« Nous sommes les plus avancés » - L'Infirmière Magazine n° 339 du 15/02/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 339 du 15/02/2014

 

INTERVIEW : DR SÉGOLÈNE AYMÉ, GENETICIENNE, DIRECTRICE DE RECHERCHE ÉMÉRITE À L’INSERM(1), CREATRICE D’ORPHANET, PRESIDENTE DE L’EUCERD(2) ET COORDINATRICE DE L’IRDIRC(3)

DOSSIER

NATHALIE DA CRUZ  

En 1996, le Dr Ségolène Aymé a créé le site Orphanet, devenu le portail international de référence des maladies rares. S’adressant aux patients, aux proches, aux soignants et aux chercheurs, il a beaucoup contribué à faire connaître ces maladies. Le médecin livre son regard sur vingt ans d’actions et de prise de conscience bénéfiques.

L’INFIRMIERE MAGAZINE : Pourquoi avoir créé Orphanet ?

SÉGOLÈNE AYMÉ : J’ai créé la base de données Orphanet pour répondre à tous les besoins que j’avais identifiés dans ma pratique de généticienne et donner accès à une encyclopédie du savoir et à un annuaire, afin de pouvoir orienter les malades vers des centres experts et des associations de patients… Orphanet s’est rapidement internationalisé. Il dispose aujourd’hui des données sur les services experts dans 38 pays, et l’information est disponible en sept langues. Orphanet a permis de beaucoup améliorer la connaissance des maladies rares. Selon notre dernière enquête, 30 % des médecins généralistes utilisent Orphanet, 50 % des spécialistes de ville, et 95 % des hospitaliers. Les infirmières font partie des catégories d’utilisateurs qui progressent chaque année : 4 % des connexions en 2012.

L’I. M. : Le site est destiné aux patients et aux professionnels de santé. N’est-ce pas trop ambitieux ?

S. A. : Au moment de créer le site, nous avons eu un grand débat sur ce sujet. Nous avons finalement pris le parti de créer un site à la fois pour les patients et pour les soignants. Certes, ce qui y est écrit est assez technique et « pointu ». Mais les patients préfèrent avoir le même niveau d’information que les professionnels, sachant qu’ils peuvent toujours, si nécessaire, questionner leur médecin. Et nous avons développé une encyclopédie grand public, dans un langage beaucoup plus accessible, qui aborde les aspects médicaux, mais aussi sociaux et éducatifs, sous forme de cahiers d’une dizaine de pages.

L’I. M. : Y a-t-il encore des erreurs de diagnostic aujourd’hui ?

S. A. : Les maladies rares qui apparaissent dans l’enfance relèvent de la pédiatrie hospitalière : dans ce cas, les diagnostics sont faits, la prise en charge suit son cours et se passe bien. De plus, les capacités de la génétique moléculaire ont énormément progressé ces quinze dernières années, et permettent de poser un diagnostic précis sur un grand nombre de maladies. Aujourd’hui, il existe des tests pour 2 000 maladies rares. On note encore des erreurs de diagnostic qui ne sont pas acceptables. Tous les praticiens n’ont pas le réflexe d’adresser un patient à une consultation spécialisée en maladie rare quand il y a une incompréhension face aux symptômes.

L’I. M. : Quelles sont les missions de l’Eucerd(3), dont vous êtes la présidente ?

S.S. A. : L’Eucerd étudie les actions politiques à mener dans les différents pays et à l’échelle européenne. Les discussions permettent de mutualiser les savoir-faire, de partager les pratiques. Avec ses deux PNMR, il est clair que la France est le pays le plus avancé. Sur son exemple, les ministres de la Santé européens ont émis une recommandation en 2009, demandant à ce que les États se dotent tous d’un plan en faveur des maladies rares d’ici à décembre 2013. La prise en charge devrait donc avancer dans les mois à venir au sein de l’Union. Par ailleurs, une directive sur les soins transfrontaliers adoptée en 2012 prévoit la création de réseaux de centres de référence, en particulier dans les maladies rares. Les centres existant dans différents pays vont être mis en réseau.

L’I. M. : Et sur le plan international ?

S. A. : Oui, grâce à l’Irdic(3). Il s’agit d’un consortium international pour la recherche sur les maladies rares qui rassemble les organismes qui financent la recherche dans les différents pays. La plupart des pays européens en sont membres, mais aussi les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Chine, la Corée du Sud… Ils se mettent d’accord pour voir dans quels domaines agir en priorité. L’Irdirc s’est fixé des objectifs ambitieux : disposer de 200 nouveaux traitements et assurer le diagnostic pour la plupart des maladies rares d’ici à 2020. L’avenir de la prise en charge passe forcément par des coopérations européennes et même internationales. Aucun pays n’a assez de ressources ni suffisamment de patients pour pouvoir avancer seul sur ce terrain. Et la crise économique n’arrange pas les choses. Mais il existe désormais une véritable prise de conscience de ce que sont les maladies rares : il s’agit de pathologies sévères, ayant un fort impact sur la société, qui a intérêt à les prévenir et à les prendre en charge de façon appropriée.

1– Inserm : Institut national pour la santé et la recherche médicale.

2– Eucerd : European Union Committee of Experts on Rare Diseases.

3– Irdirc : International Rare Diseases Research Consortium.

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