L’AUTOMÉDICATION - L'Infirmière Magazine n° 340 du 01/03/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 340 du 01/03/2014

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

ANNE-GAËLLE HARLAUT  

L’automédication, ou le recours à des médicaments hors prescription, est une pratique courante en France. Or, « vente libre » ne veut pas dire « médicament sans danger ». Une bonne connaissance des bénéfices et des risques potentiels s’impose donc. En effet, pratiquée de façon responsable, l’automédication s’inscrit dans un cadre défini et se limite à certaines catégories de médicaments. Ce dossier donne aux infirmières les outils pour informer le patient « consomm’acteur » et livre les règles d’or à diffuser largement pour sécuriser l’automédication : rappel des consignes de bon usage encadrant le recours aux traitements hors prescription ; gestion de l’armoire à pharmacie familiale ; mises en garde particulières concernant les publics à risque comme les enfants, les personnes âgées, polymédiquées, les femmes enceintes… ; sans oublier le signalement des effets indésirables.

1. DÉFINITION ET LIMITES

L’automédication, qui signifie étymologiquement « se soigner soi-même », ne bénéficie d’aucune définition juridique. Le terme ne désigne pas une classe médicamenteuse, mais des comportements d’accès aux soins dont le point commun est le recours à des médicaments hors prescription médicale. Ces comportements s’inscrivent dans une démarche personnelle de prise en charge de sa santé ou « selfcare », au même titre que l’hygiène, la diététique, l’activité physique… Les limites de l’automédication varient selon les définitions proposées, prenant en compte ou non l’intervention d’un professionnel de santé :

– Pour l’Organisation mondiale pour la santé (OMS), « l’automédication responsable consiste pour les individus à soigner leurs maladies grâce à des médicaments autorisés, sûrs et efficaces dans les conditions d’utilisation indiquées ».

– L’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (Afipa) reprend la définition de l’OMS, mais exclut du champ de l’automédication responsable certains comportements jugés dangereux, comme réutiliser un médicament prescrit sans un nouvel avis médical ou acheter un médicament sur Internet.

– D’après le rapport Coulomb(2), l’automédication est liée à la dispensation officinale. Elle est « le fait pour un patient d’avoir recours à un ou plusieurs médicament (s) de prescription médicale facultative dispensé (s) dans une pharmacie et non effectivement prescrit (s) par un médecin ».

– L’Académie de médecine introduit une distinction selon l’initiative. Elle définit l’automédication comme « l’utilisation, hors prescription médicale, par des personnes pour elles-mêmes ou pour leurs proches et de leur propre initiative, de médicaments considérés comme tels et ayant reçu l’AMM, avec la possibilité d’assistance et de conseils de la part des pharmaciens »(3). Elle précise que l’automédication s’entend à l’initiative du consommateur, et la distingue de la médication « officinale », sur proposition du pharmacien.

Dans ce dossier, nous entendons par « automédication » le recours à des médicaments hors prescription, y compris ceux de l’armoire à pharmacie familiale. Nous excluons les comportements qui consistent à adapter un traitement prescrit (augmentation/diminution des posologies, arrêt ou reprise d’un médicament), qui relèvent de la non-observance.

2. QUELS MÉDICAMENTS ?

Le contexte réglementaire français ne définit pas de catégorie de médicaments spécifiquement destinés à l’automédication. Si l’on exclut les comportements d’automédication « non responsables » (utiliser ou réutiliser sans avis médical des médicaments à prescription médicale obligatoire), la catégorie potentielle de médicaments d’automédication est constituée des produits de prescription médicale facultative (PMF), dont la délivrance n’impose pas une ordonnance ; remboursables (en cas de prescription) ou non. Ils sont pourvus d’une AMM (autorisation de mise sur le marché) et distribués via une pharmacie. Cette catégorie de PMF est mieux définie depuis 2005(5).

Par opposition aux médicaments de prescription médicale obligatoire (PMO), les PMF ne présentent pas les critères d’inscription sur une des listes I, II ou des stupéfiants. Ils se caractérisent par le fait qu’ils ne présentent pas de danger direct ou indirect aux doses thérapeutiques recommandées, même s’ils sont utilisés sans surveillance médicale.

