Entre l’enclume et le marteau - L'Infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015

 

ARS

DOSSIER

MAGALI CLAUSENER  

Cinq ans après, les ARS ne semblent pas répondre à tous les espoirs que leur création avait suscités. Sur fond de contraintes budgétaires, leur trop forte ingérence dans les hôpitaux est pointée du doigt.

En 2010, la création des Agences régionales de santé (ARS), dans le cadre de la loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires), devait répondre à trois grands objectifs : disposer d’un service public de santé régional unifié et simplifié ; avoir une approche globale de la santé incluant le champ hospitalier, les soins de ville et le médico-social ; élaborer des politiques de santé territoriales avec une offre de soins correspondant aux besoins locaux en permettant une égalité d’accès aux soins. Les ARS ont donc deux grandes missions : le pilotage de la santé publique en région et la régulation de l’offre de santé sur le territoire et sur le plan économique. Cinq ans après leur lancement, quel bilan dresser de cette réforme du système de santé ?

« Les ARS ont réussi à s’installer dans le paysage de la santé », déclare Philippe Damie, directeur général de l’ARS Centre-Val de Loire. Effectivement, aucun acteur ne met en cause l’existence des ARS. « L’ensemble du monde de la santé et la FHF a soutenu et soutient toujours la création des ARS. Il était indispensable d’avoir un outil régional de santé et pas seulement hospitalier », explique Cédric Arcos, directeur de cabinet à la Fédération hospitalière de France (FHF). « L’ARS, qui a succédé à l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH), a une compétence plus large qui couvre tout le champ de l’organisation des soins. Ce qui conduit à un décloisonnement et une vision transversale qui ne peuvent être que positifs », estime par exemple Guy-Pierre Martin, directeur du centre hospitalier Métropole Savoie. Même Jean-Claude Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), a reconnu lors du colloque « Les ARS, cinq ans après » qui s’est déroulé le 1er avril dernier, que « les ARS ont changé la donne [et] bouleversé les habitudes des acteurs de soins ». Du côté des usagers, Claude Rambaud, vice-présidente du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) a souligné, lors du même colloque, que « la volonté de l’ARS de mettre en place une offre de soins cohérente est extrêmement positive [et que] la mise en place des Conférences régionales de santé et de l’autonomie (CRSA) est acquise », même s’il faut aller plus loin.

Un monstre bureaucratique

Cependant, la critique ne tarde jamais à surgir. Claude Évin, l’ancien directeur général de l’ARS Île-de-France(1), l’a clairement exprimé le 1er avril dernier : « Cette réforme n’est pas achevée et génère des insatisfactions. » Il pointe la problématique du rapport entre le régional et le national: « Il y a une adaptation des choix faits nationalement à des régions différentes. L’offre de soins est inégalement organisée. Nous sommes confrontés à un paradoxe avec d’un côté une certaine autonomie, et, de l’autre, une demande de protection par le national. » La régionalisation des politiques de santé ne signifie pas en effet « décentralisation ». Les services de l’État regroupés au sein des ARS sont seulement déconcentrés (lire l’interview p. 21). La politique stratégique est toujours fixée par le ministère de la Santé et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), bref, l’administration centrale. « La relation continue d’être verticale avec une modélisation nationale », a résumé Claude Évin. Les ARS reçoivent ainsi plus de 250 circulaires de l’administration centrale, qu’elles répercutent sur les établissements hospitaliers concernés. Le « Kit de déploiement régional du plan Ondam à destination des ARS » en est le parfait exemple. Ce « kit » prévoit en effet, sur trois ans, différents objectifs nationaux de dépenses de l’Assurance maladie déclinés par région (réduction du nombre de lits, diminution de la masse salariale, taux de chirurgie ambulatoire, économies sur les achats hospitaliers, etc.). Objectif : réaliser 3 milliards d’euros d’économies sur les hôpitaux. Aux ARS de les mettre en œuvre via les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (Cpom) passés avec les établissements de santé. « Les ARS sont devenues de très grosses structures administratives, avec lesquelles les responsables d’établissements ont parfois du mal à communiquer », observe Cédric Arcos. « Au départ, l’organisation était plus fluide et plus transversale, mais on a assisté progressivement à un recentrage, à une dérive médico-bureaucratique, voire technocratique », remarque André Fritz, ancien directeur général du CHU de Rennes, aujourd’hui à la retraite.

Quant à la fixation d’objectifs et d’indicateurs, certains estiment qu’elle met à mal l’autonomie des établissements. Cédric Arcos parle ainsi d’immixtion dans la gestion interne des établissements de la part de certaines ARS. « Il y a un double discours, on nous laisse de l’autonomie, mais il y a aussi une ingérence très forte », relève Frédéric Martineau, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement des centres hospitaliers. Pour ce dernier, l’ARS devrait être un facilitateur et non pas seulement un ordonnateur : « La meilleure façon de réaliser des économies est d’aider les professionnels de santé à organiser dans chaque territoire de santé une offre de soins graduée et de qualité. » Et Michel Rosenblatt, président du Syncass-CFDT, insiste : « L’autonomie des établissements est de plus en plus restreinte. »

Des moyens limités

Dans le même temps, tous reconnaissent que des économies doivent être réalisées et que le contexte budgétaire ne favorise pas le travail des ARS et limite leurs marges de manœuvre. Elles subissent aussi une forte pression, comme le confie Denis Valzer, délégué inter-régional de la FHF en Bourgogne et Franche-Comté. « Les ARS sont prises entre le marteau et l’enclume », confirme un consultant. La question du champ de compétences se pose également. « Les parlementaires ont vidé les ARS d’une partie de leurs compétences sur la médecine de ville et le champ des soins de ville », souligne Cédric Arcos. De fait, si les ARS ont tous les pouvoirs dans le domaine hospitalier, « elles ne s’occupent pas assez de la médecine de ville », a d’ailleurs lancé Gérard Vincent, délégué général de la FHF, lors du colloque sur le bilan des ARS. Même Claude Évin l’a avoué : les ARS sont restées centrées sur les hôpitaux. Or, comment peut-on réguler l’offre de soins si on ne peut pas agir sur toutes ses composantes ? « Il faut inventer de nouveaux modes de contractualisation avec les libéraux, tout le monde y gagnera », a conclu l’ancien directeur général de l’ARS Île-de-France.

