QUEL ACCÈS AUX DONNÉES HOSPITALIÈRES ? - L'Infirmière Magazine n° 360 du 01/05/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 360 du 01/05/2015

 

ÉTHIQUE

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

CAROLINE COQ-CHODORGE  

L’article 47 du projet de loi de santé prévoit l’ouverture des données de santé, y compris hospitalières. Les avis sont partagés : certains jugent les procédures d’accès trop lourdes, d’autres que la France avance vers une plus grande transparence du système de santé.

Marianne Binst « Casser l’inégalité entre ceux qui sont bien informés et les autres »

Votre réseau de soins, Santéclair, exploite déjà les données hospitalières. Quel usage en faites-vous ?

Les données hospitalières issues du PMSI(1) sont disponibles depuis près de vingt ans, sur autorisation de la Cnil(2), garante de la préservation des données personnelles. Nous avons construit des outils d’évaluation de la qualité des soins dans les établissements de santé, à destination de nos assurés. Avec des applications Internet, nous les renseignons sur la chirurgie et les maternités, l’importance du plateau technique, le nombre de naissances, de césariennes, de péridurales, etc. Nous avons également construit un outil pour aider nos patients à choisir leur service de cancérologie. Nous voulons casser la distorsion de l’information, l’inégalité entre ceux qui sont bien informés et les autres. Ces services en ligne sont un succès : leur fréquentation augmente de 30 % chaque année.

L’article 47 ouvre-t-il de nouvelles perspectives ?

C’est le paradoxe de cet article : l’ouverture des donnés de santé va, en réalité, restreindre notre accès aux données hospitalières, sans ouvrir d’accès supplémentaire à d’autres bases. Nous allons devoir multiplier les demandes d’autorisations. Et l’accès aux données brutes nous est désormais refusé, nous devrons passer par des bureaux d’étude. En l’état actuel du projet de loi, nous ne sommes pas certains de pouvoir continuer à développer nos outils d’évaluation. Nous nous sommes battus pour obtenir l’ouverture des données, et nous assistons à leur fermeture. Pourtant, le besoin est bien réel. La chirurgie ambulatoire se développe?: en exploitant la base PMSI, nous pouvons informer nos assurés sur le taux de chirurgie ambulatoire pour la prothèse du genou ou de hanche, par exemple. Il serait aussi intéressant de préciser le type de sorties, vers des établissements de SSR, le domicile, mais aussi le taux de réhospitalisations. Les infirmières n’ont rien à craindre, au contraire. Ce sont les mêmes qui bloquent l’ouverture des données et les délégations de tâches. Le pouvoir des patients est lié au pouvoir des paramédicaux.

Les acteurs privés sont-ils les plus légitimes pour orienter les assurés dans les systèmes de soins ?

Être un acteur public n’est pas une garantie d’éthique. C’est la transparence qui assure la déontologie. Pourquoi l’État et l’assurance maladie ne font-ils pas ce travail de transparence ? En Angleterre, le système national de santé donne des informations sur les cabinets de médecine généraliste : leur performance, le taux de satisfaction des patients, etc. J’espérais que cet article 47 du projet de loi de santé nous donnerait un accès aux données sur les pratiques des médecins. Mais on nous le refuse. Il serait pourtant intéressant pour tous les patients de savoir quels sont les chirurgiens qui opèrent le plus, pour chaque acte, car c’est un gage de qualité. Les données sur les taux d’infections nosocomiales ou les événements indésirables graves sont également inaccessibles. Pour quelle raisons ? Parce que les professionnels de santé cesseraient de les déclarer ? Il faudrait alors qu’ils soient sanctionnés. Les hôpitaux sont payés par nos impôts, ils nous doivent des informations. Les problèmes se résolvent quand ils sont mis en lumière.

Didier Sicard « Nous pourrons déceler les failles de notre système de santé »

Vous militez pour une plus grande ouverture des données de santé. Êtes-vous satisfait par l’article 47 du projet de loi de santé tel qu’adopté par l’Assemblée nationale ?

Nous avons la chance d’avoir un système d’assurance maladie très centralisé, qui a construit la plus grande base de données de santé du monde. Elle appartient à tous les Français. Mais il y a une frilosité à affronter le réel, les lobbys des médecins, des laboratoires, des patients se dressent. Je pense cependant que nous sommes sur la bonne voie. Avec cet article 47, nous allons pouvoir déceler les failles de notre système de santé : les médicaments dangereux, trop ou mal prescrits, les actes inutiles, etc. Il sera, par exemple, possible d’évaluer sérieusement l’efficacité du dépistage organisé du cancer du sein : est-ce que la mortalité par cancer du sein des femmes dépistées est inférieure à celle des femmes non dépistées ? La finalité de l’ouverture de ces données est bien la santé publique. La loi interdit l’accès à des données personnelles. Elles n’intéressent personne. Ce sont nos données de santé collectives qui valent de l’or.

