Un toit pour se reconstruire - L'Infirmière Magazine n° 342 du 01/04/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 342 du 01/04/2014

 

ACT

REPORTAGE

LAËTITIA DI STEFANO  

Les appartements de coordination thérapeutique (ACT) accueillent un public atteint de pathologies chroniques invalidantes. Au service des ACT du Val-de-Marne, géré par la fondation Maison des Champs, le suivi individualisé favorise la poursuite des soins.

Allongez-vous sur le dos, on soulève la tête, les jambes, et on tient ! Travail des abdominaux », lance Mickael, de l’association Viacti(1). Trois femmes et un homme s’exécutent… Cette séance d’activités physiques adaptées (APA) se déroule dans les locaux du service des appartements de coordination thérapeutique (ACT) du Val-de-Marne, au Kremlin-Bicêtre. « Des activités collectives sont proposées aux résidents, dans le cadre de leur prise en charge, dans un but de socialisation et d’autonomisation », précise Hélène Narboni, directrice des ACT 94 et Paris, gérés par la fondation Maison des Champs. Né dans les années 1990, le système avait pour vocation de « recevoir des patients atteints du VIH en grande difficulté, qui n’avaient pas où aller en sortant de longs séjours à l’hôpital », explique le Dr Jean-Paul Brosseau, médecin coordinateur des ACT 94 depuis leur création en 1995. Depuis la loi de modernisation sociale de 2002, les ACT sont ouverts à d’autres pathologies chroniques et financés par l’assurance maladie. Le cadre légal stipule notamment qu’il s’agit d’un hébergement « à titre temporaire pour des personnes en situation de fragilité psychologique et sociale et nécessitant des soins et un suivi médical ». Les patients arrivent en général pendant une phase aiguë de leur pathologie, et bénéficient d’un double accompagnement médico-social.

Des parcours chaotiques

« Avant d’arriver ici, j’étais logée chez mon frère, avec ses quatre enfants, et son épouse en attendait un cinquième. Avec mon traitement, j’ai besoin de repos et de calme. C’était compliqué, explique Chantal, tout en reprenant son souffle. J’apprécie ces séances d’activités (APA ndlr), ça dérouille. » En 2010, en vacances en France, elle découvre, lors d’un bilan de routine, qu’elle est atteinte d’une hépatite C. Restée sur le territoire pour se soigner, elle est ballotée d’hôpitaux en cliniques. « Un an pour trouver un protocole », se rappelle-t-elle. Quand elle reçoit une réponse positive des ACT, grâce à l’assistante sociale, c’est un soulagement. « Les gens qui arrivent ici ont des parcours de vie et médicaux épuisants », assure Betty Nou, infirmière coordinatrice aux ACT 94, 25 ans et déjà quelques années d’hôpital derrière elle. Comme Chantal, ils sont 32 à résider dans un studio ou à partager un appartement avec d’autres malades. La majorité des patients est envoyée par les services sociaux hospitaliers. Deux dossiers à remplir, deux entretiens : médical et social. Le résident participe aux frais d’hébergement à hauteur de 16 % de ses ressources, et signe un contrat de séjour de six mois, renouvelable une fois. « Mais beaucoup restent plus longtemps, faute de logement de sortie, alors qu’ils n’ont plus besoin de coordination », déplore Céline Vilder, la chef du service. Résultat : seules dix personnes entrent chaque année, sur plus de 400 dossiers.

Équipe pluridisciplinaire

Travailleurs sociaux, médecin, infirmières et psychologue travaillent de concert sur le projet personnalisé de chaque résident. « Avec ma référente sociale, je parle logement, carte Vitale… et, avec Najla, mon infirmière, de la maladie. Elle m’accompagne aux consultations », souffle Hubert. Ce Réunionnais de 48 ans a subi une greffe du foie en 2012. Sa famille ne pouvait plus l’héberger. Aujourd’hui, Najla Py lui rend visite. Il cohabite avec deux autres malades dans un quatre pièces. « Nous voyons les patients en entretien une fois par semaine, alternativement au bureau et chez eux », commence l’infirmière, sortant le dossier d’Hubert. Elles sont deux à travailler à plein temps dans le service, et suivent 16 résidents chacune, en collaboration avec le médecin coordinateur, présent à tiers temps. Najla a 35 ans, elle a travaillé en réa chirurgicale, puis en réa médicale, et en USR avant d’entrer aux ACT. « Avez-vous regardé vos résultats d’analyses ? », demande-t-elle. Hubert n’a pas décacheté l’enveloppe. « Je ne sais pas lire ça », s’excuse-t-il. « Les patients comptent beaucoup sur nous. Mais l’objectif est de les mener à l’autonomie », confie l’infirmière. Patiemment, elle explique. Les entretiens hebdomadaires sont aussi le moment des questions : « J’ai encore mal à l’endroit de la cicatrice, c’est normal ? », interroge Hubert. Najla rassure et conseille. Un contenant jaune à la main, estampillé recyclage des produits dangereux, Hubert ose : « Il est plein… » Le patient se fait des injections quotidiennes d’insuline. « Vous ne devez y jeter que les aiguilles, pas les stylos », répond gentiment l’infirmière après avoir observé le contenu. Pas grave pour cette fois, elle en fournira un autre. Retour au bureau. Les infos sur une nouvelle résidente à entrer dans l’ordinateur. Des coups de fil à l’hôpital pour récupérer bilans et comptes-rendus… Pas le temps d’aller à la pharmacie pour commander les 2 000 préservatifs de la « réserve », ce saladier presque vide qui trône au milieu des dépliants sur le VIH, l’hépatite, l’alimentation, le cannabis… Elle faxera la commande.

