Concilier travail et maternité - L'Infirmière Magazine n° 358 du 01/03/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 358 du 01/03/2015

 

CARRIÈRE

GUIDE

ANNABELLE ALIX  

Aménagements de poste, autorisations d’absences… le droit protège l’infirmière enceinte, qu’elle exerce en secteur privé ou dans la fonction publique. Le point sur ces facilités.

La loi garantit des droits afin d’assurer la protection des salariées enceintes, dès les premiers mois de grossesse. Aménagement du poste ou des horaires, absences autorisées pour les rendez-vous médicaux… les dispositions législatives sont denses, mais plutôt bien respectées : « Pour l’employeur, une grossesse est un voyant rouge qui s’allume, car il sait que le droit protège de près la salariée enceinte, il est vigilant », explique maître Nathalie Lailler, avocate en droit social.

Quelques aménagements

• Un changement d’affectation ou des aménagements de poste sont parfois à prévoir, au besoin sur avis médical. Cette question de bon sens est souvent intégrée au fonctionnement de l’hôpital : « Dans notre établissement, les femmes enceintes sont systématiquement retirées du service de radiologie », témoigne Wanda Kong, IDE dans l’Aquitaine. « Nous retirons les femmes enceintes des urgences et du service de chirurgie, car le rythme y est très intense », témoigne quant à lui Régis Tailhan, directeur des ressources humaines à la polyclinique Saint-Privat, à Béziers (34). Julien Depauw, cadre de santé en Île-de-France, agit de même en neurologie, où les patients sont très dépendants : « Ils ont besoin d’une aide au transfert, d’un accompagnement à la marche… Je préfère placer les femmes enceintes en orthopédie », confie-t-il. Un employeur compréhensif et prévenant cultive le lien social et réduit le risque d’un congé maternité précoce. Il a tout à gagner. L’infirmière ne doit donc pas hésiter à demander les aménagements dont elle aurait besoin. Doubler l’intervention sur la plage horaire la plus chargée de la journée ou auprès des patients agités (comme en psychiatrie) peut être une solution. « Enceinte, j’étais aussi dispensée d’effectuer les remplacements de nuit », ajoute Wanda Kong.

Des journées raccourcies

• La convention collective de l’hospitalisation privée prévoit une réduction systématique de la durée quotidienne de travail de 10 %, dès le deuxième mois de grossesse et avec un maintien des rémunérations. Ce qui revient à 42 minutes de travail en moins sur une journée de 7 heures, 48 minutes en moins sur 8 heures et 1 h 12 en moins sur 12 heures. « Initialement, cette réduction du temps de travail visait à permettre aux salariées d’échapper aux heures de pointe à l’embauche et à la sortie de bureau », explique maître Nathalie Lailler.

Sur le terrain, ces allègements d’horaires sont gérables sur les roulements de 7 ou 8 heures, car la relève peut être décalée dans le temps. Mais lorsque le temps de travail quotidien s’élève à 12 heures, la situation plus compliquée. Pour autant, cette facilité est due et doit être appliquée.

• Dans la fonction publique, le temps de travail peut être réduit à partir du troisième mois de grossesse, dans la limite d’une heure par jour non récupérable (pour un temps plein). Communément appelée « heure de grossesse », cette facilité est accordée par l’autorité responsable après avis du médecin chargé de la prévention et sur demande de l’intéressée, en fonction des nécessités du service.

Absences accordées

• Les IDE enceintes peuvent s’absenter du travail pour se rendre aux examens médicaux obligatoires (pré- et postnatals). Ce temps n’est pas décompté du salaire (ou traitement).

• Toutefois, les infirmières s’arrangent pour prendre leurs rendez-vous en dehors du temps de travail. Les roulements sur 12 heures, en particulier, laissent des temps de repos suffisants pour planifier ces examens. Quelques cas font toutefois exception : « En cas de processus de fécondation in vitro, les rendez-vous ne peuvent être prévus à l’avance, aussi nous aménageons les plannings », confie Régis Tailhan.

• Depuis le 6 août 2014, les futurs papas bénéficient de droits d’absences pour suivre leur compagne à trois rendez-vous médicaux prénatals.

• Dans le public, la fonctionnaire enceinte peut suivre des séances de préparation à l’accouchement par la méthode psychoprophylactique sur son temps de travail, si celles-ci ne peuvent se dérouler en dehors. Ces absences sont accordées sur avis du médecin chargé de la prévention.

Congés rallongés

• La durée du congé maternité varie en fonction du nombre d’enfants à naître et à charge (voir tableau).

• Un congé pathologique précède souvent le congé maternité des infirmières en raison de la nature et du rythme de leur travail. « Il n’est pas rare de les voir s’arrêter dès le 3e ou le 4e mois de grossesse », confient ainsi plusieurs directeurs des ressources humaines. Durant toute la durée du congé (maternité et pathologique), l’IDE fonctionnaire perçoit son traitement et la salariée du privé, ses indemnités journalières (si ses droits sont ouverts). Le montant des indemnités journalières atteint celui du salaire journalier de base et les salariées ne peuvent pas être licenciées durant leur congé maternité.

• Dans la fonction publique, les droits à l’avancement et à la retraite continuent de courir. Les agents à temps partiel bénéficient même de la rémunération et des avantages d’un agent à temps plein.

• Après leur accouchement, les IDE peuvent opter pour un congé parental total ou partiel (temps de travail à 80 %, etc.). Ce congé est accordé de droit aux fonctionnaires, qui peuvent cependant préférer profiter d’un report de congés non utilisés durant l’année passée.

