Passerelle pour le progrès - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

INFIRMIÈRE DE RECHERCHE CLINIQUE

CARRIÈRE

PARCOURS

CATHERINE FAYE  

Véritable maillon d’une chaîne entre patients, médecins et techniciens, l’infirmière de recherche clinique est un acteur clé dans la réalisation des essais cliniques. Zoom sur un métier en émergence.

Nul doute, la fonction d’infirmière de recherche clinique (IRC) a de l’avenir ! Boostée par le développement des essais cliniques sous l’impulsion, notamment, des plans cancer, elle bénéficie de la professionnalisation de la recherche clinique engagée depuis quelques années. Une évolution qui contribue à asseoir ce nouveau métier et en définir les contours. « La loi dite Huriet-Sérusclat, du 20 décembre 1988, a permis à la France de légiférer en la matière alors que certains essais étaient déjà menés dans des établissements de santé, sous la supervision de médecins, sans véritable cadre légal, confirme Ljiljana Jovic, directrice des soins et présidente de l’Association de recherche en soins infirmiers (Arsi). Sa révision, en 2004, a permis d’harmoniser les règles en matière de vigilance des essais thérapeutiques entre les différents membres de l’Union européenne. Une base de données européenne des effets indésirables graves inattendus est créée, les comités de protection des personnes (CPP) deviennent un passage obligatoire pour pouvoir démarrer un essai. ». Ainsi, avant de donner son autorisation, le CPP, constitué de professionnels de la santé et de représentants des patients, « s’assure que tout se fait dans les règles pour le bien-être du patient », ajoute Candice Brunet, IRC dans la petite équipe mobile mise en place par la Fondation Imagine(1) à l’hôpital Necker-Enfants malades. Par exemple, l’IRC doit signer une feuille de délégation des tâches, bien précisées, afin qu’il n’y ait aucun débordement et que chaque rôle soit bien défini, consigné dans un classeur relatif à l’étude en cours. » Aujourd’hui, « le plus souvent, le médecin dirigeant une étude, ou médecin investigateur, s’appuie sur les unités spécifiques adaptées, intégrées dans les centres hospitaliers universitaires (CHU), comme les centres d’investigations cliniques (CIC) ou les centres de recherche clinique (CRC) », explique Candice Meyzer, médecin coordonnateur à l’URC-CIC Paris-Descartes Cochin-Necker, créé en 2009. Ces centres placés sous la double tutelle de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l’hôpital public, offrent une unité de lieu et de compétence indispensable à la réalisation des protocoles de recherche.

RÔLE CHARNIÈRE

Une organisation qui a fait naître de nouveaux besoins auxquels répondent désormais les IRC. « Nous assurons le suivi des patients et la logistique des protocoles », explique Solange Fabbri, qui exerce au sein de l’URC-CIC Paris-Descartes Cochin-Necker. Cela, tout en veillant à la qualité et la sécurité des soins. Dans cette unité, les essais cliniques pédiatriques sont encadrés par des médecins délégués (pédiatres), des assistants de recherche clinique (ARC) et des techniciens d’études cliniques (TEC) qui montent le projet et participent à son bon déroulement, ainsi que par deux IRC. L’URC-CIC qui compte quelques lits, des bureaux pour les consultations, une salle de traitement des échantillons, une autre de stockage des échantillons, travaille en étroite collaboration avec le CHU. Ce dernier peut « repérer », pendant leur hospitalisation, les jeunes patients susceptibles d’ être intégrés à un essai clinique. Tout commence « lorsque le médecin d’un service contacte notre cadre et présente l’étude qui va nécessiter l’implication d’une IRC. On se rencontre d’abord, raconte Candice Brunet. Puis, vient le moment de planifier et d’organiser. Je participe à l’information des patients – des patients souvent inquiets qui ont besoin d’attention … ». La palette des fonctions de l’IRC ressemble à un inventaire à la Prévert : accueil, temps d’information et de reformulation au patient consentant, évaluation de la compréhension des informations qui ont été données par le médecin au malade, examens complémentaires, mise en route du protocole, recueil de données, explications du calendrier d’essais cliniques établis par le TEC et mise en œuvre de ces essais – analyses, délivrance de médicaments et surveillance de l’observance aux traitements – dans le respect des bonnes pratiques cliniques, surveillance des effets secondaires du traitement. Sans oublier le relationnel, essentiel pour les IRC. « C’est le médecin qui présente le protocole, mais, étant en charge du suivi, nous nous devons de reformuler les explications, en fonction du délai de réflexion, des questions qui arrivent, du besoin de se confier, des peurs, des appréhensions », développe Candice Brunet. Les visites de suivi qui peuvent être très régulières ou parfois espacées de plusieurs mois nécessitent un contact permanent par téléphone ou par e-mail. Chaque patient a son parcours particulier, son histoire, et l’IRC représente alors un lien, un repère. « Je deviens une référente que l’on revoit régulièrement, une sorte de point fixe, explique Marlène Stassen, IRC à l’Institut Curie. Je fais en sorte que traitement et vie privée se passent pour le mieux et qu’il n’y ait pas collision entre les deux. ».