Éducation thérapeutique

« Nous ne prodiguons pas de soins techniques ici, explique Betty. Cela ne me manque pas, je n’ai pas besoin de piquer dix fois par jour pour me sentir infirmière. » Ce matin, elle se rend chez Laurent, un jeune homme originaire des Balkans, atteint d’une leucémie. « Chez moi, ils ne savaient pas quoi faire », confie-t-il. Hospitalisé à Paris, puis hébergé en foyer, il intègre un ACT à Villejuif en 2013. Avec ses collègues du social, Betty a organisé la venue des parents de Laurent. Ils ne s’étaient pas vus depuis plus de deux ans, car « si je retourne dans mon pays, ma vie est finie. Ici, je suis bien soigné », explique le jeune homme. Aujourd’hui, Betty range les médicaments : « Ce tiroir était dans un état ! Toutes les boîtes mélangées… Alors, nous trions. Pourtant, Laurent prend parfaitement son traitement, ce qui n’est pas le cas de tous mes patients. Je ne sais pas comment tu t’y retrouves dans ce bazar ! » Le garçon rit. En ce moment, la chimiothérapie lui provoque des douleurs neuropathiques. Betty lui en explique les causes. « L’éducation thérapeutique représente une part importante de notre travail, pas seulement sur les pathologies, mais aussi sur l’alimentation, l’hygiène. On organise des ateliers santé collectif, avec le Dr Brosseau. Le dernier portait sur l’interprétation des résultats d’examens sanguins : NFS, ionogramme et bilan lipidique », commente l’infirmière.

Vers l’autonomisation

« Depuis l’atelier, j’arrive à lire mes résultats. Les leucocytes ont un peu augmenté, mais la glycémie, ça va », annonce fièrement Myriam, fonctionnaire à la retraite, qui reçoit Betty dans son studio. Dans un coin, un patchwork de coupures de journaux où on lit les mots « prière », « Dieu ». Myriam trouve du réconfort dans sa foi. « Celui-là, je l’ai fait chez moi, mais c’est l’atelier “Autour du papier” qui m’a inspirée. On y crée des tableaux pour dire notre état du moment, en collant des images ou des phrases glanées dans la presse », raconte-t-elle. En 2009, son cancer se déclare ; elle quitte alors son île pour la France afin de dire au revoir aux siens. Le médecin la convainc de rester se soigner. D’abord hébergée par son fils, elle trouve finalement le repos au sein de son appartement de la fondation Maison des Champs. « L’ACT a aidé à ma guérison. Je ne me sens pas malade ici, je n’ai pas de pression. À présent, j’attends de trouver mon chez moi », raconte-t-elle. Dans la cuisine, des recettes au micro-ondes, un atelier collectif qu’elle suit avec assiduité : « C’est facile à faire, et délicieux ! ».

D’autres patients rencontrent des difficultés : troubles psychologiques, addictions ou autre conséquence du poids d’une pathologie chronique associée à une situation sociale précaire, à l’isolement, aux dettes… Les problématiques sont discutées en équipe. Un nouveau patient, sortant d’une période d’incarcération, sans papiers, hémodialysé, a besoin d’un examen par vidéo capsule endoscopique. L’équipe est en branle. « Nous devons partager en partie le secret médical avec nos collègues. C’est une spécificité du double accompagnement », explique le Dr Brosseau. Lætitia Asse, l’une des trois référentes sociales du service, acquiesce : « Si un résident prend un traitement le matin, je lui donne rendez-vous l’après-midi. Je cherche une aide à domicile s’il ne peut plus faire le ménage, un logement en rez-de-chaussée pour éviter les escaliers… Pour gérer le droit commun, j’ai besoin de connaître l’état de santé du résident. » Jour après jour, pour certains, la vie reprend. Nathalie a trouvé un emploi à mi-temps dans la restauration : « L’équipe des ACT m’a redonné le sourire. Ici, on nous montre qu’on est comme tout le monde. La maladie, on ne l’a pas voulue. » Sophie, sa colocataire, rêve de devenir styliste. Son projet en est encore à ses prémices. Se soigner d’abord. Aujourd’hui, elle est en dyalise et regrette de ne pouvoir participer à l’atelier socio-esthétique, dans les bureaux du service. Corinne, l’intervenante, y propose un soin des mains : « Vous les utilisez tous les jours, il faut les soigner car elles peuvent véhiculer des microbes. » Au programme : limage des ongles, crème, masque. « Souvent, les malades ne voient pas l’intérêt de prendre soin d’eux. Je travaille sur l’estime de soi, le retour au corps… », précise Corinne. « Je viens dès que je peux, assure Martin, les mains plongées dans un bol d’eau chaude. Les ateliers nous évitent l’ennui. »

