Un risque majeur - L'Infirmière Magazine n° 360 du 01/05/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 360 du 01/05/2015

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

DR ARNAUD PETIT  

Le patient neutropénique est confronté à un risque infectieux susceptible de mettre en jeu son pronostic vital. Le point sur sa surveillance et ses traitements.

1. DESCRIPTION

La neutropénie est définie par un nombre absolu de polynucléaires neutrophiles inférieurs à 1 500/mm3 chez l’enfant de plus de 1 an. En situation fébrile, définie par une température corporelle supérieure à 38,5 °C une fois, ou supérieure à 38 °C deux fois à une heure d’intervalle, le risque d’infection grave survient essentiellement lorsque les polynucléaires neutrophiles sont inférieurs à 1 000/mm3. Il est significativement majoré en dessous de 500/mm3 et lorsque que la durée de la neutropénie est supérieure à dix jours. Dans le cadre de l’urgence, deux situations peuvent se présenter : la neutropénie est déjà connue ou attendue (cf. terrains à risque), ou sa découverte est fortuite.

Terrains à risque

Patients à haut risque de complications infectieuses graves :

• Neutropénies secondaires à une chimiothérapie cytotoxique anticancéreuse ;

• Aplasies médullaires idiopathiques ;

• Neutropénies constitutionnelles liées à une maladie génétique complexe, ou neutropénies constitutionnelles primitives (neutropénie congénitale, neutropénie cyclique).

Patients à risque modéré de complications infectieuses graves (neutropénies auto-immunes).

Découverte fortuite d’une neutropénie fébrile : les neutropénies en contexte viral sont fréquentes, mais seule l’évolution permet d’affirmer cette hypothèse. Dans le cadre de l’urgence, une neutropénie inférieure à 500/mm3, en contexte fébrile, doit conduire à la même prise en charge que les terrains à risque.

Démarche diagnostique

Évaluation clinique

L’examen clinique doit être complet avec une attention particulière portée sur les points suivants :

• Évaluation hémodynamique : conscience, FC, PA, TRC, diurèse ;

• Examen respiratoire, avec mesure de la FR et de la SpO2 (saturation pulsée en oxygène) ;

• Examen attentif de la peau et des muqueuses (peau, bouche, périnée), recherche de cellulite ;

• Contrôle visuel de l’émergence cutanée d’un cathéter veineux central (CVC) percutané. Inspection et palpation d’un dispositif vasculaire implantable sous-cutané (port-a-cath).

Examens complémentaires

• NFS (numération formule sanguine), CRP (protéine C réactive), PCT (la procalcitonine), ionogramme sanguin ;

• Recherche d’agglutinines irrégulières (RAI) (contexte d’aplasie médullaire ou d’aplasie post-chimiothérapie) ;

• Prélèvements microbiologiques des lésions cutanées ou muqueuses, de l’orifice du cathéter veineux central (si inflammation, écoulement) ;

• Prélèvement nasopharyngé pour examen virologique (si contexte viral) ;

• Radiographie thoracique (si point d’appel clinique) ;

• ECBU (si point d’appel clinique) ;

• Coproculture si diarrhée ;

• Hémoculture.

Étiologie

Principaux agents infectieux en cause

• Agents microbiens à haut risque d’aggravation rapide, pouvant mettre en jeu le pronostic vital :

– Bacilles à Gram négatif (entérobactéries) ;

– Streptocoques ;

– Levures (patients traités pour une hémopathie maligne) ;

• Agent microbien le plus souvent identifié, chez les patients porteurs d’un cathéter veineux central : staphylocoques epidermidis ;

• Virus (contexte épidémique ou contage familial).

Pièges et réflexes

• La leuconeutropénie peut être un marqueur de gravité dans certaines infections graves.

• La corticothérapie, fréquemment utilisée dans le traitement des leucémies, peut masquer la fièvre. Dans ce contexte particulier, et chez les patients fortement immunodéprimés en général, les frissons, les douleurs diffuses et/ou abdominales ou la diarrhée, même en l’absence de fièvre, doivent être considérés comme des signes d’infection, nécessitant la mise en route rapide d’une antibiothérapie intraveineuse.

• L’hypothermie doit conduire à la même prise en charge que la fièvre.

• En cas de suspicion d’infection du cathéter veineux central (inflammation du point d’entrée, écoulement purulent, non-entretien du pansement), la perfusion du CVC doit être prudente, car il existe un risque de bactériémie.

