Le dossier de soins infirmiers, la bible des soignants - L'Infirmière Magazine n° 368 du 01/02/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 368 du 01/02/2016

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

Carine Chausson  

Elément constitutif du dossier patient, le dossier de soins infirmiers comporte toutes les informations propres aux prises en charge paramédicales. C’est un outil essentiel pour la qualité des soins et l’amélioration des pratiques.

Le dossier de soins infirmiers se définit comme « un document unique et individualisé regroupant l’ensemble des informations concernant la personne soignée. Il prend en compte l’aspect préventif, curatif, éducatif et relationnel du soin »(1). Outil de travail, papier ou informatique, il respecte les mêmes règles de gestion, d’accessibilité, etc., que le dossier patient (lire p. 47) dont il fait partie intégrante. Pour l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes), « il permet le recueil et la traçabilité des problèmes de santé posés par la personne soignée, et des actions engagées par l’ensemble des professionnels de santé paramédicaux qui interviennent de manière coordonnée autour du patient. Il permet également de suivre et de comprendre le parcours hospitalier de la personne soignée et aide les médecins, le cas échéant, à la décision thérapeutique par son contenu ».

Un enjeu : la continuité des soins

Chaque acteur dispensant des soins infirmiers, de rééducation ou médico-techniques y transcrit des informations complètes et les plus fiables possibles. Il contribue ainsi à la prise en charge paramédicale, médicale et sociale des patients. Les enjeux d’une bonne tenue du dossier de soin sont essentiels. Comme le souligne l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France, il est « indispensable pour assurer 24 heures sur 24 la continuité des soins et, grâce à une traçabilité des informations structurées, objectives et actualisées, il permet de dispenser des soins de qualité, en toute sécurité pour les patients et leur entourage ». Le contenu du dossier de soins contribue en outre à mettre en évidence l’activité des professionnels paramédicaux. Les écrits témoignent de la prise en charge qu’ils assurent auprès des patients et de leur entourage ; de leurs compétences ; de leur contribution singulière dans la prise en charge des patients. Selon l’étude menée en 2012 par l’ARS d’Île-de-France, « les infirmiers ont su faire évoluer le dossier de soins infirmiers. (…) Non seulement le dossier de soins est ouvert à l’ensemble des paramédicaux diplômés et étudiants, mais aussi aux professionnels socio-éducatifs. Il va vers plus d’inter-professionnalité qui favorisera une meilleure coordination des soins et des réseaux ». Le dossier de soins « est également une source d’information, de transmission de données et possède une valeur juridique primordiale grâce à une traçabilité pertinente », accentue l’Anaes. En effet, tout ce qui n’est pas tracé est considéré comme non fait, ce qui peut avoir des conséquences en termes de responsabilité dans le cadre d’une procédure judiciaire. « Écrire les pratiques professionnelles n’est donc pas seulement une garantie que l’on prend pour mettre en œuvre ce qui doit ne pas demeurer au seul stade de projet, mais participe d’une responsabilité professionnelle », énonce Philippe Labbé(2).

Les objectifs du dossier de soins

→ D’après les recommandations de la HAS, les objectifs du dossier de soins sont de :

– transcrire tous les éléments relatifs au rôle propre infirmier, au projet de soins et permettre le suivi du patient (art. R. 4312-28 du code la santé publique) ;

– coordonner les actions de soins des paramédicaux (infirmières, aides-soignantes, auxiliaires de puériculture, kinésithérapeutes, diététiciennes…) autour d’un objectif commun. Par exemple, dans le cadre d’une fin de vie, cela permettra à toute l’équipe d’aller dans le même sens suite à une décision d’arrêt du curatif : prise en charge de la douleur, soins de confort… ;

– tracer les prises en charge pour assurer la continuité, la qualité et la sécurité des soins. On peut, par ce biais éviter notamment les erreurs de prescription ;

– apprécier l’évolution de l’état de santé du patient ;

– coordonner les parcours patient (dont le suivi du patient en intra et en extra-hospitalier) ;

