DES SOIGNANTS EN PIROGUE À LA RENCONTRE DES JEUNES - L'Infirmière Magazine n° 352 du 01/10/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 352 du 01/10/2014

 

PSYCHIATRIE

ACTUALITÉ

DU CÔTÉ DES… ÉTABLISSEMENTS

AUDREY VIRASSAMY  

En Guyane française, région qui ne compte aucun établissement de santé mentale, une équipe mobile va au-devant des populations isolées, notamment amérindiennes.

Camopi, 10 030 kilomètres, 1 600 habitants répartis entre le bourg et le village de Trois-Sauts, distants de plus de 150 kilomètres. Accrochée à la rive gauche du fleuve Oyapock, la commune n’est accessible qu’en avion privé, en hélicoptère ou en pirogue. Pour se rendre dans le bourg, il faut compter entre cinq et huit heures de pirogue depuis la commune de Saint-Georges, en aval. En saison sèche, un à deux jours de pirogue peuvent s’avérer nécessaires pour naviguer du bourg de Camopi à Trois-Sauts. Camopi, comme d’autres communes isolées du département, bénéficie d’un centre de santé, tandis que Trois-Sauts possède simplement un poste de santé.

Vague de suicides

Mais, il y a deux ans, une vague de suicides sans précédent a alerté les autorités politiques et les instances médicales de la nécessité d’un renfort. C’est ce qui a motivé la mise en place d’une équipe mobile au centre médico-psychologique de l’hôpital de Cayenne, qui effectue désormais le périple une fois par mois, pour aller à la rencontre de la population. « Nous faisions déjà quelques missions exploratoires, explique Yves-Noël Simchowitz, médecin-chef du pôle psychiatrie et pédopsychiatrie de l’hôpital de Cayenne. Mais là, il s’agit d’une prise en charge régulière. » Chaque expédition réunit des infirmières, une éducatrice spécialisée, un psychiatre et un psychologue. Sur place, le petit groupe travaille en étroite relation avec le médecin du centre de santé, mais aussi avec l’Éducation nationale. Les enseignants et le principal du collège servent de relais. Les consultations peuvent aussi se faire au collège plutôt qu’au centre de santé, par souci de discrétion. La mission des professionnels dépasse largement le cadre de la consultation psychiatrique. « On nous demande d’intervenir sur la sexualité, les grossesses précoces, les conduites addictives… Notre présence permet aussi d’apporter un soutien au personnel du centre de santé de Camopi et du poste de santé de Trois-Sauts », détaille Yves-Noël Simchowitz. En moins de deux ans, les interventions ont porté leurs fruits : l’hôpital enregistre une diminution de 40 % du taux d’hospitalisation pour des raisons pédopsychiatriques chez les jeunes et, durant ce laps de temps, seul un suicide est à déplorer.

Pas d’adolescence

Au cours des missions, le travail des infirmières est essentiel. Les rendez-vous sont pris à l’avance, parfois par le biais des équipes pédagogiques ou du centre de santé. « Sinon, on se balade, explique Razika Duranton, IDE, 15 ans de métier à son actif. Au fur et à mesure, les jeunes viennent vers nous et on discute. Notre métier, c’est beaucoup de discussion, mais également de l’observation. On travaille aussi beaucoup à l’instinct, en faisant confiance à nos premières impressions. » Une démarche finalement pas différente du travail infirmier habituel. À quelque chose près. « Il faut connaître les us et coutumes de la région », témoigne Vikandra Delcambre, infirmière également. Et à Camopi, cela passe par la connaissance des habitudes et des croyances amérindiennes. « Chez les Amérindiens, par exemple, il n’y a pas de notion d’adolescence, indique Yves-Noël Simchowitz. On passe rapidement de l’enfance à l’âge adulte. » Pour aider les enfants et les adolescents, des rencontres peuvent se faire en famille. « Les chamans sont un peu réticents », note tout de même Léo Pavlopoulos, médecin pédo-psychiatre. Et c’est peut-être tout cela, le travail de l’équipe mobile : permettre aux habitants les plus fragiles, notamment les plus jeunes, de ne pas perdre pied entre deux univers : celui du monde occidentalisé, qui pousse les enfants à être scolarisés et à quitter le village quand vient le moment du lycée, et celui, plus traditionnel, du village. Un monde où le rôle du chaman est essentiel, où la vie ne s’apprend pas à l’école. Un univers qui évolue au rythme du fleuve.