Pourquoi, quand et par qui se faire vacciner ? - L'Infirmière Magazine n° 364 du 01/10/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 364 du 01/10/2015

 

FORMATION

LA PRÉVENTION

ANTOINE WALRAET  

La vaccination antigrippale, qui peut être réalisée par une IDE, est le meilleur moyen de se protéger contre le virus de la grippe et de ses complications. Même si son efficacité est variable, 2 000 décès sont évités chaque année par son biais.

1. ÉLABORATION DU VACCIN

Les modifications génétiques constantes des virus grippaux imposent d’ajuster chaque année la composition du vaccin antigrippal pour y introduire les souches les plus récentes en circulation.

Choix des souches

Chaque année, un vaccin antigrippal trivalent est ainsi mis au point. Les souches composantes du vaccin sont fonction des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour l’hiver 2015/2016, le réseau de surveillance de la grippe de l’OMS recommande que le vaccin soit élaboré à partir des trois souches suivantes :

- une souche analogue à A/California/7/2009 (H1N1) pdm09 ;

- une souche analogue à A/Switzerland/9715293/ 2013 (H3N2) ;

- une souche analogue à B/Phuket/3073/2013 ;

Ainsi, deux souches vaccinales diffèreront du vaccin 2014-2015 (pour les souches des virus B et H3N2).

Un calendrier précis est respecté : pour l’élaboration du vaccin 2015-2016, l’OMS a annoncé en mars 2015 les souches sélectionnées, permettant aux laboratoires de démarrer la mise en production vaccinale. Les vaccins sont inactivés et purifiés, sans adjuvant.

La production

Ces vaccins sont produits à partir d’œufs de poule embryonnés. Ils sont donc contre-indiqués chez toute personne allergique aux œufs. Les œufs embryonnés sont d’abord réceptionnés et contrôlés. Ils sont ensuite inoculés avec la semence virale, puis sont incubés dans une étuve pendant 48 à 72 heures. Après avoir été placés en chambre froide, les œufs sont ensuite découpés et vérifiés. On récolte le liquide allantoïque contenant les virus. Des étapes de purification, de fragmentation et d’inactivation sont ensuite nécessaires. À la fin de cette étape, on obtient des vaccins monovalents. Les vaccins monovalents sont ensuite combinés, afin d’obtenir les vaccins trivalents attendus. Puis ces vaccins sont répartis, conditionnés et étiquetés.

Les contrôles et la surveillance

Des contrôles rigoureux sont réalisés tout au long de l’élaboration du vaccin. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) intervient dès la phase des essais cliniques dans le développement d’un vaccin, puis dans l’autorisation de mise sur le marché délivrée au niveau national ou européen après évaluation de son bénéfice et de ses risques.

Les vaccins font l’objet d’un contrôle de qualité de chaque lot avant leur mise sur le marché en France et en Europe par une autorité indépendante, qui s’ajoute aux contrôles réalisés par les laboratoires pharmaceutiques. Les laboratoires de l’ANSM, basés à Lyon, réalisent ces contrôles et sont le premier centre de libération des vaccins en Europe. Ce double contrôle constitue ainsi une garantie supplémentaire de la maîtrise de la qualité et de la sécurité des vaccins. Ainsi, chaque année, l’ANSM contrôle et libère environ 40 % des lots de vaccins utilisés en Europe et près de 50 % des doses de vaccins administrés en France.

Après leur mise sur le marché, l’ANSM assure la surveillance de la sécurité d’emploi des vaccins, notamment à travers la pharmacovigilance.

À partir de fin septembre, les vaccins contre la grippe saisonnière sont disponibles en pharmacie. On les retrouve sous différents noms commerciaux : Agrippal, Fluarix, Immugrip, Influvac, ou Vaxigrip.

2. RECOMMANDATIONS GÉNÉRALES

Qui vacciner ?

La vaccination contre la grippe est possible pour tous les individus à partir de l’âge de six mois.

→ Elle est recommandée pour les personnes à risque de complications :

- les personnes âgées de 65 ans et plus ;

- les personnes (adultes et enfants) atteintes de certaines maladies chroniques ;

- les femmes enceintes ;

- les personnes obèses avec un indice de masse corporelle (IMC) supérieur ou égal à 40 kg/m2 ;

- les personnes séjournant dans un établissement de soins de suite ou dans un établissement médico-social d’hébergement, quel que soit leur âge (afin de pouvoir limiter la diffusion du virus dans une collectivité).