– faciliter l’intégration des professionnels, donc la pluridisciplinarité dans la prise en charge. Par exemple, on fera appel à un orthophoniste en cas de problème de déglutition ;

– donner des informations aux patients et à leur entourage dans le respect de la réglementation (lire p. 48) ;

– dispenser des données relatives aux soins et aux prises en charge des patients permettant une analyse a postériori pour améliorer les pratiques et développer les opportunités de recherche en soins. On peut citer ici l’exemple du développement de l’éducation thérapeutique : en partant de l’analyse des prises en charge infirmières (écoute active, explications…), des études ont pu démontrer qu’un patient à qui l’on avait expliqué sa maladie chronique (risques et conséquences, traitements…) et chez qui ont ré-évaluait a postériori ce qu’il en avait retenu en répondant à ses questions éventuelles, engendrait une meilleure adhésion au projet de soins, et permettait de prévenir le risque de réhospitalisation pour une nouvelle crise aigüe (par exemple chez les patients diabétiques, drépanocytaires ou atteints du VIH). Aujourd’hui, l’éducation thérapeutique fait partie de formations professionnelles spécifiques et est devenue une priorité dans le domaine de la santé publique.

→ La HAS recommande également que soit tracé le processus d’analyse de situation ou de résolution de problèmes de santé du patient en quatre étapes :

– l’identification et l’analyse des besoins de la personne soignée ;

– le plan de soin et la mise en œuvre des actions thérapeutiques ;

– l’évaluation et le réajustement des actions lorsque cela est nécessaire ;

– la synthèse finale d’hospitalisation avec élaboration d’une fiche de liaison en cas de transfert dans un autre service.

Le contenu du dossier de soins, régulièrement mis à jour, permet ainsi d’identifier clairement l’état de la personne et son évolution, mais aussi de valoriser la qualité de la prise en charge du patient.

Un contenu standardisé

La constitution du dossier de soins infirmiers est transposable d’une structure hospitalière à une autre. Il comprend :

→  Un recueil de données sur la personne hospitalisée. Ce sont celles recueillies lors des vingt-quatre premieres heures de l’admission, généralement sous la forme d’une feuille préremplie à renseigner :

• description de la personne soignée en s’appuyant sur l’observation et l’examen clinique réalisés par l’infirmière (dont le poids et la taille) et l’analyse de ses besoins : mobilité, élimination, respiration, etc. ;

• évaluation de la douleur et des risques (escarre, chute, dénutrition, etc.) ;

• mode de vie (habitudes d’hygiène, consommation de tabac, drogues, alcool…), attentes du patient (croyances, rites…).

→ Le formulaire de désignation d’une personne de confiance. En effet, d’après la loi du 4 mars 2002 relative aux droits du malade et à la qualité du système de santé, toute personne majeure hospitalisée en France peut nommer une personne de confiance qui l'accompagnera lors de son hospitalisation. Celle-ci doit être désignée obligatoirement par écrit(3).

→ Les transmissions ciblées paramédicales.

→ Les fiches de transmissions des intervenants pluridisciplinaires (diététicienne, psychologue, assistant social, kinésithérapeute…).

→ Les prescriptions médicales du patient, qui regroupent les prescriptions médicamenteuses, mais également les prescriptions des examens biologiques et des examens complémentaires.

→ Une fiche d’évaluation de la douleur (qui fait aussi l’objet d’observations dans les transmissions écrites).

→ Un diagramme de soins : spécifique à chaque service, ce dernier se présente sous forme de tableau et liste les soins paramédicaux prévalents du service. Le personnel paramédical doit y cocher chaque jour tous les soins effectués sur le patient.

→ Une fiche de mesure des paramètres vitaux, tels que la température, la tension artérielle, le pouls et parfois la saturation du patient et sa fréquence respiratoire.

→ Une pochette d’étiquettes portant le nom, le prénom et la date de naissance du patient pour le séjour, outils d’identification indispensable pour chacun de ses examens.

