« Le niveau sonore est l’affaire de tous » - L'Infirmière Magazine n° 359 du 01/04/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 359 du 01/04/2015

 

INTERVIEW ; DOMINIQUE FRANÇOIS INGÉNIEUR DE GÉNIE SANITAIRE, DÉLÉGUÉ TERRITORIAL DE L’ARS LIMOUSIN EN CORRÈZE

DOSSIER

H. COLAU  

Dominique François a coordonné une étude sur le bruit dans les services de néonatologie du CHU de Limoges et organise des formations sur sa prise en compte en milieu hospitalier.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quelle est la nature du bruit dans les établissements de santé ?

DOMINIQUE FRANÇOIS : Lors de notre étude sur le niveau sonore en néonatologie, menée au CHU de Limoges, nous avons noté de nombreux passages devant la pièce où étaient situés les incubateurs. À cela, s’ajoute le niveau assez élevé des alarmes et monitorings. Le mobilier (portes fermées par des aimants, tiroirs, etc.) est également à l’origine d’un véritable vacarme, tout comme les chariots. L’ouverture des blisters en plastique rigide de certains appareillages est très bruyante ; de même pour les équipements incontournables, comme les systèmes de ventilation et de chauffage. Dans certaines chambres, les patients ne peuvent pas ouvrir leur fenêtre en raison du vrombissement des climatiseurs. Par ailleurs, il existe des bruits organisationnels, notamment les discussions entre membres du personnel, qui ne sont pas toujours utiles.

L’I. M. : Quelles en sont les conséquences sur les patients et les soignants ?

D. F. : Ils ne risquent tout de même pas de devenir sourds ! Mais l’environnement sonore fait partie intégrante de la qualité de la prise en charge. Les alarmes affectent les patients de façon inutile, notamment en perturbant leur sommeil. Le bruit est facteur de stress, il a des effets négatifs sur leur bien-être général. Ce qu’on ne supporterait pas chez soi, on le tolère encore moins à l’hôpital. Le Code du travail prévoit que le personnel soignant ne doit pas être exposé à plus de 80 dB. Heureusement, on n’atteint pas ce seuil, sauf peut-être dans certaines pièces, comme la laverie ou les salles de stérilisation. Mais cela n’empêche pas de faire attention : une alarme de scope à 75 dB, est-ce une fatalité ? Le risque vient surtout des effets non-auditifs du bruit. Il peut induire une inattention et provoquer des erreurs, par exemple, de dosage. Le bruit altère également la communication. Or, les ordres doivent être bien compris. Il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse : une pièce totalement sourde serait angoissante.

Le patient doit sentir la présence de l’équipe, sans être gêné.

L’I. M. : Que peut-on faire pour améliorer la situation ?

D. F. : Les soignants font déjà des efforts : depuis une dizaine d’années, ils ont, par exemple, adopté les Crocs, bien moins bruyantes que les sabots. Mais on pourrait aller plus loin. D’abord, le bruit des alarmes pourrait être détourné vers un bureau de contrôle fermé. Il n’est pas utile d’effectuer le passage de consignes, par exemple, entre les équipes de jour et de nuit, au pied du lit du patient. La structure de l’hôpital est également importante : la présence de couloirs entre les salles de soins et les murs extérieurs assure une bonne isolation phonique. Il faudrait surtout prendre en compte la question du bruit au moment de la rénovation des hôpitaux afin d’adapter leur qualité acoustique ou encore, les revêtements de sol.

Même si, sur cette question, il convient de respecter les exigences en termes d’asepsie. D’accord, le carrelage se nettoie bien, mais on peut lui préférer un revêtement plus souple. Enfin, il existe des amortisseurs pour les portes et les tiroirs. Le bruit doit aussi être une constante d’appréciation au moment du choix des appareils médicaux. Il faut, par ailleurs, se poser des questions d’organisation : est-il nécessaire de prendre la température des patients à 5 heures du matin ? On pourrait analyser les pratiques et demander aux soignantes de fermer la porte quand elles discutent.

L’I. M. : Les autorités et le personnel hospitalier sont-ils conscients de l’importance de cette question ?

D. F. : L’arrêté de 2003 sur le bruit dans les établissements de santé marque une prise de conscience. Mais n’étant applicable qu’aux bâtiments en construction ou extensions, il n’a pas changé grand-chose. Les soignants apprécient qu’on commence à écrire des règles dont ils perçoivent la nécessité. J’ai lancé, en janvier, une formation sur le bruit à l’adresse des qualiticiens et gestionnaires de risque. J’aimerais l’exporter ailleurs. Nous avons aussi acheté, pour trois hôpitaux corréziens, des indicateurs de niveau sonore, en forme d’oreille, qui changent de couleur quand certains seuils sont dépassés. Le but est de sensibiliser le personnel au bruit. Cela fonctionne : la prise de conscience suffit à faire baisser le niveau sonore.

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