LE BLUES DES PETITES MATERNITÉS - L'Infirmière Magazine n° 358 du 01/03/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 358 du 01/03/2015

 

OBSTÉTRIQUE

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À LA UNE

CAROLE TYMEN  

Un rapport de la Cour des comptes questionne la sécurité des prises en charge dans les maternités réalisant moins de 300 accouchements par an et préconise une recomposition de l’offre de soins.

C’est un procès injuste, entre mauvaise foi et volonté de nuire, qui est fait aux petites maternités. » Pour Paul Cesbron, gynécologue-obstétricien, ancien chef de service de la maternité du CH de Creil (Oise) et membre de la Coordination nationale des hôpitaux et maternités de proximité, ce rapport publié le 21 janvier jette « le discrédit sur toute la santé publique française ». Réalisé à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, le texte(1) préconise « un nouveau resserrement, inévitable et nécessaire » du réseau français des maternités et ce, « sans négliger l’enjeu d’équilibre financier ».

Mise en conformité

Treize maternités(2) bénéficiant d’une autorisation d’ouverture par dérogation au seuil de 300 accouchements annuels, au motif de l’éloignement géographique, sont dans la ligne de mire de la Cour des comptes, qui recommande d’en « contrôler la sécurité de fonctionnement […] et [de] les fermer sans délai en cas d’absence de mise en conformité immédiate ». Le rapport préconise également une surveillance accrue de celles qui réalisent entre 300 et 500 naissances. Une sécurité qui se mesure au nombre d’effectifs, au niveau de formation des personnels, à la permanence du soin, à l’état de fonctionnement du matériel normé, aux respects des protocoles, ainsi qu’aux marqueurs de mortalité maternelle, natale et périnatale, et des accidents médicaux. Or, pour Paul Cesbron, « aucun de ces paramètres n’est, à l’heure actuelle, significatif d’une situation préoccupante ». Pour le directeur du CH de Bourg-Saint-Maurice (237 accouchements en 2013), Patrick Boyer, « c’est un prétexte déguisé pour faire mourir les petits hôpitaux. On ne peut pas être plus contrôlés qu’on ne l’est déjà. Nos étagères sont pleines d’audits et nous présentons régulièrement nos fiches de gardes à l’Agence régionale de santé (ARS) ».

Remaillage et harmonisation

Malgré une stabilité relative des naissances (811 000 en 2013), la France affiche toujours des résultats médiocres en matière de périnatalité. Elle occupe ainsi le 17e rang européen pour la mortalité néonatale. En quarante ans, les deux tiers des maternités ont fermé. La réduction du nombre de « petites » maternités, au profit des « maternités de grande tailles », a été accentuée par les décrets du 9 octobre 1998, leurs normes de sécurité et la gradation en échelons : I pour les maternités accueillant les grossesses sans problème identifié, II pour celles dotées d’un service de néonatologie, III pour celles destinées à prendre en charge les grossesses « à risque », équipées d’un service de néonatologie et d’un service de réanimation néonatale. Sur les 1 747 établissements en activité en 1972, il restait 681 maternités en 2002 (dont 59,6 % de type I) et 544 en 2012 (47 % de type I). Sur le terrain, le remaillage souhaité par la Cour des comptes est en marche. « Il n’y a plus de concurrence entre petits et grands hôpitaux », assure Patrick Boyer, en s’appuyant sur l’exemple du territoire de la Savoie. « Un réseau périnatal est en place sur les deux Savoie. L’harmonisation des protocoles et des pratiques existe. Nous sommes connectés avec les médecins libéraux locaux, tout comme avec les établissements de Chambéry et de Grenoble. » Tous les acteurs s’accordent sur l’un des points soulevés par le rapport : il faut « clarifier le rôle des maternités de type III ». « Les maternités de type I devraient être la norme. On a développé l’échelon de niveau III et on veut y mettre tout le monde, souligne Paul Cesbron. Seulement, lorsque les femmes ont vraiment besoin d’une assistance de ce type, les services sont saturés. C’est là qu’il y a danger. » « La classification ne prend pas suffisamment en compte le suivi de la mère, déplore l’Ordre national des sages-femmes. Or, une prise en charge différenciée permettrait de réserver les moyens techniques à celles dont la grossesse présente des risques. »

Insécurité

À la recommandation de la Cour des comptes de « réaliser une enquête épidémiologique pour préciser la relation entre l’éloignement des parturientes des maternités et les résultats de périnatalité », la réponse des professionnels est unanime : « En fermant les petites maternités, les pouvoirs publics organisent l’insécurité, explique Valérie Tirman, du comité de soutien de la maternité de Vitry-Le-François (Champagne-Ardenne). Et ils nous font ensuite payer les conséquences. La proximité est la réponse à leur prétendue mise en danger des patientes. » Malgré ses 370 naissances en 2014, l’établissement a fermé le 3 février, pour laisser place à un centre périnatal créé et mutualisé sur la commune de Saint-Dizier, en janvier. « Notre petite maternité avait bonne réputation. L’équipe de douze sages-femmes et dix puéricultrices formait une petite maison. Les huit lits de la maternité étaient un véritable cocon familial », se désole Valérie Tirman.