À savoir : certains médicaments contenant des substances inscrites sur liste peuvent être délivrés sans ordonnance s’ils renferment des substances vénéneuses à doses « exonérées » (voir Lexique p. 38).

Produits spécifiques « automédication »

Caractéristiques

Certains produits de prescription médicale facultative (PMF) sont plus spécifiquement destinés à un usage en automédication, à condition qu’ils répondent aux quatre caractéristiques suivantes :

– Contenir un principe actif avec un rapport efficacité/sécurité satisfaisant.

– Être utilisé dans le cadre d’une indication relevant d’une prise en charge par le patient seul : affections aiguës bénignes et banales, ou chroniques avec un diagnostic médical initial et qui ne nécessitent pas de suivi médical.

– Présenter un conditionnement adapté à la posologie et à la durée de traitement, où sont facilement identifiables âge cible, substances actives et indications.

– Fournir, dans leur notice, une information qui permette de juger de l’opportunité du traitement, de comprendre son mode d’utilisation ainsi que les signes qui doivent inciter à consulter.

Publicité sous surveillance

Sur demande du fabricant auprès de l’ANSM, certains médicaments d’automédication peuvent faire l’objet de publicités grand public. Sont concernés les PMF non remboursables dont l’AMM ne comporte pas d’interdiction ou de restrictions en raison d’un risque possible pour la santé publique. Par dérogation, et dans un objectif de santé publique, les publicités pour certains vaccins et les produits de sevrage tabagique sont également autorisées. La publicité doit identifier le produit comme médicament et comporter les informations pour un bon usage.

Produits en accès direct

Depuis juin 2008, certains médicaments dits de « médication officinale » peuvent être mis à disposition du public en « libre accès » dans les pharmacies, dans un espace réservé à proximité immédiate du comptoir. Cette initiative est laissée au choix des pharmacies, qui l’ont mise en place à plus de 70 %. Plus de 65 % des Français utilisent au moins une fois par an le libre accès. Parmi eux, 70 % estiment qu’il permet un meilleur choix et à des prix plus bas, mais 80 % restent hésitants, par peur du risque (mauvais dosages…)(2).

Produits concernés :

il peut s’agir de médicaments allopathiques, homéopathiques et à base de plantes dont les listes sont établies par l’ANSM et mises régulièrement à jour. La dernière liste, mise à jour fin 2013, comprend 455 médicaments.

Indications :

la liste des indications, pathologies et situations cliniques reconnues comme adaptées à un usage en PMF comprend les troubles cutanés, oculaires, gastro-intestinaux, de la sphère ORL, des voies aériennes supérieures, buccodentaires, gynéco-logiques, d’origine circulatoire, rhumatologiques et autres (douleur, addiction, troubles du sommeil).

Vente en ligne

Pour être en conformité avec le droit européen, la France a autorisé, depuis le 1er janvier 2013, la vente par l’intermédiaire d’Internet de certains médicaments d’automédication, à condition que le site soit adossé à une officine « physique » (liste sur www.ordre.pharmacien.fr).

3. QUELS SONT LES RISQUES ?

Les avantages individuels (soulagement et accès rapides, gestion de sa santé…), collectifs (désengorgement des cabinets médicaux, économies de santé…) ne doivent pas faire oublier les risques liés à la pratique de l’automédication.

Liés au patient

Erreur d’indication :

la connaissance des symptômes, très variable selon la perception, le niveau socioculturel, les antécédents, l’influence éventuelle d’un proche ou des médias (pub, Internet…), est une source d’erreurs importante. Il n’est pas rare qu’une allergie soit traitée par le patient comme un rhume, une cystite comme une mycose…

Erreur de cible :

les médicaments et formes indiquées chez les adultes sont, notamment, souvent utilisés à tort chez les enfants.

Non-respect de contre-indications :

les contre-indications peuvent être liées à l’état pathologique (anti-inflammatoires ou aspirine en cas d’ulcère gastroduodénal, vasoconstricteur en cas d’hyper-tension, de glaucome…) ou physiologique (AINS pendant la grossesse…).

Allergies :

elles sont possibles avec tout type de molécules et peuvent être croisées (comme AINS et aspirine).