Les transmissions ciblées

Les transmissions ciblées constituent le cœur du dossier de soins infirmiers. Elles donnent une synthèse de l’état de santé du patient à un instant « T », en vue d’une démarche préventive, diagnostique et thérapeutique. Pour l’Anaes, « le système de transmissions ciblées doit permettre à la fois de comprendre rapidement la situation du patient et les soins nécessaires à dispenser, mais également de répondre aux exigences professionnelles et légales en matière de personnalisation des soins ».

→ Les éléments clés qui constituent les transmissions ciblées, d’après le référentiel en soins infirmiers, sont :

• la macrocible : il s’agit d’une analyse faite à l’entrée du patient, qui permet de déduire ses problèmes de santé et la mise en œuvre des soins à lui dispenser. Elle est structurée en cinq parties : maladie, thérapeutique, environnement, vécu et développement. Cela consiste en un bilan rédigé qui évoque les motifs d’hospitalisation, les antécédents médicaux et chirurgicaux, la présence de dispositifs médicaux (sondes, perfusions…), d’un régime particulier, de signes psychiatriques (état dépressif par exemple), etc. Il permet d’établir le plan de soin qui sera ensuite réévalué ;

• la cible : c’est un énoncé concis et précis qui attire l’attention par rapport à un problème, une difficulté ou un événement positif pour la personne. Elle est en lien avec les données. En théorie, chaque unité élabore la liste des cibles prévalentes en lien avec la spécialité du service. Lorsque le problème de santé perdure, les soignants peuvent être amenés à utiliser un document de surveillance spécifique (fiche de suivi de l’évolution d’un escarre, fiche pansement, de prise en charge de la douleur, de contrôle des ingestats…) ;

• les données : ce sont des informations qualitatives et quantitatives en lien avec le problème de santé. Elles précisent la cible ou décrivent les observations. Il s’agit soit de signes cliniques, biologiques, psychologiques ; soit d’expressions de la personne qui verbalise un problème de santé ; soit d’étiologies. Ces données sont mesurables et précises ;

• les actions : elles listent les actions en soins infirmiers, avec mention de ceux effectués sur prescription ou protocoles, présentes ou futures, et sont basées sur l’analyse de la situation par l’infirmier pour améliorer l’état de la personne soignée ;

• les résultats : ils évaluent la portée des actions en décrivant la réaction du malade aux soins proposés ou réalisés. L’objectif final est l’amélioration et idéalement la disparition des signes cliniques.

→ Ces transmissions ciblées font parties du rôle propre infirmier. Selon l’article 3 du décret n° 2002-194 du 11 février 2002, l’infirmière a en effet « compétence pour prendre les initiatives et accomplir les soins qu’elle juge nécessaires. Elle identifie les besoins de la personne, pose un diagnostic infirmier, formule des objectifs de soins, met en œuvre des actions appropriées et les évalue ». La qualité de leur rédaction est la clé de la continuité et de l’efficacité des soins. Il s’agit d’un élément déterminant dans la sécurité des soins. Véritables éléments de communication et de coordination, ces transmissions ciblées sont le support indispensable qui permettent de transcrire les raisonnements cliniques retenus et les activités menées par chaque soignant auprès de la personne soignée. Elles sont le reflet des pratiques professionnelles. Étant spécifiques au dossier de soins infirmiers, elles ne doivent pas mettre en avant un diagnostic médical en tant que cible. Cela nécessite une rigueur et une précision de la part du personnel paramédical quant à ses choix de diagnostics, qui ne peuvent relever que de leur domaine d’expertise (infirmière, aide-soignante, kinésithérapeute…).

De même, les transmissions ciblées ne doivent se baser que sur des faits et des observations cliniques de la part des soignants (lire encadré ci-contre) ; en aucun cas elles ne peuvent contenir de jugements de valeur.

1- Ministère de l’emploi et de la solidarité. « Guide du service infirmier : le dossier de soin ». Voir Savoir + p. 61.

2- Voir Savoir + p. 61.

