Consentement de son vivant - L'Infirmière Magazine n° 368 du 01/02/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 368 du 01/02/2016

 

PRATIQUE

DOSSIER

Si, contrairement au don d’organes, une certaine forme de tabou entoure le don du corps à la science, certaines modalités doivent être respectées pour pouvoir faire un tel legs. Aujourd’hui, 27 centres répartis sur l’ensemble du territoire sont habilités à recevoir les dépouilles des donateurs.

Fréquemment confondus, don d’organes et don du corps à la science n’ont pourtant absolument rien à voir. Et si, théoriquement, le premier n’exclut pas le second, dans la pratique, cela ne se produit jamais du fait notamment « de la perte de l’intérêt scientifique ». Certaines institutions préviennent d’ailleurs leurs donateurs potentiels que le don d’organes destiné à sauver une vie aura toujours priorité sur un don de corps ; tandis que d’autres indiquent d’emblée leur incompatibilité. En revanche, l’un et l’autre s’appuient sur un fondement juridique et éthique commun : le consentement, l’anonymat et la gratuité. Mais si le don d’organes par une personne décédée ou vivante est strictement encadré par les lois de bioéthique, le don du corps est, lui, régi par un maigre corpus juridique puisqu’il tient en un unique texte de loi rédigé il y a presque 130 ans.

Modalités pratiques

Comme il s’agit d’un acte volontaire, les futurs légataires organisent généralement leur don de nombreuses années avant leur décès, le plus souvent une fois la cinquantaine – à noter qu’un mineur ou une personne placée sous tutelle ne peut faire don de son corps à la médecine. Une personne qui a choisi de faire don de sa dépouille doit effectuer une démarche administrative en s’adressant au centre le plus proche de son domicile. Mais rien n’interdit cependant de faire une promesse à plusieurs établissements. Pour être acceptée, celle-ci doit prendre la forme d’un testament olographe (une lettre entièrement manuscrite de la main même du donateur, qui doit être datée et signée). Et si rien ne s’oppose médicalement à cette volonté, la personne recevra une carte, dont elle ne devra pas se départir jusqu’à son décès ; lorsque cela est possible, il est préférable d’informer ses proches de son souhait. Mais, dès lors, et quelles que soient les circonstances, famille ou proches ne peuvent s’opposer à la décision d’un donateur. Chaque centre doit conserver les actes testamentaires et chaque fichier fait l’objet d’une déclaration à la Commission national informatique et liberté (Cnil).

Et après…

Après le décès, le corps doit être acheminé sous 48 heures au centre désigné par le donateur. Avant le départ, rien n’empêche la tenue d’une cérémonie religieuse ou laïque sur le lieu du décès (domicile ou chambre mortuaire). Pour être accepté par le centre, le certificat de décès devra mentionner que rien ne peut contrarier le don, comme une procédure médico-légale, une maladie contagieuse qui oblige à une mise en bière rapide, ou certaines infections transmissibles (voir encadré ci-contre). Par exemple, une personne infectée par un virus hépatique ou le VIH ne peut pas faire don de son corps. Certains centres procèdent d’ailleurs à des examens virologiques, d’autres non. C’est le cas à l’École de chirurgie de l’AP-HP. « Nous considérons que l’observation des bonnes pratiques universelles suffit à protéger les opérateurs et nous sommes très vigilants sur le respect de ces règles. Par ailleurs, nous avons consulté plusieurs virologues qui s’accordent pour admettre que les tests sont moins fiables sur une personne décédée avec un risque majoré de faux positifs ou de faux négatifs », explique Djamel Taleb, cadre supérieur de santé à l’École de chirurgie de l’AP-HP.

Il faut souligner qu’à l’exception de cette dernière, de la faculté de Lille et de Reims qui pratiquent la gratuité totale de la prise en charge, à condition que le décès du donateur ait eu lieu dans la zone géographique des établissements, tous les autres centres receveurs demandent une participation pour couvrir les frais de transport du corps et de crémation et parfois d’inhumation, des prestations facturées par les pompes funèbres (selon les facultés, le montant du forfait varie de 450 € à 950 €). Le règlement peut être fait directement par le donateur avant son décès ou dans le cadre d’une convention obsèques. Si tel n’est pas le cas, c’est la famille qui devra supporter le paiement. Enfin, si le légataire change d’avis, ce qui est parfaitement son droit, il lui suffira alors de détruire sa carte de donateur et d’informer le centre de son renoncement.

1- À ne pas confondre avec la cimetière de la ville de Clamart dans les Hauts-de-Seine.

EUROPE

DES SITUATIONS CONTRASTÉES

Alors que la France voit, bon an mal an, le nombre de dons du corps se stabiliser, d’autres pays européens sont confrontés à une pénurie ou à une profusion de legs.

En Belgique, les facultés de médecine auraient besoin du double de dons du corps pour faire face à leurs besoins. À l’origine de ce manque, l’augmentation importante des étudiants en médecine et en chirurgie au cours des dernières années. Ainsi, s’il y a dix ans à peine, quatre internes travaillaient sur le même cadavres à la faculté de Liège, ils sont dix désormais à « se partager » un sujet anatomique.

Contre mauvaise fortune bon corps

En Espagne, à l’inverse, les dons du corps sont devenus surnuméraires depuis 2008, année où la crise a frappé de plein fouet la péninsule ibérique. Le prix des funérailles oscillant de 2 500 à 4 000 euros, nombre d’Espagnols n’ont plus les moyens de se faire inhumer, pas plus qu’ils n’ont envie de faire supporter cette charge à leurs proches. Dans ces conditions, le don apparaît comme la moins mauvaise des solutions, puisque les facultés prennent entièrement à leur charge les frais de transport, de conservation et de crémation. L’université autonome de Madrid a ainsi vu augmenter les dons de corps de 40 %, celle de Barcelone de 50 %. Mais comme la crise n’épargne pas les universités, près de 250 corps ont été « découverts » au printemps 2014 dans une petite pièce des sous-sols de l’université madrilène de Complutense. Certains y étaient « conservés » depuis plusieurs années, comme l’a révélé le quotidien El Mundo. À l’origine de cette invraisemblable situation, l’incapacité de la faculté à trouver les budgets nécessaires pour remplacer un cadre parti à la retraite et qui était chargé d’organiser les incinérations et de changer le four de son crématorium vieux de 25 ans et à bout de souffle.

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

> Claire Boileau, Dans le dédale du don d’organes. Le cheminement de l’ethnologue.

Éditions Des archives contemporaines, 2002, 153 p.

> Isabelle Lévy, Les soignants face au décès, Éditions Estem 2009. Un chapitre consacré au don du corps.

> Bernard, J., Le Grand-Sebille, C., (2015), « Les morts sans corps ». Étude qualitative sur la ritualité funéraire dans le cas des dons de corps à la science, rapport pour la Fondation des services funéraires de la ville de Paris, Fondation de France, 79 p.

Sources officielles

> Code général des collectivités territoriales, articles R2213-7 à R2213-14 (Transport du corps avant mise en bière).

> Démarches pratiques sur www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F180

Organismes, sites Internet

Empreintes-asso.com.

> Association Française d’Information Funéraire www.afif.asso.fr/