La néonat suit ses petits - L'Infirmière Magazine n° 345 du 15/05/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 345 du 15/05/2014

 

RETOUR À DOMICILE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

SANDRA MIGNOT  

Le centre hospitalier Delafontaine, à Saint-Denis, a mis en place, en 2011, un service d’accompagnement à domicile des enfants sortant de néonatologie. Les visites de la puéricultrice rassurent les parents et participent à l’autonomie du jeune patient.

De sa valise à roulettes, Isabelle Wachowiak sort une balance portable qu’elle installe à même le sol de l’apparthotel du Bourget (Seine-Saint-Denis). Pendant ce temps, la maman de la petite Aysiat, tchétchenne, démaillotte l’enfant sous le regard légèrement désapprobateur de la puéricultrice. « 3,980 kilos », annonce-t-elle aux parents du bébé, avant d’en prendre note dans son dossier. Le père est, lui, surtout absorbé par l’écran de son ordinateur et la mère, grand sourire aux lèvres, ne parle pas français… Les cinq autres enfants de cette famille, en attente de régularisation, vont et viennent au milieu de la pièce, sans grand intérêt pour l’entretien qui s’y déroule. C’est une fille aînée, âgée de 11 ans, qui assure la traduction des échanges. Aysiat est née il y a environ 5 mois, à 29 semaines de grossesse ; elle pesait alors 800 grammes. Ce qui explique la visite à domicile d’Isabelle, puéricultrice au service de néonatologie de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis (93).

Ce poste « sorties accompagnées », créé par le centre hospitalier en mai 2011, permet de faciliter l’arrivée de l’enfant dans sa famille. « L’idée est venue de la maternité qui avait déjà mis en place un dispositif semblable pour des familles présentant des problématiques sociales, des difficultés d’attachement mère/enfant, des problèmes d’ictère ou de mise en route de l’allaitement… » précise Pascal Bolot, chef du service néonatologie. Financé par l’Agence régionale de santé (ARS), ce poste propose entre une et cinq visites, dans les premiers jours qui suivent la sortie de l’enfant, aux familles qui résident dans l’ouest du département de la Seine-Saint-Denis. « Ils sont souvent angoissés à l’idée de se retrouver seuls avec leur bébé qu’ils perçoivent encore comme fragile, résume Isabelle Wachowiak. En outre, la sortie du service peut être décidée très rapidement, du matin pour le soir et, même si c’est toujours une bonne nouvelle, la famille a besoin de soutien pour s’adapter. »

Des parents demandeurs de soutien

Le service de néonatologie de l’hôpital Delafontaine accueille environ 400 bébés chaque année. Mais ils ne bénéficient pas tous d’une sortie accompagnée. « Un certain nombre de ces enfants sont en transfert, explique Pascal Bolot. Lorsque leur état s’améliore, ils repartent dans leur hôpital d’origine. » Par ailleurs, il est impossible de proposer ce suivi à tous, avec un seul poste d’infirmière. Les grands prématurés sont donc privilégiés. Isabelle accompagne également les bébés sortant de l’unité kangourou. « Mais c’est plus difficile en termes d’organisation, explique la puéricultrice. Comme je ne suis pas dans le service de maternité, c’est plus délicat de récupérer les données d’hospitalisation, de rencontrer les parents avant la sortie, d’échanger avec l’équipe… » Initialement, la puéricultrice devait aussi intervenir auprès des bébés de la clinique de l’Estrée, à Stains. « Mais on a arrêté, car je n’ai pas le temps de tout faire », regrette-t-elle.

Chaque matin, Isabelle assiste à la visite quotidienne des petits patients dans le service avant de partir en tournée.Ce qui lui permet de prendre connaissance des éléments essentiels de leur hospitalisation avant de les rencontrer à domicile. « Si un enfant a présenté des problèmes respiratoires, je sais que la famille va s’inquiéter au moindre petit sifflement ou ronflement, explique-t-elle. Pour la plupart, ils n’ont jamais dormi avec leur enfant et découvrent que sa respiration peut être bruyante. Je retrouve ainsi des mamans qui ne dorment pas car elles passent leur nuit au-dessus du berceau. » Les sorties de la journée peuvent aussi être annoncées lors de la visite. Isabelle prend donc soin de laisser sa carte de visite près du berceau et demande à l’une de ses collègues d’annoncer sa visite prochaine. « Nous n’avons jamais rencontré de refus », précise-t-elle.

