Histoires de migrants | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 359 du 01/04/2015

 

Frédéric Launay Cadre de santé en MPR au CHU de Tours, et membre du comité de rédaction de L’Infirmière Magazine

EXPRESSION LIBRE

En octobre 2014, une jeune fille éthiopienne de 16 ans est morte fauchée par une voiture, alors qu'elle tentait de traverser une autoroute près de Calais. Le mois dernier, 29 migrants sont décédés d'hypothermie sur les bateaux des garde-côtes italiens dans le canal de Sicile… La base de données Migrants’ Files(1) établie en 2013, longue déjà de plus de 28 000 migrants qui ont perdu la vie sur les mers et les routes vers l'Europe depuis 2000, s'allonge encore. Et puis, il y a les belles histoires. Celle d’Armando Curri, Albanais « sans papiers », sacré cette année meilleur apprenti ouvrier de France en menuiserie. Avant lui, Cristina Dimitru, jeune Rom de 18 ans, également en situation irrégulière, a obtenu le prix en 2012 dans la catégorie « Pressing ». Le premier fait l’objet d’une procédure de régularisation, la seconde a obtenu son titre de séjour. Des uns, on ne connaît que l'âge approximatif et, au mieux, les circonstances du décès. Des autres, on retient le nom, le destin exceptionnel, l'histoire exemplaire. Pour les premiers, il n'y a plus rien à faire ; les seconds sont désormais tirés d'affaire.

Ensuite, il y a les autres, ceux qui ont survécu à ces voyages à haut risque et n'ont pas été décorés pour leur mérite. Ils sont enfermés dans des centres de rétention administrative ou occupent clandestinement des espaces, plus ou moins tolérés, dans des conditions effroyables, très souvent loin des regards, pour quelques jours, plusieurs mois, voire plusieurs années. Toutes les initiatives de sauvetage et d'assistance, qu'elles soient internationales, étatiques, associatives, individuelles ou collectives, anonymes ou médiatisées, ne suffisent pas à soulager l'immense détresse de ces migrants qui fuient les guerres, les répressions, la misère. Or, avec une augmentation de plus de 180 % des migrations illégales en Europe recensée par l'agence Frontex entre 2013 et 2014, les besoins sont croissants, en France aussi. Les associations constatent une dégradation de leur état de santé. La Cimade déplore une baisse de 18 % des titres de séjour délivrés pour raison de santé depuis l’entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2014. Médecins du monde constate que près de 62 % des consultants étrangers en situation administrative précaire pris en charge dans les Centres d'accueil, de soins et d'orientation (Caso) souffrent d’une affection chronique exigeant une prise en charge régulière. Se réjouir de l’histoire d'Armando ou de Cristina, ou s’attrister du destin tragique de la jeune fille éthiopienne serait trop facile. « Ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre », conseille Spinoza. Agir, ensuite, suppose de se situer dans un entre-deux inconfortable qui constitue le quotidien de tous les soignants, quels que soient les patients, leurs origines, leur religion, leurs croyances. Il est salutaire de réfléchir posément, loin des passions médiatiques, pour retrouver le sens du prendre soin.

1- Projet porté par des journalistes, suivre petitlien.fr/7xqp