Un pied à l’étrier - L'Infirmière Magazine n° 340 du 01/03/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 340 du 01/03/2014

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

JEAN-MICHEL DELAGE  

Elle pratique l’équitation depuis son plus jeune âge. Aujourd’hui à la tête de son auto-entreprise et en poste à 80 % à l’hôpital Necker, Laïla Burger El Masri a fait de sa passion pour les chevaux un outil pour les personnes handicapées.

En ce jeudi matin froid et pluvieux, les Écuries du poney d’or, à Brou-sur-Chantereine (77) sont peu fréquentées. Seul un palefrenier s’active dans les boxes de ce club équestre. À l’abri dans le club-house, Laïla Burger El Masri patiente au chaud. Elle attend un groupe de jeunes personnes atteintes de troubles psychiques qui viennent pour leur séance mensuelle d’équithérapie. Ce choix d’utiliser le cheval comme partenaire thérapeutique est motivé tant par sa passion pour l’équitation que par ses compétences d’infirmière.

Ses premiers pas dans la formation universitaire se font pourtant en art dramatique, à la Sorbonne, pendant deux ans. Mais un « job d’été » comme agent de service à l’hôpital San Salvadour de Hyères provoque un déclic. Cette expérience auprès d’enfants hospitalisés lui donne envie de bifurquer vers les métiers de la santé. Elle abandonne ses études dès la rentrée suivante. Elle passe alors le concours d’entrée à l’école d’infirmière et, son diplôme en poche, exerce pendant trois ans à l’hôpital Avicenne de Bobigny (93). Elle rejoint ensuite l’hôpital Necker (AP-HP) en 2007, où elle occupe deux postes en alternance : six mois en salle de réveil pédiatrique et six mois au Smur pédiatrique. Ce qui est toujours le cas aujourd’hui. « Deux rythmes différents, reconnaît l’infirmière. En salle de réveil, on ne sait jamais ce que nous aurons comme intervention. Enfants polytraumatisés, neurochirurgie de la tête… Quant au Smur, ce sont beaucoup d’accidents, mais aussi de la néonatalogie, des grands prématurés. » Des activités intenses et éprouvantes, surtout émotionnellement. Pour se ressourcer, Laïla s’adonne à sa passion et retrouve tous les jours Hourada, sa jument de 12?ans. « Je pratique l’équitation depuis mon plus jeune âge. C’est une activité relaxante qui m’apporte la paix », explique-t-elle. Rapidement, elle se rend compte qu’elle peut « concilier (son) activité de loisir à (ses) compétences d’infirmière ».

En 2010, elle décide de prendre un congé individuel de formation de huit mois pour passer le Brevet fédéral d'encadrement Equi-Handi (BFEEH) à l’UCPA de La Courneuve (93). Elle se met ensuite en disponibilité de l’hôpital Necker et s’engage à mi-temps comme infirmière dans un foyer des Paralysés de France. « Il me fallait du temps pour mettre en place mon projet, faire connaître mon activité auprès des établissements accueillant des personnes en situation de handicap », commente la jeune femme. Elle crée alors son site Internet et lance son auto-entreprise, Hand’hippique du Centaure(1). De retour à Necker, elle fait le choix de ne pas travailler à temps plein : « J’ai un poste à 80 %, ce qui me permet de consacrer chaque jeudi à mon activité équestre. »

Logique d’équithérapie

Aujourd’hui, Laïla collabore avec de nombreuses institutions. « Mais je choisis avec qui travailler, insiste-t-elle. Je tiens vraiment à ce que les structures me présentent un projet. Il faut une réelle logique d’équithérapie ou, en tout cas, un travail avec le cheval qui puisse servir à l’amélioration de l’état de la personne accueillie. » Pour s’en assurer, l’infirmière organise préalablement des rencontres avec les encadrants. Ces réunions institutionnelles avec soignants, psychiatres et chefs de service permettent d’élaborer un projet de soins. Et des objectifs. « Le but peut être, tout simplement, de prendre du plaisir en montant un poney. Dans ce cas, je prépare les chevaux avant l’arrivée du groupe, qui n’a plus qu’à les emmener au manège et à marcher à leurs côtés », ajoute-t-elle. Un exercice qui permet aux éducateurs de se mettre en retrait et d’observer les comportements de chacun et l’interaction entre la personne et l’animal. La sécurité est un élément primordial. « On nous enseigne aussi cela pendant la formation au BFEEH. Il ne s’agit pas seulement de bien savoir monter à cheval ou d’avoir son “galop 5”. Il faut aussi ressentir les limites des chevaux, juste en observant la posture », précise la jeune femme.