Liés au médicament

Effets indésirables :

comme tout médicament, les produits d’automédication exposent à un risque d’effets indésirables, y compris à posologie usuelle. Parmi les plus fréquents : effets gastro-intestinaux (anti-inflammatoires, aspirine, expectorants type Fluimucil, Bronchokod…) ; somnolence ; vertiges (opiacés comme la codéine, antihistaminiques…) ; nausées (opiacés, vasoconstricteurs, antisécrétoires gastriques comme la cimétidine…) ; effets anticholinergiques, type sécheresse des muqueuses ; constipation ; palpitations (anti-histaminiques, vasoconstricteurs)… Bien que rares, certains sont potentiellement graves. Ainsi, la pseudoéphédrine, présente notamment dans Actifed Rhume, Humex Rhume, est un vasoconstricteur utilisé contre le rhume qui expose à des complications cardio-vasculaires et neurologiques graves.

Interactions :

l’association de médicaments d’auto-médication entre eux ou à un traitement de fond expose à un risque d’incompatibilité par potentialisation des effets indésirables (risque hémorragique avec les AINS/aspirine /AVK…) ou variation d’activité. Ainsi, les antiacides gastriques type sels d’aluminium ou de calcium (Maalox, Gaviscon…) diminuent l’absorption de nombreux médicaments.

Toxicité méconnue du grand public :

c’est le cas, par exemple, de dérivés issus de plantes souvent assimilés, à tort, à des médecines douces dépourvues de toxicité. Quelques exemples : les laxatifs stimulants (dérivés du séné, comme le Senokot ou encore, l’huile de ricin) peuvent induire à la longue des troubles chroniques du transit ou une hypokaliémie ; le millepertuis utilisé comme « antidépresseur » peut diminuer l’efficacité de médicaments à faible marge thérapeutique (dont les doses inefficaces/efficaces/ toxiques sont proches, comme la digoxine, les AVK) ; les terpènes (hydrocarbures présents dans de nombreuses huiles essentielles comme celles de l’eucalyptus ou du citral…) favorisent l’apparition de convulsions.

Principes actifs « cachés » :

nombre de produits contiennent des principes actifs dont les patients n’ont pas connaissance. Exemple : les anti-rhumes qui contiennent aussi un antidouleur/antipyrétique comme le paracétamol (Actifed Rhume, Dolirhume…) ou l’ibuprofène (Nurofen Rhume).

Variation des constantes biologiques :

certains médicaments courants peuvent fausser des examens biologiques (voir encadré ci-dessous).

Interférences sur tests antidopage :

certains traitements peuvent positiver un test antidopage chez les sportifs, comme la pseudoéphédrine.

Liés à la prise

Le non-respect des conditions normales d’utilisation entraîne des risques.

Posologies :

les surdosages sont potentiellement graves, en particulier chez l’enfant, les personnes âgées et/ou déshydratées, les insuffisants rénaux, y compris avec des produits d’utilisation réputée « sûre » comme le paracétamol (voir tableau p. 39).

Durée de traitement :

elle doit être courte et non répétée, au risque de masquer les signes d’une pathologie sousjacente ou de conduire à une dépendance (antidouleurs/antimigraineux, laxatifs, opiacés…).

Mode d’administration :

attention aux risques d’utilisation de formes adultes chez l’enfant ou de pipettes interchangées, fréquentes sources d’erreurs.

Mésusage :

notamment, les détournements à des fins récréatives : dextrométorphane (antitussif opiacé), codéine…, le plus souvent associés à l’alcool.

Défaut de conservation :

dates de péremption et conditions de conservation non respectées.

Liés à la pathologie

Retard de diagnostic :

l’automédication peut masquer partiellement les symptômes et retarder le diagnostic d’une pathologie sousjacente (constipation inhabituelle et cancer de l’intestin, par exemple).

Aggravation d’une pathologie sous-jacente.

Deux exemples rares mais à prendre en compte chez les enfants : l’ibuprofène, en cas de varicelle, accroît le risque de complications infectieuses cutanéo-muqueuses graves ; l’aspirine, celui de syndrome de Reye (atteinte multiorgane, notamment foie et cerveau), pouvant compliquer une infection virale.

Liés au mode d’approvisionnement

Selon l’OMS, environ 50 % des médicaments vendus sur Internet (hors cadre légal, qui se met en place en France) seraient des contrefaçons dont la composition, les principes actifs, le dosage et les contrôles ne sont pas conformes aux normes. Ils sont donc potentiellement inefficaces, voire toxiques.

