« Le statut de patient doit s’imposer » - L'Infirmière Magazine n° 340 du 01/03/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 340 du 01/03/2014

 

SANTÉ EN DÉTENTION

RÉFLEXION

STÉPHANE MOIROUX  

Arrivé à l’OIP(1) trois ans après la réforme transférant les charges de santé en milieu carcéral du ministère de la Justice à celui de la Santé, François Bès a pu observer, et parfois dénoncer l’évolution de la prise en charge sanitaire en prison.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quelle est la situation de la santé des détenus en France ?

FRANÇOIS BÈS : Les personnes incarcérées présentent un état de santé assez dégradé. De par une insertion sociale difficile avant leur entrée en prison, une majorité des détenus échappaient déjà au système de soins de droit commun. La population carcérale étant plutôt jeune, la plupart des affections sont relativement légères. On note, par exemple, beaucoup de troubles dentaires et de troubles comportementaux ou psychiques peu envahissants. Les pathologies graves, somatiques ou psychiatriques, sont, quant à elles, moins fréquentes, mais en plus forte proportion que dans la population générale.

L’I.M. : La réforme de 1994 a confié la responsabilité des soins en prison au ministère de la Santé. Quelle est la place du soignant au sein d’un établissement pénitentiaire ?

F.B. : En effet, avant cette réforme, l’administration pénitentiaire était chargée des soins. Les détenus nous racontent qu’il y avait vraiment de tout à l’époque, et qualifient certains médecins de vétérinaires ou de bouchers. Aujourd’hui, au sein de chaque établissement pénitentiaire, se trouve une unité sanitaire, anciennement appelée unité de consultation et soins ambulatoires. Le personnel dépend de l’hôpital de proximité auquel est rattachée la prison. Y exercer le métier de soignant est difficile, c’est un combat permanent contre les règles de l’administration pénitentiaire. Le non-respect du secret médical, notamment, est quotidien. Par exemple, si tel ou tel détenu est convoqué à 14?heures le mardi, heure de la visite du médecin infectiologue, il est facile pour un surveillant ou un codétenu d’en déduire qu’il est atteint d’une infection au VIH. Même schéma concernant les dossiers électroniques des détenus, appelés « cahiers électroniques de liaison », et les commissions pluridisciplinaires uniques. Ces outils de communication instaurés au sein des établissements de détention mettent à mal le secret médical de par la confidentialité des informations demandées aux soignants par l’administration pénitentiaire.

In fine, des médecins et des infirmières que nous rencontrons à l’OIP nous expliquent que le meilleur moyen de ne pas prendre les réflexes carcéraux reste de ne travailler qu’à temps partiel dans une prison. Ils peuvent ainsi garder les repères acquis à l’hôpital et conserver leurs principes éthiques et déontologiques.

L’I.M. : Dans ces conditions d’exercice, la priseen charge du détenu peut-elle être satisfaisante ?

F.B. : À l’entrée en prison, des consultations médicales et paramédicales sont proposées. Globalement bien faites, elles permettent l’identification des troubles de santé assez rapidement. Cependant, il est plus compliqué pour les soignants de repérer une maladie se déclarant en cours de détention. Les examens nécessaires ne sont pas systématiquement proposés et les détenus n’ont pas directement accès au personnel de soins. Quand on est enfermé en cellule, on ne va pas librement de la zone de détention à l’unité sanitaire. Les rendez-vous se prennent généralement par courrier. Chaque matin, les infirmières analysent ces demandes et les classent selon des critères d’urgence, les lettres non motivées passant en second plan. L’analphabétisme est important en prison. Imaginez comme il peut être difficile pour certains détenus de demander à un codétenu ou à un surveillant de rédiger en leur nom un courrier contenant des informations médicales personnelles…

L’I.M. : Et hors les murs de la prison, en situation de soins à l’hôpital, comment le détenu malade est-il considéré ?

F.B. : Lors de l’extraction médicale, c’est-à-dire le déplacement d’un détenu vers l’hôpital, l’administration pénitentiaire va privilégier la sécurité. Il y a alors confrontation entre deux institutions, l’une dans une logique de garde, l’autre dans une logique de soins. En 2008, une circulaire a défini trois niveaux de sécurité à poser lors d’une extraction. Il existe une nette tendance à sécuriser au niveau maximum, ce qui signifie escorte, menottes ou entraves. Dans ces conditions, certains détenus refusent les soins. Ils ne veulent pas traverser l’hôpital menottés et encore moins, qu’un surveillant assiste à leur consultation médicale. On note également un manque évident d’information et de connaissances à l’hôpital quant à la prise en charge des personnes incarcérées. Les soignants considèrent facilement les menottes ou la présence de surveillants comme une preuve de la dangerosité d’un individu. Ils ne se posent donc pas vraiment de questions quant à la situation réelle du détenu et acceptent régulièrement de prodiguer les soins à une personne attachée ou sous l’œil des gardiens. C’est ainsi qu’en 2004, à l’hôpital public d’Évry, une femme détenue sur deux accouchait menottée. Elles avaient le choix entre les menottes ou la présence du surveillant lors de l’accouchement. Encore maintenant, nous sommes sollicités pour des personnes dans le coma ou en fin de vie attachées et gardées alors que l’absence de risque sécuritaire est médicalement avérée.