Dressage à la voix

Laïla entretient un rapport professionnel avec les poneys – qu’elle nomme d’ailleurs ses « collègues » : « Ce sont des êtres qui ont leur caractère ! Ils fonctionnent beaucoup sur l’émotion. » Elle n’a travaillé qu’une seule fois avec sa propre jument. « C’était avec une cavalière IMC qui avait de gros déficits au niveau des membres inférieurs et une baisse de tonicité musculaire dans les membres supérieurs, explique l’infirmière. La base de l’équitation étant, schématiquement, liée au travail des jambes, je l’ai dressée à la voix. On lui a appris à partir au pas, au trot, à ralentir ou à s’arrêter. C’est une jument très réceptive. »

La plupart du temps, les « cavaliers » ne montent pas à cheval. Les jeunes handicapés présents ce jeudi matin sont encore novices. Ils ne découvriront l’animal qu’à travers des jeux et des caresses. Laïla les initie à de petites tâches telles que le brossage de la crinière et de la robe ou le décrottage des sabots. Il y a beaucoup d’éléments à gérer avec les chevaux : la peur, les appréhensions. « Jusqu’à présent, je n’ai jamais vu d’enfant paniquer devant son cheval, affirme-t-elle. Parfois, cela prend du temps, mais ma mission n’est pas de les mettre en situation d’échec. Je n’insiste pas quand ils ne parviennent pas à les approcher ou à les brosser. » Elle trouve alors d’autres solutions. « On biaise en proposant autre chose. On leur demande de faire le tour du box pour vérifier s’il y a assez de foin, que le lit de paille est propre ou que l’abreuvoir est correctement rempli », détaille-t-elle. Une façon de montrer que, même si elle n’a pas pu brosser le cheval, la personne a pris soin de celui-ci afin qu’il retrouve un box confortable en fin de séance.

Au fil des semaines, les progrès peuvent apparaître, de façon souvent subtile. Comme pour cette petite fille qui, au début, ne parlait pas et n’arrivait pas à se positionner au sein du groupe. Après quelques séances hebdomadaires, elle a pu verbaliser ses émotions et dire tout simplement si cela lui plaisait et ce qu’elle avait envie de faire. « Même si l’évaluation n’est jamais facile, car, ici, il ne s’agit pas d’une performance sportive mais d’un ressenti subjectif », précise Laïla.

Déficients visuels

Pendant trois ans, elle a accueilli le même groupe d’enfants déficients visuels. Ils étaient en classe d’inclusion et venaient au centre tous les quinze jours. « En fin de parcours, j’ai invité leurs auxiliaires de vie scolaire (AVS) pour qu’ils voient celles et ceux qu’ils aident chaque jour en classe. Ce sont eux qui peuvent vraiment porter un jugement sur le travail accompli et la progression. » Et, pour Laïla, c’est une vraie satisfaction quand on lui dit que l’enfant a été transformé par cette expérience équestre ! Un plaisir certes, mais il faut aussi préparer les participants à la fin des activités. « C’est assez compliqué, admet-elle. Pendant des mois, voire des années, ils ont eu ce rendez-vous régulier, et parfois avec le même cheval. » Beaucoup d’entre eux ne referont jamais d’équitation, pour des questions financières, ou parce que peu de centres sont en capacité d’accueillir des personnes handicapées. C’est aussi cela que défend la jeune femme auprès de la Fédération française d’équitation. « Il faut former un maximum de moniteurs pour encadrer les personnes handicapées. Mais cela implique aussi une plus grande volonté de la part des propriétaires de centre équestre », revendique-t-elle. Il faudrait également que la cavalerie et les locaux soient adaptés. « Nombreux sont ceux qui pensent que l’équitation n’est pas un sport pour les personnes handicapées, conclut Laïla. Pourtant, il faut comprendre que quel que soit le handicap, il est tout à fait possible de monter à cheval. »

1- http://handhippiqueducentaure.asso-web.com/

MOMENTS CLÉS

1999 Arrivée à l’Assistance publique comme agent hospitalier.

2001 Études d’infirmière à l’hôpital Avicenne (Bobigny, 93).

2004 En poste à l’hôpital Avicenne en réanimation polyvalente.

2007 Arrivée à l’hôpital Necker (AP-HP) : elle alterne 6 mois en salle de réveil pédiatrique et 6 mois au sein du Smur pédiatrique.

2010 Congé formation pour passer le monitorat d’équitation à visée thérapeutique.

2011 Création d’Hand’hippique du Centaure.

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