POLYVALENCE ET RIGUEUR

Chacun ayant son rôle propre au sein de l’équipe, l’organisation et la gestion du planning sont cruciaux. À cet égard, l’IRC, véritable maillon d’une chaîne entre patients, médecins et techniciens, est un acteur clé du bon déroulement d’un essai clinique. L’exercice peut s’avérer complexe car chaque protocole a sa spécificité. À l’URC-CIC Paris-Descartes Cochin-Necker, ils peuvent durer d’une journée à plusieurs années et concernent toutes les pathologies pédiatriques, notamment chroniques (rhumatologie principalement, gastroentérologie, néphrologie…). De même, au sein d’un hôpital, la fonction est susceptible d’évoluer selon les pathologies. C’est le cas au CIC du CHU de Bordeaux, qui développe son activité sur sept axes thématiques : cancérologie, neurosciences, pneumologie, cardiologie, pédiatrie plurithématique, imagerie et pharmaco-épidémiologie. Les cinq IRC expliquent : « Notre activité est modulable sur la journée ou la semaine en fonction des impératifs liés à la recherche. Au total, nous intervenons dans 70 protocoles ; cela peut aller d’un prélèvement sanguin et de prises de constantes et durer une heure, ou nécessiter notre présence pendant dix heures avec des prises en charge plus complexes. » De la spécificité à la multiplicité, il n’y a qu’un pas. Souplesse, polyvalence et vigilance sont donc nécessaires car chaque étape, chaque constat est important.

Outre un bon sens de d’organisation, la mise en œuvre des protocoles et leur surveillance requièrent des qualités d’observation et d’appréciation. « À nous d’évaluer si un soin ou un prélèvement est possible, en fonction du temps imparti, ou d’autres facteurs », précise Solange Fabbri. Pour veiller à la qualité et à la sécurité des soins, il faut une grande rigueur, comme pour le recueil de données dans le cahier d’observation ou CRF (Case Report Form). Car il s’agit d’obtenir des résultats fiables en vue d’aboutir à une avancée significative des connaissances de l’étude entreprise. En effet, la recherche clinique recouvre les recherches « organisées et pratiquées sur l’être humain en vue du développement des connaissances biologiques et médicales », spécifie le Centre national de gestion des essais de produits de santé (CeNGEPS), organisme regroupant les principaux acteurs publics et privés de la recherche clinique. « Un CIC fonctionne dans les deux sens : du lit du malade au laboratoire de recherche (connaissance des maladies) et du laboratoire au lit (innovation thérapeutique). Les infirmières tiennent donc un rôle crucial dans le recueil des données - informations et prélèvements - qui seront ensuite analysées dans les laboratoires », prévient Jean-Louis Bresson, coresponsable du CIC Necker-Cochin. Plus largement, « la recherche clinique est un état d’esprit qui nous invite à nous poser des questions, à essayer de comprendre, à en savoir plus et à faire évoluer nos connaissances », témoigne Marlène Stassen. C’est encore cette implication qui renforce le lien avec le patient et garantit le bon déroulement de l’essai.

