Naco : les nouveaux anticoagulants oraux - L'Infirmière Magazine n° 339 du 15/02/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 339 du 15/02/2014

 

FORMATION CONTINUE

QUESTIONS SUR

CLAIRE MANICOT  

Xarelto(r), Pradaxa(r) ou Eliquis(r) vont-ils remplacer les antivitamines K (AVK), se demande Jeanne, infirmière.

Aucun suivi biologique n’est exigé lors d’un traitement avec les Naco, ce qui explique leur succès. Pour autant, en raison du risque hémorragique, ils font l’objet d’un suivi de la part des instances sanitaires et sont généralement une prescription de seconde intention.

Que sont les Naco ?

Trois molécules existent en France, le dabigatran inhibiteur de la thrombine, l’apixaban et le rivaroxabaninhibiteurs du facteur X activé. Le dabigatran est commercialisé sous le nom de (Pradaxa(r)) depuis 2008, le rivaroxaban (Xarelto(r)) depuis 2011, et l’apixaban (Eliquis(r)) depuis 2012. Contrairement aux AVK, qui agissent en cascade sur plusieurs facteurs de coagulation, les Naco ont une action ciblée. Le dabigatran inhibe la thrombine. La thrombine permettant la conversion de fibrinogène en fibrine lors des processus de coagulation, son inhibition empêche la formation d’un caillot. Le rivaroxaban et l’apixaban sont des inhibiteurs directs hautement sélectifs du facteur Xa, doté d’une biodisponibilité par voie orale. L’inhibition du facteur Xa interrompt la cascade de coagulation sanguine, inhibant ainsi la formation de thrombine et le développement du thrombus. Les Naco complètent un arsenal thérapeutique pour la prévention et le traitement des thromboses veineuses et artérielles et leurs complications (voir encadré p. 32). Ils présentent une alternative aux antivitamines K, avec des particularités :

– ils ont une action rapide et peuvent être prescrits d’emblée ; ce n’est pas le cas des AVK qui nécessitent un traitement par héparine en raison de leur temps de latence (2 à 3 jours) ;

– ils sont moins contraignants en terme de prescription, parce qu’ils n’exigent aucun suivi biologique de l’anticoagulation type INR (International Normalized Ratio), marqueur utilisé pour vérifier l’efficacité du traitement aux AVK ;

– ils sont un traitement opportun pour les patients dont le traitement sous AVK n’est pas équilibré avec un INR complètement instable ou qui présentent des contre-indications.

Quelles sont leurs indications ?

– Prévention des thromboses veineuses profondes, chez les adultes ayant bénéficié d’une chirurgie programmée pour prothèse totale de hanche ou de genou.

– Prévention des accidents thrombo-emboliques en cas de fibrillation auriculaire non valvulaire, lorsque celle-ci est associée à au moins un des facteurs de risques suivants : antécédent d’AVC, d’accident ischémique transitoire ou d’embolie systémique, fraction d’éjection ventriculaire gauche < 40 %, insuffisance cardiaque symptomatique de classe ≥ II de la NYHA, âge ≥ 75 ans, âge ≥ 65 ans associé à un diabète, une coronaropathie ou une hypertension artérielle.

– Traitement des thromboses veineuses profondes et prévention des récidives. Seul Xarelto(r) a l’AMM dans cette indication.

Quand les Naco sont arrivés sur le marché, leur indication initiale était la prévention des thromboses veineuses profondes, en cas de chirurgie orthopédique. Leur usage a donc été restreint au monde hospitalier jusqu’à ce qu’ils obtiennent, les uns après les autres, Pradaxa(r) en 2009, Xarelto(r) en 2011, et Eliquis(r) en janvier 2014, des extensions d’autorisation de mise sur le marché (AMM) chez les patients atteints de fibrillation auriculaire non valvulaire (trouble du rythme cardiaque très fréquent provoquant une stase dans l’oreillette). Les posologies sont différentes en fonction des indications (voir tableau p. 34).

Quelles sont less contre-indications ?

– Insuffisance rénale sévère.

– Saignement.

– Lésion ou maladie à risque de saignement majeur : ulcère gastro-intestinal, lésion cérébale ou rachidienne récente, présence de tumeurs malignes à haut risque de saignement…

– Traitement concomitant avec tout autre anticoagulant sauf en cas de relais par le nouvel anticoagulant oral ou inversement.

Pourquoi sont-ils sous haute surveillance ?

→ Des effets indésirables graves : tromboses ou hémorragies : les anticoagulants (anciens ou nouveaux) sont délicats à manier. Sous-dosés, ils perdent leur efficacité, le patient pouvant être sujet à une thrombose et ses conséquences (infarctus, AVC ) ; surdosés, ils favorisent les hémorragies incontrôlables entraînant des accidents graves, voire mortels.

