Chacun cherche son toit - L'Infirmière Magazine n° 352 du 01/10/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 352 du 01/10/2014

 

LOGEMENT INFIRMIER

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

SANDRA MIGNOT  

Dur dur de se loger à Paris, mais aussi ailleurs. Pourtant, localement, les établissements de santé ont pu développer des politiques pour faciliter l’accès au logement locatif ; politiques que les DRH tentent d’orienter vers les professions les plus en tension.

Si je n’avais pas eu ce logement social, jamais je n’aurais accepté de suivre le déménagement de mon service, assure Yvette, infirmière au groupe hospitalier Paul Guiraud qui a ouvert en 2012 un nouveau pôle santé mentale à Clamart (92). Je n’ai pas de permis, le trajet en bus était long et ne correspondait pas à mes horaires de travail, alors cet appartement a vraiment été décisif pour moi. Il est plus grand que celui dont je disposais avant, loué dans le privé. Il se situe dans un quartier plus tranquille, c’est bien pour les enfants. » Idem pour Maurice, aide-soignant dans le même établissement : « À Villejuif, nous résidions à quatre dans un studio, alors quand Clamart a ouvert, je leur ai dit que j’étais prêt à partir s’ils m’aidaient à trouver un logement plus adapté. » Se loger en région parisienne est de plus en plus difficile pour les actifs, toutes professions confondues. « Il faudrait parcourir 80 km pour trouver un loyer abordable pour un agent hospitalier », remarque Philippe Bonnet, élu l’USAP-CGT et membre de la commission d’attribution des logements de l’AP-HP. « Quand on gagne 1,2 ou 1,3 le SMIC, c’est compliqué. » Les plus bas salaires rencontrent davantage de diffi­cultés, compte tenu du prix de l’immobilier. Cette problématique se diffuse également – quoique de manière moins aiguë – dans certaines zones et agglomérations de province. Pour ceux qui cherchent des solutions, le parcours du combattant commence bien souvent par une inscription auprès du bailleur social ou du service du logement de sa municipalité. « Mais là, on renvoie en général les gens vers leur employeur, car il est connu que certains hôpitaux peuvent mettre des logements à disposition ou aident leurs agents à accéder à des appartements à loyer préférentiel », explique Christine La Barbe, assistante au service social du groupe hospitalier Paul Guiraud à Villejuif (94). Une pratique que l’on peut comprendre, si l’on considère, par exemple, le chiffre parfois avancé de 140 000 demandes de logements sociaux en attente uniquement dans Paris intra-muros. Cependant, dans cet établissement spécialisé en santé mentale qui réunit près de 2 000 professionnels, il y a actuellement environ 132 demandes de logement en attente, parmi lesquelles un tiers concernent des IDE.

Un patrimoine foncier

Le groupe hospitalier Paul Giraud a mis en place depuis longtemps une politique d’aide à l’accès au logement en misant notamment sur son patrimoine foncier. À plusieurs reprises ces 30 dernières années, il a développé des opérations immobilières sur des terrains lui appartenant, mais concédés à un bailleur pour une longue période via un bail emphytéotique(1). « En échange, nous bénéficions d’un droit de réservation gratuit sur un certain nombre d’appartements attribués à nos agents, mais gérés par le bailleur pendant la durée de la concession », explique Henri Poinsignon, ex-directeur du groupe hospitalier. Cette politique combine la réservation payante de logements auprès d’autres bailleurs sociaux et un patrimoine propre.

