La culture du risque, le cheval de bataille de la formation - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

FORMATION

RÉFLEXION

Marie Fuks  

En matière de prévention des erreurs de côté, la formation spécifique des Ibode couvre un champ très large. En revanche, beaucoup reste à faire pour améliorer la formation des IDE qui travaillent au bloc, mais aussi sensibliser tous les personnels qui interviennent sur le parcours de soin du patient.

Approche transversale des risques

S’il n’existe pas de chapitre spécifique à l’erreur de côté en chirurgie orthopédique dans la formation des Ibode, cette spécialisation repose en revanche sur un programme très complet. Sur les 870 heures de cours qui leur sont dispensées, 300 heures sont consacrées au module 4, « Infirmière de bloc dans la maîtrise de sa fonction », dans lequel un chapitre est dédié à la gestion des risques.

« Au-delà du programme (NDLR : il date de 2001 et n’a pas été actualisé depuis), explique Brigitte Ludwig, présidente de l’Union nationale des associations d’infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État (Unaibode), une grande majorité des écoles d’Ibode, à l’instar de celle dans laquelle j’exerce à Colmar, travaillent depuis une dizaine d’années en intégrant de manière transversale la gestion de risque dans les différents modules. Par exemple, dans le module 3 relatif à la prise en charge de l’opéré au cours des actes chirurgicaux, on s’attarde sur les risques d’erreur de côté que peut induire une mauvaise installation du patient sur la table d’opération ; dans le module 2 – consacré à l’Ibode et l’environnement technologique –, on étudie les risques associés à l’usage du bistouri électrique, l’objectif étant de systématiser la question des risques auxquels le patient va être soumis afin de décliner les actions préventives qu’il faut mettre en rapport. » Une démarche qui oblige les futures Ibode à réfléchir de manière réflexe en termes de gestion des risques pendant toute leur formation.

Mise à niveau permanente

Dans le même objectif, les évolutions apportées afin de sécuriser les pratiques sont systématiquement intégrées au programme au fur et à mesure de leur mise en pratique. Ce fut le cas de la check-list de la Haute autorité de santé (HAS), obligatoire dans les blocs opératoires depuis le 1er janvier 2010, ou encore du marquage du site opératoire qui a fait l’objet de la publication d’un guide Ceppral (Coordination pour l’évaluation des pratiques professionnelles en santé en Rhône-Alpes)/HAS en 2012 sur lequel les enseignants peuvent s’appuyer pour former les Ibode aux recommandations dans ce domaine.

C’est dire si l’enseignement en matière de gestion des risques suit l’actualité et répond aux attentes des infirmières en formation. « Il y a vraiment eu une évolution très nette dans les attentes des IDE qui font la formation d’Ibode, poursuit Brigitte Ludwig. Autant leurs préoccupations étaient principalement foca?lisées sur la chronologie des gestes il y a une quinzaine d’années, autant, aujourd’hui, leurs priorités s’orientent sur l’acquisition du savoir et du savoir-faire méthodologique indispensables à la gestion et à la maîtrise des risques inhérents à la prise en charge du patient au bloc. »

Culture de la sécurité collective

Cela dit, l’acquisition de ces savoirs n’est pas suffisant. Elle doit s’accompagner d’un changement d’état d’esprit que la formation doit insuffler dans l’objectif de créer une véritable culture de la prévention du risque partagée par tous. « On lutte contre des décennies de fonctionnement individualiste qui font peser sur les chirurgiens et les soignants le poids de la responsabilité, de la culpabilité et de la solitude lorsqu’une erreur grave est commise, identifiée, signalée et analysée, constate le Dr Régine Leculée, qui pilote la Prage (plateforme régionale d’appui à la gestion des évènements indésirables, créée par l’ARS Aquitaine). La formation doit contribuer à bannir la culture du blâme, à modifier cette vision individuelle de “la faute” et cette façon de penser au profit d’une culture de la sécurité collective qui permettra de systématiser le signalement et l’analyse des évènements indésirables et de faire progresser l’approche systémique et la réduction des risques au bloc. » Cela suppose de comprendre que la certification, la procédure et le protocole, la check-list, le marquage, le time out (voir p. 48)… sont là pour harmoniser et non contraindre les pratiques, et que l’analyse des erreurs ou évènement porteurs de risques à valeur sentinelle sont riches d’enseignement pour toute la chaîne du parcours de soins du patient, de la consultation à la sortie du bloc opératoire. Cela exige également d’accepter d’être contrôlé par son voisin, d’être interpellé si l’on n’est pas clair et, à l’inverse, d’oser poser des questions si l’on ne comprend pas. « Autant de schémas qui doivent faire leur chemin à l’échelle interprofessionnelle, que ce soit par le biais de la formation initiale et continue des Ibode(1) ou par la formation interne de tous les personnels soignants (IDE, internes, cadres infirmiers, aides-soignants, brancardiers) et administratifs (secrétaires, assistantes des chirurgiens) qui interviennent à un moment donné du parcours de soin du patient et sont susceptibles de faire ou de détecter une erreur », commente Brigitte Ludwig.