• Les salariées du privé qui justifient d’un an d’ancienneté peuvent accéder au congé parental. Attention au délais : « Celui-ci doit être demandé au minimum un mois avant la fin du congé maternité pour un début immédiat, précise maître Lailler. Si la salariée reprend le travail entre-temps, elle devra en revanche prévenir son employeur deux mois avant la date de début du congé parental. »

Reprise du travail et évolution professionnelle

• À son retour de congé, l’infirmière doit effectuer une visite médicale, ainsi qu’un entretien avec son employeur, afin d’échanger sur son évolution professionnelle. Elle retrouve alors l’emploi qu’elle avait quitté ou, à défaut, un emploi similaire. Dans le public, un changement d’affectation est possible, si les nécessités du service d’origine s’opposent formellement à sa réintégration.

• L’infirmière retrouve une rémunération au moins équivalente, à laquelle sont ajoutées « les augmentations collectives ou individuelles [NDLR : pour un même groupe de salariés] intervenues en son absence », précise maître Lailler. La protection contre le licenciement se poursuit quant à elle un mois après la fin du congé maternité, sauf en cas de faute grave, ou s’il devient impossible de maintenir le contrat de travail pour des raisons étrangères à l’arrivée de l’enfant.

• À noter : cette protection vaut également pour le père du nouveau-né.

Allaiter… sous conditions

• Les salariées du secteur privé peuvent prendre une heure par jour, répartie en deux fois une demi-heure, pour allaiter leur enfant (voir interview). Ces trente minutes se réduisent à vingt lorsqu’un local est prévu à cet effet dans l’établissement. Ce droit d’allaiter vaut jusqu’à ce que l’enfant ait un an. L’heure consacrée à l’allaitement est décomptée du salaire.

• Dans la fonction publique, ce droit n’est garanti que dans les administrations adaptées à la garde d’enfants, ou lorsque l’enfant se trouve à proximité du lieu de travail (crèche, domicile voisin). La cour administrative d’appel de Versailles l’a rappelé dans une décision du 29 juin 2010 : les deux repos d’une demi-heure permettant l’allaitement ne sont obligatoires « que dans les établissements industriels ou commerciaux […] ».

La lettre recommandée

Lettre recommandée avec AR ou remise en main propre contre décharge

Objet : Congé parental

Madame/Monsieur « Qualité »,

Je vous informe de mon intention de prendre un congé parental d’éducation, dans le respect des dispositions légales en vigueur.

Je souhaite bénéficier de ce congé à compter du [date], pour une durée de [durée envisagée].

Je vous prie d’agréer, Madame/Monsieur « Qualité », l’expression de mes salutations distinguées.

Signature

SAVOIR PLUS

→ Articles 62 et suivants de la convention nationale de l’hospitalisation privée.

→ Circulaire DH/FH1/DASITS 3 n° 96-152 du 29 février 1996.

→ Instruction n° 7 du 23 mars 1950 relative aux congés annuels et autorisations exceptionnelles d’absence.

→ L1225-16 et suivants du Code du travail sur les autorisations d’absence et le congé maternité.

→ L1225-30 à L1225-33, R1225-5 à R1225-7, R4152-13 et suivants du Code du travail sur le local d’allaitement.

→ L1225-47 relatif au congé parental.

→ Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

INTERVIEW

NATHALIE LAILLER AVOCATE EN DROIT SOCIAL

En quoi consiste le droit d’allaiter dans le secteur privé ?

• L’allaitement peut avoir lieu dans l’établissement. Mais le droit d’allaiter s’entend aussi comme l’autorisation de quitter son lieu de travail pour se rendre chez la nourrice de son enfant, par exemple. La salariée peut choisir d’allaiter sur place ou bien de tirer son lait. Le non-respect par l’employeur des dispositions relatives au droit d’allaiter sur son lieu de travail est sanctionné pénalement par des contraventions de cinquième classe. Ces contraventions s’élèvent à 1 500 euros d’amende par salariée concernée, et à 3 000 euros par salariée concernée en cas de récidive.

À quel moment de la journée la salariée peut-elle allaiter ?

• L’heure d’allaitement est répartie en deux périodes de 30 minutes, l’une le matin, l’autre l’après-midi. Ces périodes sont déterminées par accord entre la salariée et l’employeur. À défaut, elles sont placées au milieu de chaque demi-journée de travail.

Qu’est-ce que le local d’allaitement ?

• L’entreprise qui emploie plus de cent salariés peut être mise en demeure d’installer des locaux dédiés à l’allaitement dans son établissement ou à proximité. Ce local doit répondre à des exigences strictes : être séparé des locaux de travail, être aéré et muni de fenêtres donnant sur l’extérieur, être pourvu de sièges convenables pour l’allaitement et d’eau en quantité suffisante, ou situé à proximité d’un lavabo. Il doit être convenablement éclairé, équipé d’un mode de renouvellement d’air continu et d’un moyen de réchauffer les aliments. Il doit aussi être en état constant de propreté, nettoyé quotidiennement, etc. À l’hôpital, une salle de repos peut faire office de local d’allaitement si elle répond à tous les critères légaux et permet de préserver l’inðtimité et l’isolement de la personne. En l’absence de local, la mise en demeure peut être prononcée par l’inspection du travail à la suite, par exemple, d’une visitede contrôle ou de la plainte d’une salariée.