Les hôpitaux en France disposent de biens immobiliers accumulés de longue date à partir de dons et de legs. « Nous disposons de 1 100 logements qui figurent dans notre patrimoine, pour certains depuis le XVIe siècle, et qui ont été rapidement mis au service des agents hospitaliers dans une politique qui relève à la fois de l’opportunité historique et d’une volonté d’accompagnement social », résume Luc Fabrès, directeur adjoint des affaires domaniales aux Hospices civils de Lyon. Certes, l’agglomération lyonnaise n’est pas pour l’heure très concernée par les difficultés d’accès au logement locatif. « Encore qu’en centre-ville, cela commence à devenir délicat pour les agents de catégorie C, souligne-t-il. Cependant, c’est un avantage pour le recrutement du personnel de pouvoir leur proposer un de nos logements. Les loyers sont 20 % en dessous des prix du marché locatif et les immeubles sont en général bien localisés, en centre-ville, et facilement desservis par les transports en commun. »

1 % logement

Sur la carte de France des loyers les plus élevés, outre la région parisienne, la Côte d’Azur est notamment concernée. « Les salaires de nos employés sont liés à une convention nationale qui ne tient pas compte des différences du coût de la vie, explique Patrick Gaillet, directeur de l’Institut Arnault Tzanck, centre médico-chirurgical privé à but non lucratif de Mougins, dans le Var. Or, dans notre département, le logement est cher et nous ne parvenions pas à recruter des IDE. » Il y a une vingtaine d’années, l’établissement a donc décidé de se tourner vers Action logement(2) (ex. 1 % logement). « Le dispositif demeure assez peu connu dans le secteur de la santé, remarque Patrick Gaillet. Or, les établissements peuvent participer aux comités interprofessionnels du logement qui gèrent les fonds récoltés par le 1% logement. « Il y avait pas mal de fonds disponibles qui ont permis de construire des logements, dont une vingtaine ont été réservés à nos salariés », ajoute Patrick Gaillet. L’institut est d’ailleurs en train de réitérer l’opération avec un plus grand nombre de partenaires, notamment l’IFSI Sainte-Marie et d’autres établissements de santé de la région pour la construction d’un campus santé offrant des logements pour étudiants et salariés, des équipements sportifs, des parkings, etc., et combinera donc différentes sources de financement. « Alors que le premier projet avait finalement profité aux aides-soignants et agents hôteliers, en raison de la réglementation qui régissait alors le 1 % logement(3), celui-ci pourra concerner diverses catégories de professionnels et de revenus », souligne Patrick Gaillet.

Mais la politique de soutien au logement la plus développée est probablement celle de l’AP-HP, qui dispose d’un parc de plus de 10 000 logements, dont 43 % relèvent de baux emphytéotiques et sont gérés soit par des bailleurs, soit directement par l’institution. 39 % lui appartiennent en propre, qu’ils soient situés dans l’enceinte des hôpitaux ou dans le domaine privé, c’est-à-dire répartis dans des immeubles hors site. Ils sont gérés par la direction de l’AP-HP. Enfin, 18 % sont constitués par des conventions de réservations payantes et viennent compléter ce parc. Un dispositif complexe aux entrées multiples, qui constitue néanmoins un atout pour les agents qui peuvent y accéder.