En revanche, l’ARS joue bien un rôle transversal entre le secteur hospitalier et le secteur médico-social. « Avoir une agence en remplacement des ARH et des Dass pour réguler, autoriser les activités et contrôler, évite beaucoup de gaspillage. L’articulation avec le médico-social est un vrai point positif, même si elle n’est pas toujours facile à construire », estime Cédric Lussiez, directeur du CH d’Arpajon (91). L’ARS Île-de-France expérimente ainsi à Arpajon un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) pour 120 personnes âgées, qui permet de repérer les personnes les plus fragiles sur le plan sanitaire. « Les infirmières du Ssiad travaillent avec l’équipe mobile gériatrique du CH d’Arpajon pour que les hospitalisations interviennent en dernier recours et s’effectuent directement en gériatrie. Il y a un véritable apport de l’ARS », précise Cédric Lussiez.

Des relations interpersonnelles

Entre aussi en ligne de compte dans les rapports entre ARS et hôpitaux, les relations interpersonnelles. Chaque ARS est marquée par la personnalité de son directeur général et les compétences de ses services. Les pratiques des ARS diffèrent ainsi d’une région à une autre. Certaines optent pour des démarches concertées, voire participatives. C’est le cas de l’ARS Bretagne qui a décidé d’être très incitative pour développer la chirurgie ambulatoire depuis 2011 (voir p. 22).

La qualité et la sécurité des soins offre un autre exemple de coopération entre ARS et établissements. En Île-de-France, les gestionnaires de risques des établissements de santé et médico-sociaux, réunis au sein du Grrifes(2), travaillent en étroite collaboration avec l’ARS. « Elle a apporté un soutien organisationnel lors des expérimentations de déclaration des événements indésirables graves liés aux soins en 2010. Par la suite, elle a apporté un soutien logistique au Grrifes. Elle organise aussi les journées régionales de gestion des risques », précise le Dr Henri Bonfait, vice-président du réseau. « Elle a permis de coordonner les actions et aux différents acteurs de travailler ensemble », souligne Maryline Gautier, gestionnaire de risques au CH d’Arpajon. Aujourd’hui, le Grrifes est chargé par l’ARS de mettre en œuvre la structure régionale d’appui (SRA) de la gestion des risques pour l’ensemble des acteurs y compris de l’ambulatoire. Autre exemple de coopération avec l’ARS Centre-Val de Loire : « Les délégations territoriales mobilisent les acteurs de terrain afin d’élaborer une politique d’ensemble avec tous les professionnels de santé pour les enjeux stratégiques comme la télémédecine, le “télé-AVC”, le parcours santé des aînés (Paerpa)… Cette logique partenariale prévaut aussi entre les établissements publics et privés », détaille Philippe Damie. Ce dernier a demandé à chaque établissement une feuille de route pour le plan triennal, qui sera ensuite discutée avec l’ARS.

Il ne faut pas non plus négliger le rapport de force qui s’instaure entre chaque partie. Pour les établissements « bons élèves », il sera forcément plus favorable. Les restructurations imposent aussi des relations plus suivies entre ARS et direction des hôpitaux. Le mélange est donc parfois subtil entre les pratiques et les relations entre ARS et professionnels de santé.

Et demain ?

Sur le terrain, nombre de projets aboutissent, le bilan est donc loin d’être négatif. Mais qu’en sera-t-il demain avec la réforme territoriale ? La fusion de certaines régions conduit en effet au regroupement de deux à trois ARS. La dynamique lancée ne risque-t-elle pas d’être freinée ? Ces instances ne vont-elles pas devenir des « super-monstres bureaucratiques » ? Nicolas Portolan se montre optimiste : « La réforme territoriale est plus une opportunité qu’une menace. Nous allons mutualiser les expériences et les savoir-faire. ». À l’inverse, « la fusion des ARS nous inquiète énormément », s’inquiète Frédéric Martineau. Une chose est sûre : tous les acteurs de santé guettent les préfigurations des futures ARS des nouvelles régions.

1- À l’heure où le dossier a été rédigé, Claude Évin était directeur de l’ARS Île-de-Fance ; il a été remplacé à ce poste, le 1er juillet, par Christophe Devys.

2- Grrifes : Gestion des risques réseau Île-de-France des établissements de santé.

EN CHIFFRES

Les protocoles de coopération, c’est :

57 dossiers transmis par les ARS en 2013, traités ou en cours d’instruction par la HAS : 29 concernent les soins de premier recours ;

28 des actes ou des activités hospitalières ; 23 protocoles concernent des actes techniques isolés comme la réalisation par une IDE de ponction médullaire en crête iliaque postérieure à visée diagnostique ou thérapeutique ;

34 protocoles correspondent à la réalisation de consultations par l’IDE (ex. : malades Alzheimer, patients ayant subi un acte de chirurgie de l’obésité).

Source : HAS