→ L’absence de suivi biologique. Contrairement aux AVK, qui disposent du dosage INR, aucun test ni examen ne permet d’évaluer l’efficacité des traitements.

→ L’absence d’antidote. En cas de sudosage, seul un traitement symptomatique de l’hémorragie est possible, alors que les antivitamines K et les héparines ont leur antidote.

→ Recensement de cas graves. Suite à des accidents hémorragiques survenus en 2011 au Japon (principalement des patients âgés, insuffisants rénaux et de petit poids), de nombreuses agences sanitaires se sont mobilisées.

En France, l’Agence des médicaments européenne (EMA) et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ont renforcé la surveillance de ces produits. Dans une lettre aux professionnels de santé de septembre 2013, l’ANSM fait une mise en garde sur les facteurs de risque hémorragiques de Eliquis(r), Pradaxa(r) et Xarelto(r) : « Il est recommandé de vérifier leur posologie, leurs contre-indications et leurs mises en garde et précautions pour limiter le risque de saignement. » Cette surveillance se voit renforcée du fait de plaintes déposées contre le laboratoire commercialisant Pradaxa(r) de la part de familles de patients décédés et de la mobilisation du syndicat des jeunes biologistes médicaux (voir encadré p. 35).

Que révèle la pharmacovigilance ?

À noter que seuls Pradaxa et Xarelto ont fait l’objet d’un bilan de suivi, la spécialité Eliquis étant beaucoup plus récente sur le marché.

→ Pharmacovigilance de Pradaxa(r) entre le 15/12/2008 et le 31/08/2013. Analyse de 1 624 cas graves :

– 175 décès.

– 802 hémorragies, surtout digestives, mais aussi hématuries, hémorragies du système nerveux central, épistaxis. Dans un quart de ces cas, d’autres médicaments suspects sont associés.

– 387 cas de pathologie cardio-vasculaire liée à une thrombose.

– Autres cas : des atteintes cutanées sont par ailleurs mentionnées, de type hypersensibilité, purpura, vascularité.

– Pharmacovigilance de Xarelto(r) entre le 5/05/2009 et le 31/08/2013. Analyse de 1 566 cas graves :

– 127 décès ;

– 895 cas d’hémorragie qui touche le site opératoire, la sphère digestive, neurologique centrale, ORL, urinaire et sous-cutanée ;

– 348 cas d’événement thromboembolique, en majorité veineux.

– autres cas : anémie sans saignement extériorisé, thrombopénie, purpura…

Quelles sont les précautions d’emploi ?

→ Bon usage du médicament : la Haute Autorité de santé a affirmé que les AVK sont la référence dans la prévention des accidents thrombo-emboliques en cas de fibrillation auriculaire. « Il n’existe, à l’heure actuelle, aucun argument scientifique pour remplacer un traitement par antivitamine K efficace et bien toléré par un autre anticoagulant oral. » Les Naco sont indiqués en deuxième intention.

→ Évaluation des fonctions rénale et hépatique à la mise en route du traitement, puis une fois par an et, si besoin, en cas d’événement intercurrent. La surveillance de la fonction rénale se fera tous les six mois chez les plus de 75 ans et les personnes pesant moins de 60 kg, ou si la clairance de la créatinine était au départ entre 30 et 60 mL/mn, tous les trois mois si elle était > 30mL/mn au départ.

→ Information, carte et fiche de suivi : il est nécessaire d’informer le patient sur l’importance de l’observance (ne jamais arrêter ou modifier le traitement de soi-même), de l’encourager à porter une carte mentionnant le traitement et une fiche en précisant les modalités ainsi que toutes les données utiles au suivi du patient (posologie, nom du prescripteur, date de consultation…).

→ En cas d’oubli, le patient ne doit jamais doubler la prise suivante. La dose oubliée peut être prise jusqu’à la moitié de l’intervalle de temps de la prise suivante : jusqu’à 6 heures après l’oubli pour un médicament en deux prises par jour ; jusqu’à 12 heures pour un médicament en une seule prise par jour. L’utilisation d’un pilulier est recommandée.

→ Dépister les signes hémorragiques de surdosage – melaena, hématémèse, hématomes spontanés, saignements des gencives, fatigue inhabituelle associée à une tachycardie et une pâleur importante

→ En cas de saignement : si la dernière prise est récente, on peut administrer du charbon actif (30 à 50 g chez l’adulte), sinon il faut tenter d’arrêter localement le saignement et, le cas échéant, pratiquer une transfusion sanguine et un remplissage vasculaire.

Quels sont les médicaments à éviter sous Naco ?