Les parents sont même plutôt demandeurs, comme en témoigne la maman de Kelina, qui a quitté l’hôpital depuis moins de 48 heures. Tout s’est passé tellement vite que son petit lit n’a pas encore été livré. Kelina dort pour l’instant dans sa nacelle. « Elle est sortie, donc c’est qu’elle va mieux, se rassure la maman. Mais sans toutes les puéricultrices, est-ce que je vais m’en sortir ? Alors oui, je suis vraiment ravie de cette visite. » Elle n’oublie pas la régurgitation particulièrement angoissante de la veille : « J’ai eu peur, ça sortait par le nez, se souvient-elle. J’ai réveillé son papa, je voulais qu’il appelle les pompiers. » Quelques tapotements sur le dos de l’enfant réinstallé en position verticale ont finalement eu raison de l’épisode. « Vous avez très bien réagi », constate Isabelle, avant de se lancer dans l’explication de la physiologie de la régurgitation.

Une grande partie de la visite – la toute première dans cette famille – va d’ailleurs tourner autour de l’alimentation. Kelina bénéficiant d’un allaitement mixte, Isabelle s’enquiert du volume de lait maternisé absorbé, indique les différentes positions pour la mise au sein, propose une plaquette qui résume la préparation du biberon, montre comment utiliser le coussin d’allaitement… « Elle est devenue gourmande depuis qu’elle est rentrée, indique simplement la maman. Mais elle ne prend le sein que le soir. J’ai l’impression qu’elle ne veut pas se fatiguer… »

L’allaitement maternel exclusif, même s’il ne concerne que 35 % des bébés sortant de néonatologie, est difficile à maintenir. « À la deuxième visite, je vois déjà une perte de 7 points dans mes statistiques, au bénéfice de l’allaitement mixte, remarque Isabelle. Pendant l’hospitalisation, plusieurs mères tirent leur lait, mais avec le temps, elles s’épuisent psychologiquement, tirent de moins en moins et la production se tarit. L’enfant n’est pas non plus habitué au sein, il faut beaucoup de patience pour poursuivre… » La puéricultrice fait pourtant preuve d’imagination : « Je place des tétines sur le sein, j’essaie d’utiliser des bouts de sein… Mais il faut aussi savoir ne pas insister. Si la mère est trop fatiguée, qu’elle culpabilise, il vaut parfois mieux revenir à un biberon donné avec tendresse que s’acharner sur le sein… »

Deux à trois visites en moyenne

Outre l’allaitement, Isabelle prodigue aussi des conseils pour la surveillance de la température axiale, le peau à peau qui permet de remédier à un léger refroidis­sement. La puéricultrice remplit le carnet de santé, transmet toutes les adresses utiles, fait le point sur les rendez-vous déjà pris… Tout en conseillant aux aînés de ne pas oublier de se laver les mains avant de venir caresser la tête de la petite dernière. Elle laisse aussi des brochures, des échantillons de tisanes pour favoriser la lactation, des tétines de biberon plus souples que celles vendues dans le commerce…

En moyenne, chaque famille bénéficie de deux à trois visites. « Tout dépend des situations, de l’historique de l’enfant, de son environnement familial. Je passe ensuite la main à la Protection maternelle et infantile (PMI) », résume Isabelle. La puéricultrice en est à sa cinquième et dernière visite chez Aysiat. Il faut dire que l’enfant a dû être réhospitalisée en raison d’une fièvre à l’issue de la troisième visite à domicile – à peine une semaine après sa sortie. « Puis, une fois rentrée au domicile, elle ne prenait pas bien le biberon, grossissait peu, poursuit Isabelle. J’ai donc pris rendez-vous avec le pédiatre qui a diagnostiqué et traité une œsophagite. À présent, tout semble rentré dans l’ordre. » Ou presque… Aysiat n’a toujours pas de lit, la famille n’ayant pas les moyens de lui en offrir un. Elle dort donc dans une poussette. « Cela arrive régulièrement.Certains enfants dorment dans le lit des parents, faute de place ou de moyens, ce qui comporte des risques », poursuit la puéricultrice qui tente, encore une fois, de remédier à la situation. « Il est préférable de coucher le bébé dans une grande boîte en carton, avec une couverture dans le fond, que dans la poussette ou au milieu des coussins et des peluches sur le lit de sa mère… » Pour Aysiat, la solution trouvée sera une petite baignoire en plastique, qui permet au moins de l’installer à l’horizontale et de la protéger des courants d’air.

