L’HÔTEL APRÈS L’HÔPITAL ? - L'Infirmière Magazine n° 368 du 01/02/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 368 du 01/02/2016

 

CHIRURGIE CONVENTIONNELLE

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Sandra Mignot  

L’expérimentation des hôtels pour patients est sur le point d’être lancée en France.Il ne manque plus qu’un décret. Entre économies et bien-être, que faut-il attendre de ces nouveaux modes d’hébergement ?

Jean-Pierre Bethoux « Dans les services, les professionnels pourront se concentrer sur le soin technique »

Dans quelle mesure les hôtels hospitaliers peuvent-ils permettre aux établissements de réaliser des économies ?

L’objectif initial n’est pas de faire des économies. Le point important, c’est le confort du patient. Celui-ci est dans de meilleures conditions pour récupérer après ou pour dormir avant une intervention prévue très tôt s’il est dans un hôtel plutôt que sur le plateau technique. D’après une estimation de l’ARS Île-de-France, un tiers de ceux qui sont actuellement opérés en chirurgie conventionnelle n’auraient pas besoin d’être hébergés dans une ambiance médicalisée. Mais il est vrai que dans l’expérience que nous avons menée à l’Hôtel-Dieu, il y a cinq ans, l’économie était manifeste puisque nous étions passés de 4 nuitées en moyenne à 0,46 (plus 2 nuits d’hôtel). Par rapport aux dépenses actuelles d’hospitalisation, on pourrait envisager de résorber le déficit de la Sécurité sociale, même si cela augmente à la marge les actes externes.

Quels sont les autres avantages attendus de ces modes d’hébergement ?

Quand nous avons mis cela en place à l’Hôtel-Dieu, cela a permis de ramener dans l’ambulatoire des malades qui étaient dans le parcours conventionnel, tout en leur offrant une sécurité supplémentaire. À l’époque, il était totalement hors de question de laisser les patients sortir aussi vite. Donc nous proposions systématiquement deux nuits d’hôtel après l’intervention. Cela permettait aux anesthésistes et chirurgiens de revoir les patients le lendemain et de confirmer la possibilité de sortie. Cela a permis aussi de dégager des lits en aval des urgences.

Côté soignants, des changements peuvent-ils également être espérés ?

Cela va faciliter le travail des soignants. Dans les services, ils pourront vraiment se concentrer sur le soin technique, alors que les pansements et soins de ceux qui sont en hôtel pourront être planifiés en consultation. Les IDE de consultation, à l’Hôtel-Dieu, nous avaient également fait remarquer que cela renforçait les échanges entre les secteurs hospitalisation et consultation. Plus tard, peut-être, pourquoi ne pas imaginer que certains soins puissent être réalisés dans les chambres hôtelières… Je pense même que cela permettra de développer de nouvelles fonctions, comme les gestionnaires de parcours de soin.

Des oppositions se sont pourtant manifestées, arguant que la véritable chirurgie ambulatoire ne nécessitait pas d’hébergement hôtelier…

Lorsque l’expérimentation a été votée à l’Assemblée nationale, on a pensé que ces hôtels seraient destinés aux patients pris en charge en ambulatoire. Ce ne sera pas le cas, comme l’a précisé une circulaire datée du 18 septembre. Il s’agira donc d’une alternative à l’hospitalisation chirurgicale conventionnelle. Cela concernera peut-être 10 % de patients en ambulatoire, ceux qui habitent très loin. Mais pour moi, c’est un faux débat, et lorsque chacun sera assuré qu’il n’y a pas de risque à sortir le soir même, davantage d’interventions basculeront dans l’ambulatoire pur.

Nicolas Brun « Il ne doit pas y avoir de transfert de charges financières sur le patient »

Ces établissements correspondent-ils à la demande ou aux besoins des patients ?

Cela peut correspondre à une demande de personnes qui habitent loin, sont très fatiguées ou ont des difficultés à organiser leurs déplacements lorsque des examens ou interventions doivent être programmés très tôt, et à qui on recommande souvent de venir la veille. Les patients ne sont pas vraiment demandeurs de passer la fin d’après-midi et la soirée à l’hôpital, dans un environnement médicalisé, toujours un peu stressant. En aval de l’intervention, cela peut aussi représenter un moyen de sécuriser quelqu’un qui ne serait pas totalement en confiance avec l’idée de repartir chez lui, seul et sans possibilité de revenir rapidement à l’hôpital.