→ Elle est également indiquée pour les individus en contact avec les personnes à risque de complication et susceptibles de disséminer le virus :

- les professionnels de santé et tout professionnel en contact régulier et prolongé avec des sujets à risque ;

- l’entourage familial des nourrissons de moins de six mois présentant des facteurs de risque de grippe grave (personnes résidants sous le même toit, la nourrice et tous les contacts réguliers du nourrisson) ;

- le personnel navigant des bateaux de croisière et des avions, et le personnel de l’industrie des voyages accompagnant les groupes de voyageurs.

→ Ces recommandations sont insérées dans le calendrier vaccinal révisé chaque année. Elles sont élaborées par le ministère de la Santé après avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP).

→ Pour toutes les personnes qui désirent éviter la gêne personnelle ou professionnelle occasionnée par la grippe, le vaccin antigrippal présente également un bénéfice. Ainsi, outre les recommandations officielles, il est important de rappeler que tout individu souhaitant se protéger de la grippe peut être vacciné.

Quand et comment vacciner ?

→ En France métropolitaine, il est recommandé de vacciner à l’automne. En effet, il faut compter une quinzaine de jours pour que l’immunité conférée par le vaccin ait le temps de s’établir et que les personnes vaccinées soient protégées.

→ L’efficacité du vaccin contre la grippe est limitée dans le temps. Les anticorps persistent plus longtemps chez les personnes plus jeunes. La persistance des anticorps est de 6 à 8/9 mois chez les personnes âgées de 65 ans et plus. C’est pourquoi il est nécessaire de renouveler cette vaccination chaque année. Les variations antigéniques des virus circulants sont une autre raison de se faire revacciner annuellement.

→ Une seule injection par voie intramusculaire est nécessaire. Mais pour les enfants de moins de 9 ans qui n’ont jamais été vaccinés contre la grippe, deux injections à quatre semaines d’intervalle sont nécessaires. Pour les sujets thrombocytopéniques, hémophiles ou sous anticoagulants, l’injection est réalisée en sous-cutané et non en intramusculaire.

Qui vaccine ?

La vaccination pourra être réalisé par un médecin ou par une infirmière. Afin de faciliter l’accès à la vaccination contre la grippe saisonnière, le ministère de la Santé a, par décret modifiant le code de la santé publique (art. R. 4311-5-1) et par arrêté du 19 juin 2011, autorisé les infirmières à réaliser cette vaccination chez les adultes éligibles sans prescription médicale (à l’exception des femmes enceintes). La vaccination par une infirmière n’est pas possible quand il s’agit d’une primovaccination.

3. EFFICACITÉ ET TOLÉRANCE

La mortalité attribuée à la grippe a fortement diminué au cours des dernières décennies. La disponibilité de vaccins de composition adaptée annuellement et la mise en place de campagnes de vaccination ont contribué à cette réduction.

Efficacité variable

L’efficacité du vaccin est variable selon les années et selon les souches. Elle fluctue aussi selon l’âge, l’immunosénescence entraînant une moindre efficacité. Ainsi, chez les personnes âgées de 65 ans et plus, l’efficacité vaccinale vis-à-vis de la mortalité liée à la grippe est moindre du fait de cette immunosénescence : d’après le Haut conseil de la santé publique (HCSP)(1), elle serait très vraisemblablement inférieure à 50 %. L’impact de la vaccination est néanmoins important : l’Institut de veille sanitaire (InVS) estime à 2 000 le nombre de décès évités par ce biais.

Tolérance

Concernant leur tolérance, les vaccins trivalents inactivés contre la grippe saisonnière sont généralement considérés comme peu réactogènes, en dehors de réactions locales, légères et transitoires qui peuvent survenir suite à la vaccination dans 10 à 40 % des cas. Cela peut, par exemple, se traduire par une douleur et une inflammation de faible intensité au niveau du site de l’’injection, et ce, durant deux à trois jours. Par ailleurs, des événements indésirables bénins tels que fièvre, malaise, douleurs articulaires ou musculaires, céphalées surviennent chez 5 à 10 % des sujets vaccinés.