Des gestes loin d’être acquis

Avant de partir, Isabelle fait le point sur les rendez-vous médicaux déjà pris, et s’aperçoit que la première visite en PMI a été ratée… Elle parcourt ensuite les ordonnances afin de vérifier que tout a bien été compris. « Il est arrivé que le bébé d’une patiente étrangère logée au 115 n’ait eu aucun de ses traitements durant tout un week-end, parce qu’elle était sortie un vendredi et que je ne pouvais aller la voir avant le lundi… »

Certes, le personnel hospitalier explique les ordonnances et traitements avant la sortie du service de néonatologie, et les parents administrent une première fois le traitement sous l’œil d’un soignant. « Mais une fois à la maison, je m’aperçois souvent que cela n’est pas toujours acquis, note la puéricultrice. Même avec des parents qui maîtrisent complétement le français. » Pour certaines molécules, Isabelle peut proposer des modes d’administration alternatifs comme, par exemple, dissoudre dans l’eau un comprimé trop difficile à diviser en deux, et ajouter la moitié de la solution dans le biberon, à l’aide d’une seringue…

Après avoir suggéré à la maman d’Aysiat de la laisser davantage libre de ses mouvements, Isabelle reprend la route pour se rendre chez Rebeca, née à 35 semaines et deux jours, et sortie de l’unité kangourou depuis un peu plus d’une semaine. Sa maman, Maria Chitic, accueille la puéricultrice avec une boîte de médicaments à la main : elle s’inquiète de savoir si les sup­positoires, que lui a vendus la pharmacie pour dissiper la constipation de l’enfant, sont bien indiqués. Après une pesée qui affiche 3,10 kg, Isabelle montre, à l’aide d’une peluche, comment masser le ventre du bébé afin de favoriser le transit. « Et puis, n’hésitez pas à m’appeler si vous avez le moindre doute », insiste-t-elle. Mais Maria ne parle pas bien français. Une partie de l’entretien se déroulera donc au téléphone avec le papa du bébé. La puéricultrice leur annonce ensuite la fin du suivi. « Votre bébé est vif et tonique, et vous avez pris rendez-vous avec la PMI, c’est parfait. »

Ce jour-là, les visites se terminent vers 15 h 30. Isabelle a pu rencontrer trois familles. Il est temps de rentrer à l’hôpital pour s’occuper du suivi administratif : rapport d’activité et compte-rendu de visites. La puéricultrice travaille aussi sur l’élaboration de brochures en plusieurs langues qu’elle pourra laisser aux parents. Et si elle allonge encore un peu sa journée, elle aura peut-être le temps de se présenter aux parents présents dans le service.

BILAN

« Une faible réhospitalisation »

Les premières évaluations du dispositif des « sorties accompagnées » démontrent des résultats positifs. Entre mai 2012 et avril 2013, 152 enfants ont pu bénéficier de cet accompagnement, et 187 durant l’année 2013. « Le nombre de réhospitalisations est très bas, souligne Pascal Bolot, chef du service néonatologie. Cinq enfants la première année, puis trois en 2013. » Son équipe a également évalué le nombre de journées d’hospitalisation économisées à 156 sur l’exercice 2012/2013, et à 180 pour l’année 2013. « Comme nous savons qu’Isabelle est disponible, on peut faire sortir des enfants qui se nourrissent bien et prennent du poids avant 36 semaines révolues, ce qu’on ne faisait jamais avant, précise-t-il. Et nous observons souvent une progression plus rapide vers l’autonomie après le retour au domicile, les enfants boivent mieux, rapidement. » Mais un tel gain ne serait rien sans la satisfaction des parents. « Or, 28 % d’entre eux nous disent que cet accompagnement était absolument nécessaire, et 40 % le jugent nécessaire », souligne encore le chef de service.