Quelles limites identifiez-vous dans le développement des hôtels hospitaliers ?

Il faut bien cerner les choses. Le patient doit être correctement informé de cette option. Et il est indispensable d’obtenir son consentement sans aucune pression. On sait que parfois les choses sont présentées de façon que le patient se sente obligé d’accepter… En particulier dans une situation de fragilité comme peut l’être une hospitalisation. Mais bien sûr, derrière, il y a des enjeux médico-économiques importants pour les établissements et la Sécurité sociale. Mais ceux-ci ne doivent pas prévaloir sur la sécurité et la qualité du soin. Par ailleurs, le reste à charge de ces dispositifs ne doit pas être supérieur au ticket modérateur. Il ne doit pas y avoir de transfert de charges financières sur le patient et il serait impensable qu’on lui fasse payer 80 à 100 € par nuit. À ces conditions, l’expérimentation sera intéressante et nous attendons les résultats de son évaluation, dans trois ans. Et naturellement, à nos yeux, celle-ci devra également porter sur la satisfaction du patient et permettre d’identifier pourquoi certains usagers refusent ce dispositif.

L’absence totale de personnel soignant dans ces hôtels, à la différence de certaines expérimentations étrangères, ne vous inquiète-t-elle pas ?

En effet, nous avons fait remarquer dans une réunion avec la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) que le lien avec l’hôpital gagnerait à être renforcé : présence soignante éventuellement, mais surtout numéro de téléphone direct et procédure de réhospitalisation rapide si nécessaire. Dans le texte qui nous a été présenté, il était simplement question de faire appel au Centre 15 en cas de besoin, avec le risque de repasser quatre heures d’attente aux urgences, alors que la personne et son dossier médical sont bien connus dans le service d’origine. Pour nous, il faut au minimum un numéro direct, dédié à ces patients et en lien avec l’hospitalisation. Nous ne savons pas si ce point sera inclus dans le décret d’expérimentation qui doit être publié sous peu. Nous avons uniquement été sollicités pour la relecture d’un document de la HAS concernant les critères d’éligibilité des patients à ce type de prise en charge, mais nous n’avons pas été associés à sa rédaction ni à celle du décret.

JEAN-PIERRE BETHOUX

CHIRURGIEN CONSULTANT À L’UNITÉ AMBULATOIRE DE L’HÔPITAL COCHIN (PARIS, AP-HP)

→ 1985: PU-PH à l'Hôtel-Dieu (AP-HP)

→ 1998 : chef de service de chirurgie à l'Hôtel-Dieu

→ 2009-2012 : expérimentation de l'hébergement hôtelier Hospitel

→ 2014 : coordonnateur médical de l’Observatoire régional de la chirurgie ambulatoire d’Ile-de-France (Orca)

NICOLAS BRUN

COORDONNATEUR DU PÔLE PROTECTION SOCIALE-SANTÉ À L’UNAF

→ 1986 : entrée à l'Union nationale des associations familiales (Unaf)

→ 1996 : co-créateur du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss)

→ 2004 : président d'honneur du Ciss

POINTS CLÉS

→ Expérimentation : L’expérimentation des hôtels hospitaliers a été votée en 2014 dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale. Le décret qui l’encadre est en cours de finalisation.

→ Débat : L’Association française de chirurgie ambulatoire (Afca) s’est opposée à la création de ces établissements, considérant qu’ils n’encouragent pas le développement de la chirurgie ambulatoire, voire, y font obstacle : « Le meilleur confort pour le patient, c’est son domicile, explique Corinne Vons, la présidente. Si on place quelqu’un à l’hôtel, c’est qu’on estime qu’il y a un risque et qu’il ne remplit pas tous les critères autorisant sa sortie. Donc autant le garder à l’hôpital. L’ambulatoire, cela oblige à faire tout, tout de suite et très bien. Si on ne peut pas, c’en est fini de nos critères d’excellence. »

→ Exemple : Depuis 1991, l’Hôtel-Dieu abrite aussi l’Hospitel. Entreprise privée, sous convention avec l’hôpital, il accueille des touristes et réserve un tarif préférentiel (non pris en charge) aux patients des services de chirurgie ou venus réaliser des examens.