Une démarche de sensibilisation et de formation qui pourrait être développée auprès de l’ensemble des personnels concernés dans le cadre de journées d’information et de formation organisées par les établissements, ou encore à l’occasion de la certification. C’est l’une des missions des structures régionales d’appui (SRA)(2) qui sont progressivement mises en place dans l’ensemble du territoire.

Et le patient dans tout ça ?

Partenaires à part entière, les patients, dès lors que la communication n’est pas altérée voire impossible (patient étranger, sourd-muet, aux facultés cognitives diminuées, confus car prémédiqué, phobique, jeunes enfants en âge préverbal…), doivent être impliqués tout au long du circuit de soins.

« Ils sont acteurs de leur propre sécurité, précise le Dr Leculée, et sont tenus, à ce titre, d’être formés et éduqués afin qu’ils puissent s’inscrire de manière constructive dans le processus de sécurisation. Il est fréquent que les patients s’agacent parce qu’on leur demande à chaque étape leur identité et le côté qui va être opéré. Ils ont tendance à percevoir ces vérifications répétées comme la conséquence d’un manque de communication entre services ou un manque de suivi dans leur dossier alors qu’il s’agit, au contraire, d’encadrer leur prise en charge d’un maximum de sécurité en leur donnant la possibilité de signaler une incohérence ou d’émettre un doute sur telle ou telle information. »

D’où l’importance de leur expliquer en quoi ces contrôles sont importants pour eux et de s’assurer qu’ils ont compris les objectifs du processus de vérification et sont prêts à intégrer la chaîne de sécurité dans un esprit de confiance et de respect réciproque partagé.

1- En 2014, pour la première fois, l’Unaibode a mis le thème « gestion des risques au bloc » au programme des formations continues des Ibode.

2- Pour connaître les structures existantes : http://www.forap.fr/adherents.php.

VALIDATION DES ACQUIS DE L’EXPERIENCE

La solution pour les IDE ?

Les Ibodes ne représentent que 35 % du personnel infirmier des blocs opératoires. Nombreuses sont donc les IDE affectées et formées « sur le tas » au bloc qui, n’ayant pas suivi la spécialisation – organisation du système oblige –, constituent une source d’erreur faute des connaissances et compétences requises. Un sujet particulièrement sensible dans la mesure où, à l’exception des actes désormais prescrits par les médecins aux Ibodes(1), l’exercice au bloc n’est pas différencié entre Ibode et IDE alors qu’il existe de fait, du moins dans les premiers temps, une réelle distorsion quant à la maîtrise de la gestion des risques et la compréhension et l’intégration des méthodes de travail spécifiques au bloc. Qui plus est, « les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) n’intègrent pas de cours sur l’exercice infirmier en bloc opératoire, et les circulaires(2) incitant à la planification des formations Ibode pour les IDE affectées au bloc, sont peu ou pas appliquées dans la plupart des établissements de santé », remarque l’Ordre national des infirmiers(3).

Huit compétences

Si des progrès sont à réaliser dans le sens de l’application de ces circulaires, dont la plus récente date de 1998 (!), l’Unaibode reste sceptique quant à ce qu’on peut en attendre. En revanche, elle se félicite que la gestion des risques de manière générale soit de plus en plus intégrée par les chefs d’établissements dans les programmes des Ifsi et espère beaucoup du récent arrêté sur la validation des acquis de l’expérience (VAE)(4), qui permet aux IDE d’obtenir le diplôme d’Ibode après validation de huit compétences. « Ce dispositif est intéressant, commente Brigitte Ludwig, la présidente de l’Union nationale des associations d’infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État (Unaibode). Toutefois, il conviendrait de l’amender afin que les IDE puissent valider certaines compétences en école d’Ibode, en particulier les méthodes de travail et la gestion des risques. » Une suggestion qui leur permettrait effectivement de bénéficier de l’expérience et du recul des pratiques acquises par les Ibode dans ces domaines cruciaux du travail au bloc.

1- Décret n° 2015-74 du 27 janvier 2015 relatif aux actes infirmiers relevant de la compétence exclusive des infirmiers de bloc opératoire.

2- Circulaires du 2 août 1989, 7 décembre 1992, 26 juillet 1994, 4?septembre 1998.

3- Rapport « Enjeux et perspectives pour l’évolution de la pratique et de la formation d’Ibode », ONI, juin 2010.

4- Arrêté du 24 février 2014 relatif aux modalités d’organisation de la validation des acquis de l’expérience pour l’obtention du diplôme d’État d’infirmier de bloc opératoire.