1- HCSP, « L’efficacité de la vaccination contre la grippe saisonnière chez les personnes âgées et les professionnels de santé », mars 2014.

CHIFFRES

75 % c’est l’objectif fixé par la loi de santé publique de 2004 du taux minimum de couverture vaccinale dans tous les groupes à risque, un objectif qui n’a jamais été atteint.

47 % c’est le taux de couverture vaccinale des populations à risque pour la saison 2014-2015 selon l’InVS, un chiffre en baisse par rapport à la saison précédente (49 %).

83 % c’est le taux de couverture vaccinale au sein des collectivités de personnes âgées, valeur comparable à celles observées depuis 2010-2011.

INTERVIEW

« DÉCONSTRUIRE LES IDÉES FAUSSES »

DR JEAN-PHILIPPE DECOURT

RESPONSABLE DU SERVICE DE SANTÉ AU TRAVAIL AU CENTRE HOSPITALIER DE NIORT

En organisant des tables-rondes, quel but poursuivez-vous ?

Nous partons avec un handicap important, la mauvaise image du vaccin contre la grippe parmi la population, soignants y compris. Nous avons donc bien conscience d’être engagés dans un travail de longue haleine. Lors des tables rondes que nous organisons (lire p. 47) pour convaincre les équipes soignantes de l’importance de se faire vacciner contre la grippe, le public est souvent sceptique. C’est à cette occasion que nous engageons le débat.

Pour convaincre, vous semblez préférer la discussion à la contrainte…

En effet, je me refuse à la contrainte. Nous essayons d’être le plus incitatif et le plus explicatif possible en saisissant toutes les opportunités d’informations : le magazine interne de l’hôpital, l’intranet, une note glissée avec le bulletin de salaire de septembre pour annoncer que l’établissement prend en charge la vaccination. Toutes les occasions sont bonnes pour discuter, sans polémique, à distance des périodes épidémiques et pour déconstruire les idées fausses. Et elles sont légions : sur la fabrication du vaccin, sur son efficacité… Les salariés confondent grippe et syndrome grippal, ce qui les fait considérer à tort que le vaccin n'est pas efficace puisqu’ils ont quand même été malades. Il y a aussi beaucoup de doutes sur les adjuvants, notamment l'aluminium.

Quel est le facteur de persuasion n° 1 ?

Le premier facteur de persuasion reste la grippe elle-même. Les soignants qui ont été cloués au lit une semaine entière par le virus ne regardent pas la proposition de vaccination de la même manière l’année suivante. En revanche, les couvertures vaccinales ne sont pas plus élevées dans les services où les patients sont les plus vulnérables. Protéger ses proches, ses enfants ou ses parents âgés, entre beaucoup plus en ligne de compte. Face à la vaccination antigrippale, les professionnels de santé ne réfléchissent pas comme des soignants, mais comme le grand public. Ce qui explique que le lobby anti-vaccin puisse avoir prise sur eux, d’autant que certains « avis scientifiques » apportent de l’eau au moulin et alimentent les doutes.

Pas question pour autant de stigmatiser ceux qui refusent. Aussi, je suis contre les vaccinations à la queue leu leu dans chaque service, avec un médecin-autre que le médecin du travail-qui récupère la liste des vaccinés à la fin de la séance…. Si l’appui des cadres et des chefs de service est précieux pour relayer le message, il n’est pas question non plus qu’ils vaccinent eux-mêmes leurs collègues. La jeune infirmière au premier trimestre de grossesse, qui s’interroge sur le vaccin, je ne veux pas qu’elle soit obligée d’annoncer ses doutes et sa grossesse à un médecin du service… Et s’il y avait un accident vaccinal lors de l’une de ces vaccinations entre collègues, serait-il couvert par les assurances ? Le médecin du travail est le plus habilité à prescrire un vaccin à un collègue dans le cadre professionnel.

Votre travail commence-t-il à porter ses fruits ?

Ce long travail de confiance et de persuasion commence à montrer de légers, mais constants, effets positifs sur les taux de couverture vaccinale de l’hôpital. Cette année, l’association des étudiants infirmiers nous a demandé de les aider à mettre en place une séance de vaccination et nous recommençons l’opération à la rentrée. C’est une belle perspective pour la future génération de soignants…

PROPOS RECUEILLIS PAR AFSANÉ SABOUHI