Prise en charge globale

Certaines petites maternités n’ont pas attendu le souhait de la Cour des comptes de « renforcer le suivi des femmes enceintes et tout particulièrement de celles en situation de précarité ». Le centre hospitalier de Bourg-Saint-Maurice se félicite ainsi de la mise en place d’un parcours de prise en charge obstétrique efficient sur douze mois. « Notre approche de la femme enceinte n’est plus uniquement médicale. Notre maternité propose le suivi par un tabacologue, un psychologue, un ostéopathe et une diététicienne. Nous avons des infirmières formées à la prise en charge de la douleur, à l’hypnose. » Pour l’Ordre des sages-femmes, le bon suivi dépend de la disponibilité des personnels. « C’est le non-respect des seuils minima qui peut mettre en danger les femmes et les nouveau-nés. En travail, une sage-femme s’occupe parfois de quatre patientes en même temps. Il faut tendre vers le modèle nordique du “one-to-one” », affirme Marie-Josée Keller, présidente de l’Ordre, qui milite pour le respect des normes, quel que soit l’endroit. « La surmédicalisation des grossesses et des accouchements pallie le manque d’effectifs médicaux », poursuit la présidente. « La technologie doit être une béquille et ne doit pas supplanter les contacts humains, estime-t-elle. On ne peut pas standardiser ni programmer la venue au monde. Chaque naissance est unique, c’est celle d’un enfant mais aussi d’une mère et d’un père. »

Le choix aux parturientes

En recommandant d’« offrir un projet de naissance moins médicalisé », la Cour des comptes laisse la porte ouverte à des alternatives au modèle classique. Tous en sont convaincus. Marie-Josée Keller y voit un espoir de développement des projets de chacune des futures mamans, dans les maisons de naissance et les unités physiologiques notamment. 5 % des parturientes seraient concernées. L’Ordre réitère, par ailleurs, son appel à organiser des états généraux de la naissance, auxquels seraient associés les professionnels concernés et les usagers, afin d’envisager une refonte ambitieuse de notre modèle périnatal. « Les femmes ont bien souvent suivi les courants de pensée imposés par le corps médical, regrette Paul Cesbron, comme l’épisiotomie et la position allongée, notamment. Or, elles ont le choix. Elles savent ce qui est le mieux pour elles et leur enfant. Il faut qu’elles le fassent entendre. »

1- À lire sur http://bit.ly/19cmeYA

2- CH de Die (Drôme), Saint-Palais (Pyrénées-Atlantiques), Saint-Girons (Ariège), Lourdes (Hautes-Pyrénées), Bourg-Saint-Maurice (Savoie), Privas (Ardèche), Porto-Vecchio (Corse du Sud), Saint-Affrique (Aveyron), polyclinique de Ganges (Hérault), Ussel (Corrèze), Carhaix-Plouguer (Finistère), Apt (Vaucluse) et Decazeville (Aveyron).

Bretagne

Carhaix, l’irréductible

En juin 2008, la maternité de Carhaix (Finistère) a été fermée pendant trois semaines, au motif d’un nombre insuffisant d’accouchements.

Quand je n’allais pas au boulot, j’allais manifester », commente l’une des sages-femmes de l’époque. Lorsque la fermeture est annoncée en mars 2008, population et élus locaux se mobilisent spontanément. Des manifestations quotidiennes ont lieu dans la région : Morlaix, Rennes, Quimper, mais aussi à Paris. Les affrontements et lacrymogènes de certains défilés convainquent une vingtaine de Carhaisiennes enceintes de créer le Collectif des femmes enceintes. « C’était d’abord symbolique, mais nous étions bien déterminées à accoucher à Carhaix et nous tenions à le faire savoir », se souvient Nadine Geffroy, l’une des futures mamans de l’époque. Elles décident d’attaquer en référé (procédure d’urgence) l’arrêté de fermeture devant le tribunal administratif de Rennes. La maternité la plus proche, Morlaix, est à trois quarts d’heure. Brest et Quimper sont à une heure de trajet. Elles déposent plainte contre X pour mise en danger d’autrui. Même si la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, promet alors un héliport. Le tribunal juge finalement que la décision de l’Agence régionale d’hospitalisation (ARH) « porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts de la Santé publique et à la sécurité des patients ». La maternité rouvre. Un combat victorieux repris au cinéma dans Bowling, une comédie sortie en 2012. Pendant les trois semaines de fermeture de l’établissement, trois enfants ont néanmoins vu le jour à Carhaix. Ils sont faits citoyens d’honneur de la ville. Depuis, la situation s’est pérennisée grâce à un rattachement au CHU de Brest, en 2009. Les deux structures travaillent en réseau. L’équipe de Carhaix a développé son action sociale et accompagne les parturientes pendant leur grossesse, en lien avec la protection maternelle infantile du conseil général du Finistère. En 2014, 276 naissances ont eu lieu, soit 50 de plus qu’en 2012.