Une grille complexe d’attributions

Dans le secteur public, outre les directeurs d’hôpitaux concernés par les nécessités absolues de service ou les agents soumis à « l’utilité de service », qui bénéficient au premier chef de ces différents types de logements, les appartements – dont les loyers peuvent atteindre la moitié du prix du marché – sont attribués selon différentes priorités considérées par les employeurs. Nombre d’entre eux ont mis en place des commissions d’attribution dans lesquels siègent les représentants des directions des ressources humaines, du service social et du personnel. « Il est important que ces attributions soient transparentes, et donc que les critères soient connus », souligne Jean-Marc Boussard, coordonnateur des soins au centre hospitalier de Versailles, un établissement qui dispose de conventions de réservation pour une trentaine de logements sociaux auxquels s’ajouteront prochainement une vingtaine de studios supplémentaires dans un programme en cours de construction. À l’AP-HP, une grille complexe de cotation des dossiers de demande de logement a été élaborée. Elle prend en compte la composition des familles, les ressources, le lieu de travail… Les critères sociaux sont primordiaux et les agents de catégories B et C qui peinent à accéder aux logements sociaux parisiens pour cause de revenus trop modestes obtiennent un peu plus facilement un logement : selon le bilan 2013 de l’AP-HP, les aides-soignants représentent ainsi 36,5 % des demandes et 21,2 % d’entre eux obtiennent satisfaction… Les IDE constituent quant à elles 25,2 % des demandeurs, mais seulement 9 % des bénéficiaires. Pourtant, devant les difficultés de recrutement qu’ont rencontrés il y a quelques années les établissements de soin, notamment en région parisienne, ces politiques du logement ont été affinées pour favoriser le recrutement pour des professions en tension ou fidéliser certaines catégories de professionnels. Ainsi, dans la grille de critères socio-professionnels qui régit l’attribution des logements du parc de l’AP-HP, le nombre de points attribués à un poste infirmier a-t-il été relevé. Du côté de Lyon, où il n’existe ni grille, ni comité d’attribution, les logements sont adjugés au coup par coup, sur demande des agents informés des offres par affichage et en considérant les besoins des services. « En ce moment, nous essayons tout particulièrement de favoriser les Ibode(3), car les directeurs des soins nous appellent pour nous demander un coup de pouce sur un recrutement », explique Luc Fabrès. « L’attribution de logement est vraiment devenu un outil de gestion du personnel que nous utilisons en fonction de nos difficultés, confirme Jean-Marc Boussard. Comme, en ce moment, ça devient plus compliqué pour les aides-soignantes, nous avons privilégié ces dossiers lors de notre dernière commission. »

Des studios pour les provinciaux

D’autres dispositifs orientés vers les IDE ont aussi été développés par l’AP-HP. Pour ceux qui arrivent de province, les studios infirmiers « Capitale » (99 en 2013 + 14 sur le domaine public) peuvent être loués entre 150 € et 250 € en fonction de leur localisation (banlieue ou Paris intra-muros). Les jeunes diplômés d’IFSI, peuvent bénéficier de studios ou deux pièces (75 en 2013). Ces deux types d’action ont permis aux infirmières de recevoir 22 % des logements attribués en 2013. Mais ils sont à durée limitée : le locataire ne peut y rester qu’un an. Par ailleurs, le contexte pourrait influer sur les choix politiques. « On nous dit qu’on serait en situation de plein emploi et qu’il n’y aurait donc plus besoin de ce type de dispositif », s’inquiète Frédérique Le Coq, de l’USAP-CGT et membre de la commission d’attribution des logements à l’AP-HP. Une autre incertitude pèse sur les 1 849 logements attribués via réservation payante auprès des bailleurs sociaux : le dispositif est coûteux et l’AP-HP a annoncé en 2011 ne plus vouloir signer ce type de convention…

Quoi qu’il en soit, du côté de l’AP-HP, on précise aussi que les besoins de l’ensemble des agents ne pourront être totalement satisfaits. « Ils sont supérieurs à nos possibilités, souligne Cécile Castagno, chef du département santé au travail et politique sociale à l’AP-HP. C’est pourquoi, nous avons pris un certain nombre de mesures : des prestations sociales mises en place avec l’Agospap(4) ; un système de garantie des impayés destiné à rassurer les propriétaires ; des prêts à taux zéro pour le financement du dépôt de garantie, etc. » Des aides au logement accessibles aussi dans l’ensemble des établissements publics ou privés à but non lucratif en France. Pour l’heure, aucun de ces derniers n’a vraiment fait l’objet d’une évaluation. « Compte tenu de la masse démographique des agents hospitaliers, on sait qu’il est intéressant d’investir dans le logement », remarque Hervé Rochais secrétaire fédéral FO de services publics et de santé et administrateur du CGOS, qui développe notamment des aides sociales ponctuelles remboursables liées à la location et à l’achat de logements pour les agents de la fonction publique hospitalière hors AP-HP. « Il n’y a pas d’évaluation de l’impact social de ces politiques comme il n’y en a pas sur les dispositifs de garde d’enfant, poursuit-t-il. Alors que si les gens étaient bien logés, à proximité de leur lieu de travail, ils ne demanderaient pas des horaires atypiques pour regrouper leurs heures. Les conditions dans lesquelles on vit impactent l’organisation du travail. Il est vraiment dommage que les employeurs ne s’y intéressent pas. »

1- Bail de longue durée allant de 18 à 99 ans.

2- Dénomination usuelle de la Participation des employeurs à l’effort de construction, institué en 1953 pour les entreprises du secteur privé non-agricole.

Celles-ci doivent en effet consacrer 0,45 % de leur masse salariale au financement de la résidence principale des salariés. www.actionlogement.fr

3- Ouverture à tous les salariés et plus seulement aux bas salaires.

4- Association pour la gestion des œuvres sociales des personnels des administrations parisiennes.

À SAVOIR

Les aides diverses relatives au logement et à l’habitat (auxquelles les agents de la fonction publique hospitalière peuvent accéder via le CGOS) sont réunies dans un guide du logement élaboré conjointement avec la FHF.

Disponible en ligne sur le site www.fhf.fr

(http://petitlien.fr/7hgt)

OUTRE-MANCHE

Des difficultés plus sévères

Les difficultés de logement que rencontrent les soignants ne sont pas une spécificité française.

L’Angleterre est également concernée, où les établissements du National Health Service (NHS) se débarrassent progressivement de leurs biens immobiliers, notamment à Londres.

Certains sont vendus à des promoteurs immobiliers, qui soumettent les locataires (aides-soignants, infirmières, mais aussi médecins) à de brutales hausses de loyers (pour atteindre parfois des sommes supérieures à leur traitement mensuel) ou les expulsent, pour spéculer sur le bien. Les associations propriétaires des hôpitaux et des logements ont annoncé qu’il n’était plus rentable de conserver ces logements compte tenu des coûts d’entretien ou de rénovation et du nombre d’appartements vacants.

Les soignants se voient obligés de s’éloigner toujours davantage du cœur de Londres où déjà plus de 360 000 logements sociaux font défaut d’après l’Alliance Pro-Housing.

RAPPORT

DES APPARTEMENTS À VIE

En 2012, un rapport de la Cour des comptes épinglait la gestion du patrimoine immobilier des établissements hospitaliers. Il soulignait, entre autre, une dérive qui consiste à retrouver dans le parc AP-HP des locataires qui ne sont pas des agents de l’institution. « Un tiers des personnes ainsi logées dans ce parc ne sont pas, ou ne sont plus, des agents de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris : 28 % du total des locataires dans le domaine privé, 31 % dans les bâtiments sous baux emphytéotiques et 42 % dans les logements de bailleurs sociaux pour lesquels elle a acheté des droits de réservation, soit un total de 2 846 personnes. » Ce problème concerne aussi d’autres établissements. À Versailles, le centre hospitalier André Mignot paye le loyer de ses appartements réservés auprès des bailleurs sociaux lorsqu’ils sont vides.

« Sinon, le bailleur risque d’imposer un autre candidat, et nous perdrions le droit de réservation, explique Jean-Marc Boussard. Alors que nous savons que nous trouverons assez rapidement quelqu’un. » Ailleurs, il arrive que des locataires quittent leur poste mais pas l’appartement obtenu via leur employeur. En effet, un certain nombre de baux – gérés par les bailleurs sociaux – ne prévoient pas initialement une clause de fonction, liant la jouissance de l’appartement à l’employeur.

« Cela n’était pas prévu dans le premier immeuble qui a été construit avec le 1 % logement » se souvient Patrick Gaillet, directeur de l’institut Arnault Tzanck. Depuis quelques années, l’AP-HP, comme les autres employeurs impliqués dans des politiques en faveur du logement de leurs agents et salariés, tentent de remédier à ce problème et d’introduire la dite clause dans les nouveaux baux.

À lire : Le patrimoine immobilier des hôpitaux non affecté aux soins – Rapport public annuel 2012 de la Cour des comptes.