4. LE RÔLE DE L’INFIRMIÈRE

Le rôle de l’infirmière face aux usagers de l’auto-médication est surtout un rôle d’éducation. Il s’inscrit d’ailleurs dans son rôle propre tel que le définit l’article R. 4311-1 du Code de la santé publique : « L’exercice de la profession d’infirmier ou d’infirmière comporte (…) la participation à des actions de prévention, de dépistage, de formation et d’éducation à la santé. » Il s’agit d’accompagner le « consomm’acteur » dans une conduite raisonnée en :

– évaluant le savoir ainsi que les connaissances de l’usager quant à l’utilisation des médicaments hors prescription ;

– vérifiant la compréhension des informations reçues ;

– informant sur les règles de bon usage et les risques ;

– orientant vers le médecin ou le pharmacien en cas de doute ;

– alertant le médecin en cas de conduite à risque ;

– déclarant ou en aidant les patients à déclarer aux autorités sanitaires effets nocifs (lire encadré p. 40), erreurs médicamenteuses et mésusages constatés dans le cadre de l’auto­médication. Ceci afin de parti­ciper collectivement aux dispositifs nationaux de surveillance.

2- « Situation de l’automédication en France et perspectives d’évolution. Marché, comportements, positions des acteurs », rapport dit « Coulomb », 2006, à la demande du ministère de la Santé.

3- « L’automédi-cation ». Rapport adopté lors de la session du Conseil national de l’ordre des médecins, février 2001, Dr Jean Pouillard.

5- Avis aux fabricants concernant les demandes d’autorisation de mise sur le marché des médicaments de prescription médicale facultative.

TENDANCE

En légère baisse pour 2013

→ En 2013, le marché de l'automédication a enregistré une baisse (- 3 % en valeur)(1) pour la première fois depuis cinq ans, sous l’effet, notamment, d’une augmentation des consultations et des prescriptions liées à une forte prévalence de grippe saisonnière. Les années précédentes, il a constamment progressé (+ 4,7 % en valeur en 2012)(4) et reste, dans tous les cas, plus dynamique que le marché général du médicament. Le trio de tête des segments les plus performants sont, dans l’ordre, les voies respiratoires, l’antalgie, et les voies digestives.

→ Plusieurs raisons coexistent pour expliquer l’engouement pour l’automédication. Les premières sont d’ordre sociologique, avec une évolution durable des mentalités vers plus d’autonomie pour gérer sa santé. Les autres sont des moteurs techniques : déremboursement de certaines classes thérapeutiques, et délistage (décision de l’État de mettre à disposition du public, sans ordonnance, des médicaments qui nécessitaient jusqu’alors une prescription médicale, comme les inhibiteurs de la pompe à protons, les AINS…). Si les choix politiques vont dans ce sens, de nouveaux délistages pourraient booster encore l’automédication. Parmi les propositions à l’étude : des anti-inflammatoires oraux, des corticoïdes locaux, des antimycosiques, des triptans, des statines…

1- Baromètre Afipa 2013 des produits du Selfcare

4- Chiffres IMS Health 2012 arrêtés à fin septembre sur douze mois cumulés. Source : « Analyse et perspectives du marché français de l’automédication ».

À SAVOIR

Le prix des PMF remboursables est fixé par les autorités sanitaires.

Le prix des médicaments non remboursables est librement fixé, mais doit être porté à la connaissance du public par un affichage ou étiquetage en prix TTC visible et lisible.

EXAMENS BIOLOGIQUES

Principales interférences

→ Créatinine : ? par l’aspirine et la vitamine C ;

→ Fer : ? par la vitamine C ;

→ HbA1c : ? par l’aspirine ;

→ NFS : tous les antalgiques sont susceptibles de provoquer des anémies, des thrombopénies ou agranulocytoses d’origine allergique ou toxique (surdosage, notamment) ;

→ INR : ? par la cimétidine (Stomédine, anti-H2 antisécrétoire acide), l’oméprazole (antisecrétoire inhibiteur de la pompe à protons : Mopralpro…), l’orlistat (Alli, traitement de l’obésité et du surpoids), l’aspirine, certains AINS, l’ail, le gingko biloba ;

→ INR : ? par le millepertuis et les topiques anti-acides (Gaviscon…).