3- Son rôle pourra être de seconder le malade dans toutes ses démarches administratives au sein de l'établissement d'accueil. Elle a le droit de se faire communiquer les informations, jusqu'ici réservées à la famille et au malade lui-même. Elle peut assister aux entretiens médicaux, et être consultée en cas d'impossibilité du patient hospitalisé de s'exprimer.

TÉMOIGNAGE

« Le dossier informatisé est moins complet »

ÉMILIE GORAIN, INFIRMIÈRE EN MÉDECINE INTERNE ET IMMUNOLOGIE, AU CHU DU KREMLIN-BICÊTRE (AP-HP)

Notre service a été le premier de l’hôpital où a été implanté Orbis, le logiciel d’informatisation du dossier patient, il y a deux ans. Le gros handicap dans le passage à l’informatique, c’est la perte de temps : il faut ouvrir plusieurs fenêtres pour arriver à celle qui nous intéresse. Par exemple, pour rentrer les paramètres vitaux d’un patient, on doit se connecter avec nos identifiants, choisir notre service, aller dans un nouvel onglet, cliquer sur le nom du patient, puis sur sa feuille de surveillance, et encore un clic pour pouvoir entrer ses constantes ! Là où retranscrire les chiffres par écrits nous prenait une minute, cela nous en prend désormais cinq. Avant, quand j’arrivais le matin, je prenais les dossiers de soins papier et je lisais les transmissions ciblées de mes collègues. Y accéder est tellement long que maintenant, je ne me fie qu’aux transmissions orales ; du coup, on perd de l’information.

Il y a de ce fait beaucoup de documents qu’on n’utilise plus parce qu’ils sont difficilement accessibles. Par exemple, on ne fait plus le recueil de données, le diagramme de soins ou la macrocible. On travaille différemment en tapant tout sous forme de transmissions narratives avec la possibilité de noter des informations prioritaires. Par contre, le gros point positif concerne les transmissions ciblées : globalement, le logiciel nous propose de bonnes cibles, en lien avec les problèmes de santé prévalents de notre service et les actions correspondantes. Et en termes de sécurité, c’est vrai que les informations consignées sur Orbis vont y rester là où des papiers pourraient être égarés. Mais la perte d’information se situe à un autre niveau : pour moi, le dossier de soins informatisé est moins bien tenu et moins complet que le dossier de soins papier, car cela demande trop de manipulations.

TRANSMISSIONS CIBLÉES

DE BONS ET DE MAUVAIS EXEMPLES

S’il y a des règles à respecter dans la rédaction des transmissions ciblées, il y a surtout des écueils.

Parmi les écueils à éviter pointons le recopiage de prescriptions médicales, des opinions personnelles sur le patient, des informations à caractères discriminatoires, ou encore omettre de s’identifier, de dater et d’indiquer sa fonction lors des écrits.

Cette transmission ciblée regroupe sous une même cible deux problèmes dans la prise en charge du patient : l’un lié à son comportement, et l’autre à sa voie veineuse périphérique. Ce regroupement engendre une perte d’information à la lecture de la transmission : seul le problème de comportement semble avoir été pris en charge. De plus, la cible est imprécise. Une cible doit être un énoncé concis et précis, qui reflète l’état de santé du patient. Le comportement ne peut pas être une cible en tant que tel, car il ne décrit à lui seul aucun problème de santé.

Les données indiquées, informations qualitatives et/ou quantitatives en lien avec la cible, sont ici transcrites sous la forme d’un jugement : le patient, étant étiqueté alcoolique, doit « probablement être en manque ». Les actions sont transcrites sans être hiérarchisées et n’apparaissent pas de façon chronologique. Aucun distinguo n’est fait entre les actions sur rôle propre et celles sur prescription médicale, qui sont les seules mentionnées. De plus y apparaît une retranscription de prescription médicale : « valium fait en intra-musculaire ». Les résultats, s’ils évaluent l’efficacité des actions, contiennent une redondance avec la reprise de l’action « intra-musculaire ».