L’I.M. : On estime que huit détenus sur dix sont atteints de troubles psychiatriques. Comment sont-ils diagnostiqués et soignés ?

F.B. : Dans bon nombre d’établissements, la psychiatrie est le principal défi des unités sanitaires. À moins qu’un travail de sensibilisation n’ait été mené en interne par l’équipe soignante, le personnel pénitentiaire n’est pas formé à la manière d’agir avec des personnes atteintes de troubles psychiques. Les surveillants conçoivent la maladie psychiatrique comme un problème que l’on ne sait pas gérer en prison et cherchent à se débarrasser des gens les plus gravement atteints. La vraie difficulté pour les soignants réside dans la gestion disciplinaire, par l’administration pénitentiaire donc, et non sanitaire des personnes présentant des troubles légers. Ainsi, au long de leur parcours carcéral, ces détenus n’ont bien souvent jamais été identifiés comme atteints de troubles psychiques et n’ont jamais eu accès à des soins spécifiques. Grâce au Plan santé 2010-2014, qui se penche sur les conditions sanitaires en prison, on peut entr’apercevoir une amélioration sur ce type de problématique. Dorénavant, les unités sanitaires devront systématiquement intégrer une prise en charge psychiatrique et se doter du personnel adéquat.

L’I.M. : Ce plan d’actions stratégiques semble proposer des pistes d’amélioration des prises en charge de santé. Qu’en est-il réellement ?

F.B. : Avec la volonté actuelle, définie dans ce plan, on va clairement vers un meilleur accès aux soins. Par exemple, avant 2010, aucune étude sérieuse sur l’état de santé en milieu carcéral n’avait encore été menée. À l’OIP, nous sollicitions sans cesse le ministère de la Santé afin de demander comment des budgets pouvaient être alloués sans connaître la situation en prison. Ce plan a posé la nécessité de faire remonter l’information et de mettre en place des études statistiques et épidémiologiques. Mais les freins que l’OIP a pu identifier en 1994 sont toujours d’actualité. Parmi ceux-ci, on peut noter un vrai manque de temps accordé à l’éducation à la santé et l’inefficacité des programmes de prévention du suicide mis en place et gérés par l’administration pénitentiaire. Pour vraiment améliorer la prise en charge de la santé en prison, une révolution est nécessaire. L’administration pénitentiaire doit corriger sa vision du détenu en nécessité de soins. À l’heure actuelle, celui-ci est d’abord défini comme détenu, puis, éventuellement, comme malade. Il faut changer cette idée et enfin considérer ces personnes souffrantes comme des patients. À un moment donné, le statut de malade doit pouvoir s’imposer sur tout le reste.

1- L’OIP a pour mission de favoriser le respect de la dignité des personnes incarcérées. La section française défend les droits fondamentaux des détenus et milite pour le développement des mesures alternatives à l’emprisonnement. Un tiers des plaintes reçues ont trait à des problèmes de santé. Du codétenu mourant que l’administration pénitentiaire semble ignorer à l’insalubrité des cellules, l’OIP tente de répondre à chacun des appels à l’aide.

FRANÇOIS BÈS

RESPONSABLE DU PÔLE ENQUÊTES DE L’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (OIP)

→ De 1995 à 1997, il fait partie de la Commission prison d’Act-Up Paris.

→ Depuis 1997, il est chargé des questions de santé des personnes détenues au sein du pôle Enquêtes de l’OIP, et aujourd’hui également coordinateur des régions Ile-de-France et outre-mer.

POUR ALLER PLUS LOIN

→ Observatoire international des prisons – section française (OIP-SF), www.oip.org

→ Plan d’actions stratégiques 2010-2014 de politique de santé pour les personnes incarcérées, à télécharger sur : www.sante.gouv.fr

(http://petitlien.fr/724s)

→ « Rapport sur les conditions de détention en France », OIP. La Découverte, 2012.

→ « Guide du prisonnier », OIP. La Découverte, 2012.