• En urgence, en l’absence de formule leucocytaire disponible, un patient fébrile à risque de neutropénie doit être considéré neutropénique. La mise en route de l’antibiothérapie ne doit pas être retardée.

• Le portage chronique d’une bactérie multi-résistante doit être recherché à l’interrogatoire des parents ou sur les documents de sortie du patient. L’antibiothérapie sera adaptée.

• Les centres spécialisés référents disposent d’une permanence médicale téléphonique à contacter s’il existe un foyer infectieux identifié ou une complication grave.

2. TRAITEMENT

Patients à haut risque PNN < 500/mm3, ou risquant d’être < 500/mm3 dans les 48 heures ; présence d’un cathéter veineux central ; foyer clinique ou situation hémodynamique instable.

Prise en charge urgente en hospitalisation.

Mise en place d’un accès veineux :

• Cathéter court périphérique.

• Chez les patients disposant d’un cathéter veineux central, son utilisation est à privilégier pour la réalisation d’examens complémentaires (si IDE habilitée) et la mise en route du traitement intraveineux.

Traitement anti-infectieux :

• Antibiothérapie large : pipéracilline/tazobactam : 300 mg/kg/j en 3 ou 4 injections intraveineuses (ou C3G), plus aminoside si frissons, foyer clinique, gravité.

• Suspicion d’infection sur le trajet du cathéter veineux central, d’infection cutanée, patient porteur d’une prothèse orthopédique, choc septique : ajouter vancomycine, 40 à 60 mg/kg/j en quatre injections intraveineuses (IV) sur 1 heure.

• Terrain d’hémopathie et lésions cutanées nodulaires purpuriques évoquant une infection fongique : ajouter amphotéricine B liposomale 3 mg/kg/j en injection intraveineuse sur 1 heure.

• Tout foyer infectieux identifié doit faire discuter une antibiothérapie plus adaptée à la situation.

Prise en charge de la défaillance hémodynamique :

• Remplissage vasculaire : NaCl 0,9 % 20 ml/kg en IV sur 15 minutes, à renouveler si nécessaire.

• 2e voie d’abord veineuse.

• Si hémodynamique non restaurée, transfert en service de réanimation.

Utilisation du facteur de croissance G-CSF, autres traitements de support.

• G-CSF 5 à 10 µg /kg en IV sur 30 minutes, si infection grave (indication à valider avec le centre référent).

• Support transfusionnel, si nécessaire, en produits irradiés (situations de cancérologie ou d’aplasie médullaire).

Patients à risque modéré

Contexte : PNN > 500/mm3, absence de cathéter veineux central, tableau viral, négativité des marqueurs de l’inflammation.

Traitement ambulatoire symptomatique, +/- associé à une antibiothérapie orale.

REPÈRES

Indications des hémocultures

Le prélèvement est effectué sur prescription médicale obligatoire.

Hémocultures « systématiques »

Elles sont limitées aux indications suivantes :

– À l’entrée de l’enfant en hospitalisation conventionnelle ou en hôpital de jour, uniquement en cas d’antécédent d’infection ou de colonisation du cathéter ;

– Au retour de bloc, uniquement en cas de problème sur le pansement ou en cas de prélèvement nasal positif à staphylocoque doré ;

– Lors d’une hospitalisation prolongée, uniquement pour les enfants sous corticothérapie prolongée, c’est-à-dire sous traitement d’induction de première ligne et de rechute des leucémies aiguës (1 hémoculture par semaine).

Hémocultures « ciblées »

– En cas de fièvre ou fébricule, faire prélever 2 hémocultures (à 15 minutes d’intervalle ou à 1 heure d’intervalle, selon intensité et tolérance de la fièvre) avant l’antibiothérapie. Si elles sont négatives, poursuivre avec 1 à 2 hémocultures par 24 heures jusqu’à apyrexie. Si elles sont positives, 1 hémoculture par jour jusqu’à la négativation.

– En cas de douleurs abdominales, de douleurs musculaires, de lésions cutanées, de modifications hémodynamiques et, sur le plan biologique, d’une ascension franche de la CRP : 2 à 3 hémocultures par jour maximum, jusqu’à la disparition des symptômes.

En dehors de situations exceptionnelles, ne jamais prélever plus de 3 hémocultures par 24 heures.