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L'infirmière Magazine n° 358 du 01/03/2015

 

INTERVIEW : ANNE MONNIER DIRECTRICE DU PÔLE TERRITOIRES À L’ASIP SANTÉ

DOSSIER

Anne Monnier dirige depuis huit ans le pôle territoires et développement des usages à l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip Santé), une agence du ministère chargée de créer les conditions de développement de l’e-santé.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Où en est le déploiement du dossier médical personnel (DMP), mis en œuvre par l’Asip ?

ANNE MONNIER : Ce dossier, qui permet aux professionnels de santé de partager les documents utiles à la coordination des soins, a été institué par la loi de 2004, opérationnel en 2010, ouvert aux professionnels début 2011, puis aux patients en mars de la même année. Un « big bang » n’était pas possible, il fallait y aller progressivement. Mais, en 2012, on a changé de gouvernement et la dynamique a été perdue. Elle n’a été relancée qu’en 2014, avec l’annonce du transfert de la maîtrise d’ouvrage du DMP à la Cnamts(1). Toutefois, plus de 513 000 DMP ont déjà été créés. C’est plus compliqué à l’hôpital qu’en ville, car cela passe par un projet qui peut prendre de six à dix mois. Aujourd’hui, le DMP est présent dans 589 établissements, sur les 3 000 que compte la France. La suite dépendra de la volonté des pouvoirs publics. La mise en place de la carte Vitale a pris vingt ans !

L’I. M. : Pour quels patients et dans quels services est-il le plus utile ?

A. M. : Il est intéressant pour les personnes atteintes de maladies chroniques, mais on pourrait aussi envisager d’en créer un pour chaque enfant. Il n’y a pas de règle. Le déploiement du DMP est décidé au niveau de chaque établissement. À Bordeaux, il a été mis en place en gérontologie et en cardiologie, car les soins y sont nombreux. Le DMP est utile dans des communautés d’intérêt, par exemple entre les Ehpad, les médecins généralistes et les services d’urgences d’un bassin de santé : si l’infirmière de nuit de l’Ehpad se trouve en difficulté avec un résident, l’accès à son DMP peut faciliter la décision de l’envoyer ou non aux urgences.

L’I. M. : Quel intérêt pour les IDE?

A. M. : Il n’est pas rare qu’une infirmière se retrouve seule face à un patient qui a mal compris son traitement, et qui saura juste dire : « Je prends une pilule bleue. » Dans ce cas, le DMP permet de réduire les risques grâce à de meilleures transmissions. Par ailleurs, le numérique accélère les procédures. La remise du document de sortie d’hospitalisation prend souvent plus de huit jours. Demain, avec la signature électronique, l’envoi des documents se fera instantanément et l’infirmière pourra y accéder dès le retour du patient au domicile. Elle pourra se consacrer davantage au médical et moins à l’administratif.

L’I. M. : Cela pose-t-il des problèmes de confidentialité ?

A. M. : La procédure d’agrément pour les hébergeurs de données de santé est au moins aussi sévère que pour les banques. Pour accéder aux données, le professionnel de santé doit disposer de sa carte CPS et de son code secret. Le patient doit entrer son identifiant et un mot de passe à usage unique. À ce jour, on ne déplore aucun problème de sécurité, alors qu’un million et demi de documents circulent.

L’I. M. : D’autres outils numériques vont-ils être mis en service dans les établissements ?

A. M. : Beaucoup de données de santé nominatives circulent par e-mails non sécurisés, alors que ce n’est pas autorisé par la loi. MSSanté, un système de messagerie sécurisée, a donc été lancé en 2014. Une circulaire devrait le généraliser dans les semaines à venir. Pour l’instant, quelques milliers de personnes dans quinze établissements pilotes peuvent l’utiliser. Pour cela, il faut être enregistré comme professionnel de santé et disposer d’une carte CPS. On peut ensuite, par exemple, envoyer une image de plaie à un confrère pour la faire expertiser en toute sécurité.

L’I. M. : Les objets connectés sont-ils sur le point de gagner l’hôpital ?

A. M. : C’est une perspective intéressante. Les applis comme Health d’Apple, fonctionnent un peu comme un DMP, rempli par la personne qui porte, par exemple, un bracelet connecté mesurant sa fréquence cardiaque ou son taux de cholestérol. Les données sont stockées, mais l’hébergement ne répond pas aux mêmes contraintes que le DMP. À l’avenir, on pourra peut-être publier des Web services permettant aux opérateurs de quantified self de stocker leurs données sur le DMP. Ce n’est pas très compliqué, techniquement, mais cela prend du temps. Ça existe déjà pour les objets connectés destinés aux professionnels de santé, mais, pour le moment, il n’y a pas de développement en dehors des logiciels DMP compatibles. Il faut de l’audace pour faire bénéficier le système de santé de la révolution numérique !

1- Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts).