Itinéraire d’une Québécoise - L'Infirmière Magazine n° 348 du 01/07/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 348 du 01/07/2014

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

GÉRALDINE LANGLOIS  

Dans le cadre de l’arrangement de reconnaissance mutuelle (ARM), Isabelle Simard, québécoise, a fait le choix de quitter son pays pour la France. À Pau, elle a découvert un pays, un nouveau système de santé et une autre façon d’exercer le métier.

Évacuons le sujet d’emblée. Isabelle Simard s’exprime bien avec cette diction typique des francophones d’outre-Atlantique. « On me le fait remarquer plusieurs fois par jour », note l’infirmière québécoise. Loin de s’en agacer, elle s’amuse plutôt de la sympathie que cet accent fait naître chez ses interlocuteurs français : « Les gens sont souvent émerveillés lorsque je leur dis d’où je viens. Ils me disent combien ils aimeraient y aller ou me font le récit de leur voyage… » Il faut dire qu’Isabelle, 34 ans, est avenante et curieuse. Son parcours en témoigne. « Ce métier d’infirmière, c’est une réorientation, explique-t-elle. À 17 ans, je n’aurais jamais pu choisir de soutenir, au quo­tidien, des gens qui vivent des choses difficiles… »

Son point de départ est le graphisme mais ce métier ne lui convient pas : trop superficiel, trop solitaire, trop de performance. Un bilan de compétences l’oriente, à sa grande surprise, vers le métier d’infirmière. Pas vraiment convaincue, elle commence des études collégiales en soins infirmiers(1). « Mon premier stage dans une unité de gériatrie a été un coup de cœur, raconte Isabelle. Pour la première fois, je me suis sentie à ma place. J’avais trouvé ma voie ! » À l’issue de ces trois années de formation plutôt technique, elle rejoint un service universitaire de médecine-chirurgie en transplantation. Et poursuit ensuite par un baccalauréat en Sciences infirmières à l’université de Sherbrooke, à l’est de Montréal. Une formation d’infirmière clinicienne en deux ans, « plus approfondie, plus axée sur la pensée réflexive, le vieillissement de la population et la chronicité des pathologies, les approches familiales, communautaires et éthiques, l’enseignement et l’initiation à la recherche », indique-t-elle. Elle devient conseillère en soins infirmiers à l’hôpital Notre-Dame du CHU de Montréal et joue le rôle de soutien clinique ou de conseil. Ses collègues font alors appel à elle lorsqu’ils sont confrontés à un geste ou un matériel qu’ils connaissent peu ou pour un besoin de formation. « J’étais aussi chargée de faciliter l’intégration des nouvelles infirmières, notamment les Françaises qui arrivaient via l’ARM, raconte Isabelle. Cela m’a d’ailleurs bien familiarisée avec le dispositif ! »

Une recherche de stage difficile

Mais elle quitte tout par « envie de se plonger dans un univers complètement différent ». Et part six mois dans le Nord-Ouest canadien, à bord d’un camion aménagé, avec son conjoint français. Une période d’introspection dont elle revient avec le désir de travailler « ailleurs ». Quelques semaines en France font germer chez eux l’idée d’y vivre. Et à son retour au Québec, Isabelle se lance dans l’obtention d’un visa « vacances-travail » dédié aux 18-35 ans, tout en enseignant dans un collège de soins infirmiers. L’Ordre national des infirmiers (ONI) la conseille dans sa recherche d’emploi. « Je suis aussi allée sur Internet pour me renseigner sur les aspects théoriques du système de santé français », poursuit-elle.

En France, Isabelle et son conjoint s’installent à Limoux, dans l’Aude, où réside sa famille. Mais ses recherches de terrain de stage n’aboutissent pas. En effet, jusqu’à récemment (voir encadré), les infirmières québecoises, arrivées en France dans le cadre de l’ARM, devaient réaliser obligatoirement un stage de 75 jours en milieu clinique. Mais seules des maisons de retraite lui répondent… Elle se rôde à la mécanique des entretiens, mais le découragement la guette. Le couple emménage alors dans une ville plus grande, à Pau, où les recherches de stage portent enfin leurs fruits au sein d’une clinique de soins de suite et de réadaptation (SSR). « La directrice avait eu une expérience au Québec qui l’avait emballée, se souvient Isabelle. Elle a tout fait pour faciliter mon intégration. Ça a été une belle rencontre. Et le stage a été enrichissant sur le plan de la pratique française et de la coordination. » Elle enchaîne les CDD dans cette clinique médicale et cardiologique – où elle travaille toujours d’ailleurs –, au sein de l’équipe de remplacement. Une polyvalence qui lui plaît car elle lui permet de découvrir la diversité des activités. À la différence des Françaises arrivées au Québec et très briefées par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), ici, Isabelle découvre tout « sur le tas » ; le suivi de l’ONI étant moins poussé que celui mis en place par l’OIIQ, plus ancien et plus développé, pour les infirmières françaises. Son intégration aurait aussi été plus simple si elle avait eu contact avec les rares infirmières québécoises qui l’ont précédée en France. « Ça m’aurait aidée de connaître leur expérience », avoue-t-elle.

Au-delà de l’immersion dans un autre pays, un autre système de santé et une autre culture soignante, elle, qui n’a travaillé au Québec que dans un hôpital universitaire, découvre aussi le fonctionnement des établissements français privés de taille moyenne. De gros changements ! En s’interdisant de juger, elle observe les différences : dans l’approche de la prévention des infections nosocomiales ; les rapports entre médecins et infirmières ; la place accordée à la parole des patients… Dans l’exercice du métier, aussi : « En France, les infirmières prennent plus de patients en charge et elles ont moins de temps à leur consacrer qu’au Québec. Elles réalisent aussi plus de gestes techniques, souligne Isabelle. Ici, nous avons un peu moins de temps pour prendre du recul. » Les contours des métiers sont différents d’un pays à l’autre… les habitudes aussi ! Ainsi, dans un centre de rééducation, quelques patients buvaient un verre de vin pendant leur repas ; «  shocking » pour une Nord-Américaine !

Culture soignante

Une difficulté « culturelle » subsiste également. Si, au-delà de l’accent, Isabelle n’a pas de barrière de langue, elle se heurte aux sigles et abréviations que les Français adorent et multiplient, et aux noms commerciaux des médicaments. Son arme secrète ? Le petit carnet qu’elle garde toujours sur elle et dans lequel elle prend des notes. « C’est vrai qu’il y a un risque d’erreur, souligne-t-elle. C’est aussi un peu frustrant au début de se retrouver à nouveau en apprentissage. Mais il faut être curieux et accepter d’être plus lent lors de la préparation et de l’administration des médicaments. J’y arrive car cette situation de changement et de nouveauté, c’est un défi que je me suis lancé ! »

La culture soignante qu’elle s’approprie peu à peu diffère de celle au Québec. Là-bas, une infirmière travaillant dans un centre de santé communautaire peut initier la contraception, la vaccination et d’autres actes considérés comme « médicaux » dans les régions les plus isolées. Isabelle était aussi habituée à ce que la question du niveau de réanimation souhaité par les patients soit abordée très tôt, sans tabou, ce qui n’est pas forcément le cas en France. Le partage de l’information entre soignants et avec les patients s’exerce aussi de manière moins formalisée et directe qu’au Québec. Les collègues d’Isabelle répondent volontiers à ses questions. « Il y a beaucoup d’entraide et un bon esprit d’équipe, indique-t-elle . Nous avons de très bonnes relations. » Pour éviter les quiproquos, « j’insiste pour que mes collègues me fassent répéter ce que je dis en cas de doute, raconte l’infirmière. Parfois, nous parlons de la même chose mais nous ne le savons pas ». Par exemple, ce qu’elle appelle « culotte d’incontinence » est une simple couche pour ses collègues françaises.

Même si elle se sent à l’aise, Isabelle se verrait bien découvrir d’autres modes d’exercice, d’autres types d’établissements, ou se former, en France, aux soins de plaies et à la relation d’aide. Histoire d’enrichir encore son parcours de nouvelles aventures…

1- Cette formation collégiale (3 ans) permet aux diplômés d’exercer en tant qu’infirmière en soins généraux, dans des services de médecine chirurgie ou de soins de longue durée. Le baccalauréat en Sciences infirmières (2 à 3 ans) ouvre, lui, à la carrière d’infirmière clinicienne, dont les attributions sont plus étendues et les soins plus complexes.

MOMENTS CLÉS

2000-2003 Emploi de graphiste à la fin de ses études de graphisme.

2003-2006 Études collégiales d’infirmière.

2006-2008 Infirmière en médecine-chirurgie.

2008-2010 Baccalauréat en Sciences infirmières.

2010 Premier voyage en France.

2010-2012 Conseillère en soins infirmiers.

Janvier 2013 Installation à Limoux, en France.

Août 2013 Déménagement à Pau.

Septembre 2013 Stage ARM.

2014 Validation du stage et premier emploi.

Une mobilité inégale

La France et le Québec ont conclu, en août 2010, un ARM censé faciliter les démarches et la mobilité des infirmières souhaitant travailler sur l’autre territoire. Il prévoit une équivalence entre le diplôme d’État français et le baccalauréat en Sciences infirmières québécois. Depuis avril 2014, le stage obligatoire de 75 jours pour les Québécoises est supprimé car « inutilement contraignant ». En 4 ans, 1 200 Françaises sont parties travailler au Québec, contre 14 Québécoises en France…

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