Infirmières en civil

Le suivi continue pendant les hospitalisations. « J’ai passé la journée à Saint-Louis hier, trois patients à visiter, une équipe de coordination de greffe à rencontrer, raconte Betty, derrière son bureau qu’elle apprivoise peu à peu. À l’hôpital, le bureau est dans nos poches ! Se poser pour faire des transmissions est un vrai confort. » Pour recevoir les patients aussi. Bernard attendait une greffe de rein. Marie, son épouse, est venue d’Afrique pour lui faire don d’un organe, mais le couple était perdu dans cette procédure complexe. Betty a donc mis en place une véritable coordination médicale avec les partenaires hospitaliers pour fluidifier le suivi et débloquer la situation. « C’est indispensable d’avoir un intermédiaire avec qui communiquer en confiance », insiste Marie, qui espère un dénouement positif. « La greffe est extrêmement probable, mais ne sera confirmée qu’après le passage devant le comité et le tribunal », précise Betty. Au sein des ACT, les infirmières outrepassent ainsi parfois leur rôle de soignant : « J’apporte des vêtements à un patient hospitalisé ; j’apprends à un autre comment utiliser un ordinateur. On est en civil, et ils nous voient parfois comme une mère, une amie… Si ta posture est claire, peu importe que tu aies une blouse ou pas », assure la jeune infirmière. Le lien entre les professionnels et les patients se tisse également lors du groupe d’expression mensuel, auquel participe une partie de l’équipe pluridisciplinaire. On parle du fonctionnement, d’éventuels problèmes. Roger y est assidu, en tant que représentant des résidents : « C’est important, car je vis là moi-même. J’ai du temps, et j’ai envie d’aider les gens. » Ce soir, à l’ordre du jour, un nouvel atelier informatique et le rapport d’évaluation interne, auxquels ont participé plusieurs résidents. Au sortir de la réunion, Roger souffle : « Le logement est la pièce maitresse de la reconstruction d’un homme qui sort peu à peu de sa maladie. Si l’on doit prendre un cachet à 20 heures, et qu’à 19 heures, on n’a pas où dormir, que faire ? Le traitement bouscule. Après la prise, il faut se coucher, ce n’est pas simple. »

Au sein des ACT, ces patients atteints de maladies chroniques invalidantes, souvent polypathologiques, reprennent espoir, comme le souligne Céline Vilder : « Ce petit bout de chemin leur donne envie de rebondir. » Nathalie a passé plus d’un an déjà dans son appartement de coordination thérapeutique. Elle confie : « J’ai été reconnue travailleur handicapé, j’ai un emploi, des papiers. Je ne veux plus parler de maladie, je n’en dors déjà pas la nuit. Maintenant, je souhaite trouver un logement et commencer une nouvelle vie. »

1- Association loi 1901 qui a pour but d’amener un public de personnes âgées, malades, ou handicapées vers l’autonomie par la pratique d’activités physiques adaptées. www.viacti.com

SAVOIR PLUS

> Fondation Maison des Champs : www.fdmc.fr

> Fédération nationale d’hérbergement VIH et autres pathologies : www.fnh-vih.org

Radiographie

Imaginés dans les années 1990 pour les malades du VIH rencontrant des difficultés sociales et de logement, les ACT sont devenus une structure médico-sociale depuis la loi de modernisation sociale de 2002 (décret 2002-1227). Depuis, ils ont été ouverts à d’autres pathologies chroniques invalidantes (hépatites, cancer…).

Le service des ACT de la fondation Maison des Champs pour le Val-de-Marne est présent dans 4 villes : le Kremlin-Bicêtre (siège), Villejuif, Ivry-sur-Seine et Chevilly-Larue ; 32 places dans 25 appartements (seul ou en cohabitation)

L’équipe : personnel d’entretien, administratif et soignant, dont un médecin, deux infirmières, une psychologue, trois travailleurs sociaux. Des intervenants extérieurs animent des ateliers.

Leur mission : héberger les personnes, les soutenir sur le plan psychologique et dans la gestion du quotidien, mettre en place une coordination médicale, leur donner accès aux droits sociaux…

L’admission : une période d’essai est mise en place. Le résident signe un contrat de séjour de six mois et rédige un projet travaillé avec ses référents médical et social.