L’ÉVALUATION DES PRATIQUES PROFESSIONNELLES | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 344 du 01/05/2014

 

FORMATION CONTINUE

L’ESSENTIEL

PASCALE THIBAULT  

La notion d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) fait progressivement son chemin dans le quotidien des soignants. Cette terminologie appartient au vocabulaire accompagnant à la fois la démarche qualité des établissements de santé et la formation continue des professionnels, en particulier infirmiers. La démarche qualité a fait ses premiers pas dans le monde du soin à la fin du XXe siècle avec, en première étape, l’accréditation des établissements. Il s’agissait alors de sensibiliser l’ensemble des intervenants au concept de qualité des prestations fournies. L’EPP est apparue, pour les médecins, dans le cadre de la Loi de sécurité sociale du 13 août 2004, puis introduite au cours des étapes de certification – plus particulièrement la 3e appelée « V2010 ». En parallèle, la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) a rendu obligatoire la formation par l’introduction du Développement professionnel continu (DPC), précisant qu’un des moyens de répondre à cette obligation est la participation à une EPP.

1. DÉFINITION ET OBJECTIFS GÉNÉRAUX DES EPP

L’évaluation des pratiques professionnelles représente une étape historique dans l’évolution de l’évaluation des soins par les professionnels. On passe, grâce à l’EPP, de l’évaluation de l’efficacité du soin (« ce que je fais et dont j’évalue immédiatement l’effet ») à celle de l’homogénéité, de la conformité et de l’efficacité des pratiques d’une équipe, voire d’un groupe professionnel au regard de normes en vigueur. Ces dernières sont appelées recommandations de bonne pratique (RBP), lorsqu’elles ont fait l’objet d’une identification par une autorité reconnue (OMS, HAS, société savante). Jusqu’à une période récente, les infirmières transmettaient leur savoir de façon empirique, chacun ayant une pratique, une technique, un savoir-faire qui lui était propre. Au fur et à mesure de l’évolution des connaissances médicales et scientifiques, des travaux de recherche ont permis d’élaborer des recommandations. En médecine occidentale, on parle désormais de « Médecine Basée sur les Preuves » ou Evidence Base Medicine (EBM). Pour les soins infirmiers, il s’agit de l’Evidence Base Nursing (EBN). Lorsque ces recommandations existent, les professionnels s’y réfèrent pour mettre en œuvre les soins et en évaluer l’efficacité. Par exemple, dans un service accueillant des personnes âgées, chaque infirmière peut avoir une technique de soin et de réfection des pansements d’escarres. Et chacune est persuadée de détenir la bonne méthode, la bonne pratique, la bonne technique puisque le plus souvent, c’est celle qu’elle a apprise au cours de sa formation initiale. Désormais, et depuis 2001, grâce à l’évaluation des pratiques professionnelles, l’équipe soignante se tient informée des dernières recommandations (1) (2) concernant ce soin, les intègre à sa pratique quotidienne et peut ensuite apporter la preuve que cette intégration est effective, c’est-à-dire que chacun a bien modifié sa manière de faire, en conformité avec les recommandations. Enfin, la preuve peut être apportée des bénéfices que les patients en retirent.

Objectifs

L’EPP se définit donc comme l’analyse de la pratique professionnelle au regard de recommandations de bonne pratique et selon une méthodologie définie au préalable. Elle s’accompagne de mesures d’amélioration élaborées en fonction des résultats de l’évaluation. Et a pour objectif de garantir au patient une pratique professionnelle des personnels, soignants et non soignants, conforme aux recommandations en vigueur et contribue par là même à la qualité des soins. Elle permet également aux soignants d’évaluer leurs actes de façon conforme aux règles de bonne pratique, d’assurer des soins ou des activités soignantes de façon uniforme et cohérente au sein d’un service hospitalier.

Lorsque les règles de bonne pratique sont connues et appliquées au sein d’une équipe, il est plus aisé d’identifier et de signaler un évènement indésirable, c’est-à-dire, une situation, un incident ou un accident qui ne serait pas conforme aux règles définies.

Domaines de soin

Pour l’OMS (3), la démarche d’EPP concerne l’ensemble des activités soignantes. Dans l’absolu, toute activité de soin infirmier peut relever d’une EPP. Toutefois, il est préférable, en première intention, de réaliser une EPP sur les activités pour lesquelles il existe des recommandations de bonne pratique. Différentes méthodes existent pour élaborer ces recommandations. À l’heure actuelle et, compte tenu de l’insuffisance de recherche en soins infirmiers d’une part, et de la jeunesse de la démarche qualité en santé d’autre part, il subsiste encore de nombreux domaines de soins pour lesquels il n’existe pas de recommandations.

La question se pose donc fréquemment de savoir si l’on peut faire une EPP en l’absence de recommandations de bonne pratique. Dans l’absolu et, compte tenu de la définition, en principe non. Toutefois, la démarche d’harmonisation des pratiques est une étape qui peut être intéressante dans une équipe et qui permet de se préparer à cette réalisation telle qu’elle est décrite dans les textes de référence. Par ailleurs, si l’on peut admettre que toute pratique de soin peut constituer un sujet de recherche pour en évaluer l’efficacité ou l’adéquation, il est évident que certains aspects de la pratique infirmière ne font pas prioritairement l’objet de travaux de recherche, ni de recommandations professionnelles. L’évaluation des pratiques professionnelles s’appuie alors sur les usages et règles d’exercice professionnel en vigueur.