Si l’IRC travaille toujours sous la supervision d’un médecin, les résultats obtenus et la vérification de l’hypothèse de départ peuvent dépendre de sa compétence et engagent sa responsabilité. « Comme une infirmière en soins généraux, on est responsable de ce que l’on administre et on doit se conformer à une éthique et au secret professionnel. Cela nous est présent à l’esprit à chaque instant. De plus, nous devons nous assurer de la faisabilité d’un acte, que les consentements soient bien signés, que rien ne manque. C’est un vaste travail de vérification », assure Solange Fabbri. Quel que soit le projet, il convient d’être très vigilant en ce qui concerne les aspects éthiques et le respect des dispositions juridiques existantes. « Les procédures dans la recherche sont très spécifiques, il y a un guide de pratiques cliniques à respecter et des connaissances dans le domaine de la recherche sont essentielles pour comprendre ce que l’on fait », confie Candice Brunet, formée sur le terrain.

UNE SPÉCIFICITÉ EN DEVENIR

L’accès à la fonction d’IRC nécessite-t-il pour autant un parcours spécifique ? « Toute IDE peut être amenée à participer à un protocole de recherche clinique dans un service de soins », affirme Solange Fabbri. Souvent riche d’un parcours professionnel expérimenté, celle-ci aura généralement acquis des connaissances, des compétences et surtout une expertise dans la discipline où elle exerce. Elle s’est spécialisée en s’impliquant personnellement et professionnellement dans la recherche. Dès lors, sans avoir nécessairement suivi de formation préalable, elle endosse la fonction d’IRC – la spécialité n’étant pour l’instant pas reconnue -, sans modification de son contrat de travail, et devient partenaire du médecin investigateur. Toutefois, « malgré des formations officielles sur des thèmes précis appliqués à la recherche clinique, comme l’aspect juridique », souligne Candice Brunet, il est important de pouvoir se former, car les procédures changent du rôle infirmier classique dans les services hospitaliers. De fait, souvent chronophage, cette spécificité infirmière ne laisse parfois pas assez de temps pour la réflexion ou le recul. ».

D’ailleurs, « de plus en plus d’IDE cherchent à se former pour développer des compétences et acquérir une légitimité », développe Chantal Eymard, cadre de santé et maître de conférence habilitée à diriger des recherches, à l’Université Aix-Marseille. Mais, à ce jour, peu de formations (voir encadré ci-dessus) permettent d’acquérir les compétences nécessaires à ce nouveau profil de poste, dont il n’existe pas de statut au niveau national, mais qui est de plus en plus demandé par les équipes de recherche. « Cette spécificité infirmière a de l’avenir, assure-t-elle, et pourrait même, à court ou moyen terme, intéresser les infirmières libérales, car mettre en place des essais cliniques à domicile éviterait aux patients de se déplacer dans le cadre de certains protocoles. »

EN QUÊTE DE RECONNAISSANCE

Par ailleurs, des passerelles vers de nouveaux métiers dans la recherche sont possibles, comme devenir ARC ou TEC. Ces deux métiers viennent enrichir les connaissances et les compétences des IRC, voire leur donnent un nouveau statut si elles choisissent de ne plus prodiguer d’actes de soins. Plus administratif, le rôle du TEC permet d’assurer le bon déroulement de l’essai, tout en gérant les données logistiques. Quant à l’ARC, plus autonome, il fait le lien entre le laboratoire promoteur et le médecin investigateur, se déplace, identifie les actions à mettre en place et contrôle leur exécution. Mais, attention, l’un comme l’autre ne peuvent réaliser de soins et de gestes infirmiers. Enfin, autre passerelle possible, la recherche infirmière. « On peut améliorer nos pratiques en ouvrant un PHRI (programme hospitalier de recherche infirmière). Ce serait pour moi encore une avancée et une implication plus personnelle dans la recherche », assure Marlene Stassen. Si, d’un côté, l’IRC intervient dans la phase de réalisation d’un essai clinique, de l’autre, l’infirmière porteuse d’un projet de recherche est l’instigatrice d’une idée en vue d’améliorer le confort, la sécurité du patient : elle dépose son projet, le fait valider pour qu’il puisse être réalisé. L’une comme l’autre ont pour objectif de favoriser l’évolution des soins, de participer aux progrès de la médecine. Elles valident et apportent leur savoir-faire dans le processus de progrès de la science.

