’est le cas du CHU de Poitiers (Vienne). « En 2014, nous avons mis en place une cellule centralisée de gestion des lits aux urgences, avec quatre bed managers, explique Bruno Avril, cadre supérieur de santé. Avant, il y avait 1 h 30 à 2 heures d’attente après la décision d’orientation. Aujourd’hui, on trouve un lit dans les dix minutes. Enfin, en aval des urgences, nous avons créé une unité tampon de 22 lits, utilisables pour une durée maximum de 48 heures, après quoi le patient devient prioritaire. » Le CHU a aussi mis noir sur blanc les règles d’hébergement, selon lesquelles une spécialité donnée s’engage à recevoir les patients ne pouvant être pris en charge dans une autre spécialité du même pôle. « Cela fonctionne car cela correspond à des spécialités infirmières proches : une IDE en neurochirurgie peut par exemple travailler en orthopédie ou en traumatologie, assure Bruno Avril. On ne redistribue pas les postes, mais on utilise des compétences pour d’autres spécialités dans lesquelles les soignantes ont une expérience. Ainsi, ça ne les met pas en difficulté. » Le CHU de Poitiers prévoit d’aller plus loin en créant en 2016 un « salon des sortants » pour les patients qui doivent attendre qu’on vienne les chercher. Une salle d’attente gérée par des soignantes… qui, de fait, se trouveront coupées de leur cœur de métier ? « Cela crée aussi des opportunités, avec de nouveaux métiers, estime Bruno Avril. Ce salon pourra être tenu par des infirmières en difficulté, par exemple en mi-temps thérapeutique. Et le poste de bed manager est intéressant pour celles qui ont besoin de travailler assises… » Le CHU travaille désormais sur une cellule d’ordonnancement des séjours. Des infirmières recevront les demandes d’hospitalisation de toutes les consultations, programmeront les examens complémentaires et trouveront les lits. « On va commencer par la chirurgie, ce qui nécessitera 4 à 5 ETP, puis nous élargirons à la médecine. Pour cela, tous les circuits patients, par pathologie, devront être détaillés. » En effet, pour aboutir à ces nouvelles organisations, un énorme travail en amont est nécessaire : dans chaque service, les équipes soignantes écrivent des chemins cliniques, jour par jour et pathologie par pathologie, avec leur encadrement.

À l’écoute des besoins

Comment les soignantes vivent-elles ces changements dans leurs habitudes de travail ? « Le programme a plutôt reçu un bon accueil dans les unités, même si au départ, il y avait un peu de réticence : ce n’est pas facile quand quelqu’un d’extérieur vient vous expliquer votre travail, reconnaît Georges Gleizes. Mais in fine, le fait même d’être observé pousse à s’impliquer davantage. Par ailleurs, grâce à la plate-forme opérationnelle de sortie, les soignantes qui travaillent dans les unités disposent désormais d’un recours en cas de problème ! » Tous les établissements soulignent l’importance de la communication auprès des équipes soignantes, qui doivent adhérer au projet. Pour cela, le CH de Beauvais (Oise) a mis l’accent sur l’écoute de leurs besoins. « Avec la création de l’unité de médecine polyvalente, il y avait beaucoup plus d’entrées, de sorties, de ménage, explique Valérie Prudhomme, cadre de santé. Tous les membres du personnel ont été touchés. J’ai donc mis en place un tableau afin que les agents déposent des fiches idées pour améliorer la qualité de vie au travail et la qualité de soins pour les patients. » Car la meilleure motivation reste l’amélioration des conditions de travail attendue de la nouvelle organisation. « La mayonnaise prend tout doucement, indique Bruno Avril. Comme les bed managers travaillent de 8 heures à 22 heures, les soignants passent encore un peu de temps à chercher des lits la nuit ; mais en journée, ce n’est plus du tout une préoccupation. »

Vigilance de mise

« Les établissements ont évalué qu’avant le programme, le temps passé à la recherche de lits correspondait à 2 à 12 ETP, explique Christine Kiener. Les actions organisationnelles vont forcément déboucher sur davantage d’efficience, donc davantage de temps passé au lit du patient pour les soignants. » Si rien ne vient gripper cette belle machinerie… « Il faudra voir comment cette organisation vivra dans le temps, pointe une membre du Syndicat national des professionnels infirmiers. Au début, tout le monde s’y met, donc ça fonctionne : dans notre établissement, le programme a permis une augmentation d’activité. Mais déjà, on commence à voir des gestionnaires qui ne déclarent pas tous leurs lits disponibles, que ce soit pour ne pas surcharger leurs équipes ou pour ne pas accueillir des patients en situation précaire… » La vigilance reste donc de mise. Pour ne pas voir le soufflé retomber, certains établissement ont d’ores et déjà décidé de continuer à échanger sur leurs expériences. Ils seront désormais épaulés par les ARS, qui prennent le relais de l’Anap dans leurs régions.

1- Pour ceux qui souhaitent s’engager dans cette démarche, les outils sont téléchargeables sur le site de l’Anap.

INITIATIVES

Actions à la carte

D’après l’Agence nationale d’appui à la performance (Anap), 96 % des établissements participants ont choisi de travailler sur la sortie des patients le matin. « Certains ont décidé de réaliser 20 % de sorties le matin, d’autres 30 %, selon ce qui fonctionne le mieux pour eux », explique Christine Kiener, directrice des soins et responsable du programme à l’Anap. 85 % ont travaillé sur la programmation (réservation du bloc, prévision des durées de séjour…). Certains ont aussi décidé d’améliorer la visualisation des lits : « Lors du diagnostic, ils se sont rendu compte que les soignants ne connaissaient pas le nombre de lits installés, rapporte Christine Kiener. Or, en cas d’afflux massif, il est essentiel de savoir où ils se situent. Et si un service manque de place, il faut savoir où en trouver, afin de limiter les transferts. » Les établissements ont par ailleurs travaillé sur les ajustements capacitaires, car le diagnostic a permis de constater un taux d’occupation faible dans certains services et élévé dans d’autres. Enfin, 46 % ont réfléchi à une gestion centralisée des lits.