2. CADRE LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE

La démarche de certification

Dans le cadre de la certification des établissements de santé et, depuis la V2010 (4), 3e étape de certification, la démarche de réalisation des EPP est placée dans le chapitre 1.1 : « Management de l’établissement – stratégie de management ». Cela souligne l’importance accordée par les pouvoirs publics à cette démarche qui concerne autant les professionnels du soin que les gestionnaires. Le critère 1.f intitulé « Politique et organisation des évaluations de pratiques professionnelles » constitue une Pratique exigible prioritaire (PEP) au sein des établissements. Cela signifie que dans chaque établissement, les experts-visiteurs évaluent la capacité de la direction à inciter et accompagner les professionnels du soin dans la réalisation d’une EPP.

Dans ce manuel, il est précisé que « l’établissement doit mettre en place un système de management et de responsabilisation qui rallie les gestionnaires et les soignants autour d’objectifs communs d’amélioration de la qualité des soins, des services et de la sécurité du patient. Il doit favoriser le processus de concertation et de décision par une responsabilisation partagée des professionnels, acteurs et responsables du changement. La mise en place de l’EPP/DPC doit tenir compte des orientations stratégiques de l’établissement mais, ­également, des orientations nationales ou régionales et des enjeux liés aux prises en charge des patients en s’appuyant sur les travaux des conseils nationaux de spécialités. »

La loi HPST et le DPC

Depuis la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » promulguée en 2009, chaque professionnel de santé est dans l’obligation de se former tout au long de sa vie professionnelle et de rendre compte des formations qu’il a suivies. Cette obligation de formation est appelée Développement professionnel continu (DPC). Elle peut être remplie de plusieurs façons : classiquement, en formation dite « présentielle » mais aussi, entre autres, en participant à la réalisation d’une EPP ou d’analyses de pratiques.

MÉTHODES ET OUTILS

LES RECOMMANDATIONS DE BONNE PRATIQUE

Selon la Haute Autorité de santé (HAS), les recommandations de bonne pratique se définissent comme « des propositions développées selon une méthode explicite pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances données ».

Les recommandations destinées aux professionnels de santé sont élaborées au niveau mondial (*). On trouve, par exemple, les recommandations concernant l’allaitement maternel, soit au niveau européen, soit au niveau national en conformité avec le système de santé français.

Elles sont élaborées par les sociétés savantes et/ ou par la HAS et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

Il existe actuellement en France 115 organisations professionnelles pouvant correspondre à la définition d’une société savante.

Certaines sont multi­disciplinaires. On peut citer, par exemple, la SFAP, la SFETD, SFFPC.

Les méthodes d’élaboration

Schématiquement, il existe 4 méthodes d’élaboration des recommandations :

→ Les « recommandations pour la pratique clinique » Un groupe d’experts les rédige à partir de l’analyse critique des données de recherche disponibles. Cette méthode est adaptée lorsque les données de recherche sont abondantes.

→ La « conférence de consensus »

Les recommandations sont rédigées par des scientifiques qui ne sont pas experts du sujet et qui les présentent ensuite publiquement.

Les recommandations répondent à 4 à 6 questions prédéfinies. Cette méthode est adaptée lorsque les données font débat au sein de la profession.

→ Le « consensus formalisé »

Les recommandations sont élaborées par des experts de la thématique dans des situations cliniques précises et réalistes. Cette méthode est utilisée lorsque les travaux de recherche sont rares et les avis sur les conduites à tenir divergents.

→ L’« audition publique »

Les recommandations sont élaborées par une commission après débat public réunissant professionnels et patients. Cette méthode est utilisée lorsqu’il existe peu de travaux de recherche et de nombreuses controverses sur le sujet.

Le niveau de preuve

Pour chaque exemple de recommandation de bonne pratique, la méthode retenue par le groupe d’experts qui l’a élaborée est précisée. Lorsqu’une recommandation est donnée, le groupe d’experts apporte en complément le niveau de preuve qui correspond à la qualité des études qui ont servi à élaborer la recommandation :

→ Un niveau de preuve A

Les experts ont disposé de nombreux travaux de recherche de bonne qualité pour établir la recommandation ;

→ Un niveau de preuve B

Les preuves ont été jugées d’un niveau correct ;

→ Un niveau de preuve C

Des études existent, mais leurs résultats sont critiquables sur le plan méthodologique ;

→ Un niveau de preuve D

Il n’existe pas de travaux de recherche, mais un accord d’experts est unanime (par exemple, parce qu’une méthode a fait la preuve de son efficacité, est unanimement utilisée et qu’il ne serait pas pertinent d’en évaluer l’efficacité).

Concernant les recommandations élaborées par la HAS : 37 datent de moins de 5 ans, 46 ont plus de 5 ans, 6 sont en cours de réactualisation, 3 sont archivées.

* Lire « Les recommandations de bonne pratique », J. Le Gall, paru dans L’Infirmière Magazine n° 272 du 1er février 2011.

1- Conférence de consensus « Prévention et traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé », Anaes, 2001.

2- Recommandations pour la prise en charge des patients à risques et/ou porteurs d’escarres par consensus formalisé d’experts, PERSE. SFFPC. SFGG. SOFMER, 2013.

3- Legido-Quigley H., McKee M., Nolte E., Glinos I. A., « Assuring the quality of health care in the European Union. A case for action ». Copenhague : WHO Regional Office for Europe, 2008 (Observatory Studies, Series n° 12).

4- Manuel de certification des établissements de santé « V2010 », version actualisée en 2011 critère 1.f, p. 19.