Il n’en reste pas moins que l’IRC manque encore de reconnaissance. « Il faut dire qu’avec 40 ou 50 ans de retard par rapport aux États-Unis, la professionnalisation de la recherche clinique en France est encore récente », indique Jean-Louis Bresson. Elle représente une étape indispensable dans le développement de nouveaux traitements » À l’Institut Curie, la recherche clinique constitue un axe stratégique : « Pour la seule année 2013, 73 nouveaux essais cliniques y ont été ouverts et 215 études sont actuellement en cours », indique Florence Lantier, cadre du département de recherche clinique. Parmi les essais promus, l’essai Shiva, qui démontre la possibilité de réaliser la carte génétique de la tumeur des patients en moins de quatre semaines afin de les traiter de façon très ciblée, illustre à quel point l’interdisciplinarité est concrète et efficace. C’est parce qu’il existe une proximité forte entre toutes les personnes impliquées, dont les IRC, qu’il a été possible de caractériser le profil biologique des tumeurs à ce très haut niveau. « Dans ce contexte, les infirmières ont leur rôle à jouer dans les essais cliniques et les progrès de la médecine », assure Ljiljana Jovic.

1 - http://www.institutimagine.org Cet institut de recherche et de soins innovants, dont l’objectif est de mieux comprendre les maladies génétiques pour mieux les soigner et de trouver de nouveaux traitements.

ÉTHIQUE ET JURIDIQUE

Des essais encadrés depuis 1988

Les essais cliniques s’appuient sur des règles auxquelles doit se soumettre toute recherche médicale, en particulier le respect des dispositions légales :

• la loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales ;

• la loi du 1er juillet 1994, veillant au respect de la confidentialité des informations individuelles recueillies dans le cadre de la recherche biomédicale ;

• les lois bioéthiques de juillet 1994, ayant pour objectif de protéger les personnes et leur dignité face aux avancées scientifiques ;

• la loi du 4 mars 2002, portant sur les droits des malades et sur l’obligation de les informer des résultats individuels et globaux de la recherche ;

• les bonnes pratiques cliniques définies par l’ensemble des dispositions à mettre en place pour la planification, la mise en oeuvre et le rapport d’un essai clinique afin de garantir la validité des données, la protection des droits et de la sécurité des personnes participantes, ainsi que la confidentialité des informations.

FORMATION

Un seul diplôme spécifique

« Le diplôme inter-universitaire IRC-TEC de l’Université Paris Descartes est le seul DU à former des infirmières à la recherche clinique dédiée », informe Sandra Colas, responsable. Avec une vingtaine d’inscrits chaque année, le programme aborde méthodologie, réglementation, vision globale sur la recherche clinique. Les autres formations sont plus complémentaires que spécifiques. Telles les formations universitaires ou privées d’assistant de recherche clinique (ARC) ou de technicien d’études cliniques (TEC)

Les différentes offres

→ Le DIU IRC-TEC de la faculté de médecine de Paris-Descartes, conjointement avec les Universités Paris-Diderot, www.scfc.parisdescartes.fr

→ Le DIU Farc (Formation des assistants de recherche clinique) existe depuis plusieurs années dans les facultés de médecine de Paris 6, Paris 7, Lyon, Nantes, Bordeaux, Strasbourg et Aix-Marseille.

→ Différents organismes comme Sup santé, Mediaxe ou ClinAct délivrent un diplôme après validation d’un examen de fin d’étude.

www.clinactformation.com

www.supsante.com/formation-continue/attache-recherche-clinique.cfm

www.mediaxe-formation.com

SAVOIR PLUS

→ http://decitre.di-static.com/media/pdf/feuilletage/9/7/8/2/2/9/4/7/9782294715686.pdf

→ http://www.infirmiers.com/votre-carriere/votre-carriere/de-l-infirmiere-de-recherche-clinique-en-oncologie-a-l-infirmiere-praticienne.html

→ Déclaration d’Helsinki de l’AMM (Association médicale mondiale) – Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains : http://www.wma.net/fr/30publications/10policies/b3/index.html

→ « La recherche clinique : problématique et organisation », Ljiljana Jovic, Recherche en soins infirmiers, vol. 84, 2006/01

→ « Initiation à la démarche de recherche », Elsevier Masson, 2012.