Doit-on ouvrir des données aussi sensibles que les taux de mortalité ou d’infections nosocomiales dans les établissements de santé ?

Je ne vois pas en quoi des informations aussi importantes que les taux d’infections nosocomiales ne seraient pas portées à la connaissance du public. Le système public hospitalier a besoin de concurrence. Il n’y a pas de raison que les patients ignorent quels sont les meilleurs hôpitaux. Ceux-ci doivent être placés sur un podium. Mais les comparaisons entre établissements doivent être réalisées avec rigueur : on ne peut pas comparer les taux de mortalité d’un hôpital d’une grande ville et d’un autre dans la Creuse, où résident une majorité de personnes âgées. Il y a une autre difficulté avec la base PMSI des hôpitaux : elle est construite suivant une finalité économique de tarification des actes hospitaliers. Il est d’ailleurs très grave que ce travail de codage soit souvent délégué à des entreprises privées dont l’objectif est d’optimiser la tarification.

Les complémentaires santé développent des outils de comparaison des établissements de santé : est-ce leur rôle ?

Pourquoi un assureur, public ou privé, ne pourrait-il pas orienter vers tel hôpital plutôt que tel autre ? Pourquoi n’aurait-il pas son mot à dire sur les soins ou les médicaments remboursés ? En France, nous vivons sur l’illusion que la santé est gratuite. L’assurance maladie accuse pourtant un déficit de 9 milliards d’euros. Je suis effrayé par les sommes colossales qui sont gâchées parce qu’on ne veut pas faire peur aux hôpitaux, aux médecins, aux taxis, etc. En Allemagne, seules les thérapies les plus efficaces sont remboursées. Imaginer que l’on va pouvoir continuer à multiplier les scanners et les IRM du genou sans contrôle est une illusion. Est-ce que ce sont les assureurs privés ou mutualistes qui doivent faire ce travail d’orientation des patients, à la place de la Haute autorité de santé (HAS) ? La question mérite d’être posée. Plus on avancera dans l’ouverture des données de santé, plus on sera confronté à ce type d’interrogations. Pour y répondre, il faudra chaque fois se demander : est-ce que l’intérêt public l’emporte ?

1- Programme de médicalisation des systèmes d’information.

2- Commission nationale de l’informatique et des libertés.

MARIANNE BINST

DIRECTRICE GÉNÉRALE DU RÉSEAU DE SOINS SANTÉCLAIR

→ 2003 : Création de Santéclair, une filiale de complémentaires santé qui développe des réseaux de soins

→ 2012 : Santéclair a 8,5millions d’assurés, un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros en 2013, et emploie 220 salariés

DIDIER SICARD

PROFESSEUR DE MÉDECINE INTERNE À L’UNIVERSITÉ PARIS- DESCARTES ET PRÉSIDENT DU COMITÉ DES EXPERTS DE L’INSTITUT DES DONNÉES DE SANTÉ

→ 1999-2008 : Président du Comité consultatif national d’éthique

→ 2012 : Remise au président de la République de son rapport sur la fin de vie

POINTS CLÉS

→ L’article 47 prévoit la constitution d’un Système national des données de santé (SNDS) regroupant les systèmes d’information des hôpitaux, de l’assurance maladie (AM) et des établissements médico-sociaux, ou encore les données sur les causes de décès. Le SNDS sera accessible après vérification de l’objectif de la recherche, qui doit relever de « l’intérêt public » et de la méthodologie. Ce sont des données sensibles : si elles sont anonymes, il est possible de retrouver un dossier médical individuel en faisant des recoupements. Mais ces recherches individuelles sont interdites et punies par la loi.

→ En parallèle, va s’accélérer la mise à disposition du public de données agrégées, anonymes et sécurisées. Ce mouvement a déjà commencé. La HAS a lancé le site Internet Scope santé, qui donne les principaux indicateurs sur la qualité des hôpitaux et des cliniques, issus de la certification. L’AM met aussi en accès libre sur son site des données sur les professionnels de santé libéraux (démographie, prescriptions, honoraires…), la consommation de médicaments, etc.

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