→ Interactions communes à tous les anticoagulants oraux :

– Acide acétylsalicylique (aspirine) : majoration du risque hémorragique, notamment en cas d’antécédent d’ulcère gastro-duodénal, contre-indiqué ou déconseillé en fonction du dosage.

– Anti-inflammatoires non stéroïdiens (ibuprofène, ketoprofène, acide niflunimique, diclofenac, flurbiprofène) : augmentation du risque hémorragique. La phénylbutazone est contre-indiquée, les autres AINS sont déconseillés.

– Glucocorticoïdes (bétaméthasone, prednisolone, prednisone, méthylprednisolone…) : risque hémorragique lorsque la corticothérapie est à forte dose ou en traitement prolongé supérieur à dix jours.

→ Précautions d’emploi

– Autres anticoagulants : tout traitement concomitant avec une héparine ou un AVK est contre-indiqué, sauf relais ponctuel des Naco vers les AVK.

– Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine : ces antidépresseurs (citalopram, fluoxétine, paroxétine, sertraline, venlafaxine, milnacipran) peuvent augmenter le risque hémorragique et seront donc utilisés avec précaution en association avec les Naco.

→ Interactions spécifiques au dabigatran

– Ciclosporine, tacrolimus (médicaments utilisés en particulier après une greffe d’organe), Itraconazole, kétoconazole (médicaments antifongiques) sont contre-indiqués. Dronédarone (indiqué dans certains troubles du rythme cardiaque) est déconseillé. En association avec ces médicaments, les concentrations plasmatiques du dabigatran doublent, et il y a risque de saignement.

– Anticonvulsivants inducteurs enzymatiques (carbamazépine, phénytoïne, fosphénytoïne, phénobarbital). L’association avec ces antiépileptiques est déconseillée. Elle entraîne une diminution des concentrations plasmatiques du dabigatran et donc le risque de diminuer son effet thérapeutique.

– Rifampicine : déconseillée, risque de diminution de l’effet thérapeutique du dabigatran.

→ Interactions spécifiques au ravaroxaban et apixaban :

– Inhibiteurs puissants du CYP3A4 : les antifongiques azolés (kétoconazole, itraconazole) ; les antibiotiques de la famille des macrolides (clarithromycine, érythromycine per os, josamycine, télithromycine) ; les inhibiteurs de protéase du VIH (nelfinavir, ritonavir) et le néfazodone sont déconseillés en association avec le ravaroxaban ou l’apixaban ;

– enfin, des interactions avec les anticonvulsivants inducteurs enzymatiques et la rifampicine sont à prendre en compte.

REPÈRES

Classification des antithrombotiques

Les antithrombotiques sont des médicaments qui préviennent ou traitent la formation de thromboses dans les artères ou les veines.

Les anti-agrégants plaquettaires

Ils empêchent les plaquettes de se fixer sur les parois des vaisseaux. Ils sont indiqués dans la préven(r)(r)(r)tion des thromboses artérielles en cas d’athérosclérose, de l’infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux, le traitement de l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs : aspirine (Aspégic(r), Kardégic(r)), clopidrogel (Plavix(r)), ticlopidine (Ticlid(r)), dipyridamole (Cleridium(r)), prasugel (Efient(r)).

Les anticoagulants

En « fluidifiant le sang », les anticoagulants ralentissent la formation de caillots. Ils sont indiqués pour traiter ou prévenir les thromboses veineuses ou artérielles et leurs conséquences (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral…).

On distingue quatre grandes classes d’anticoagulants :

→ Héparine et ses dérivés (voie injectable) : héparine intraveineuse (Héparine(r)) ; héparine sous-cutanée (Calciparine(r)) ; héparines de bas poids moléculaire sous-cutanées (Fragmine(r), Fraxiparine(r), Fraxodi(r), Innohep(r), Lovenox(r)) ; fondaparinux sous-cutané (Arixtra-R) ; danaparoïde sous-cutané (Orgaran-R).

→ Dérivés de l’hirudine (voie injectable) : bivalirudine (Angiox(r)) ; désirudine (Revasc(r)) ; lépirudine (Refludan(r)).

→ Antivitamines K (voie orale) : acénocoumarol (Sintrom(r), MiniSintrom(r)), fluindione (Previscan(r)), warfarine (Coumadine(r)).

→ Nouveaux anticoagulants oraux (voie orale) :

– Inhibiteur de la thrombine : dabigatran (Pradaxa(r))

– Inhibiteur du facteur X activé : apixaban (Eliquis(r), Rivaroxaban (Xarelto(r)).

Les thrombolytiques

Injectables, les thrombolytiques sont utilisés en urgence pour dissoudre des thrombus artériels ou veineux tout juste constitués : alteplase (Actilyse(r)), rétéplase (Rapilysin(r)), ténectéplase (Métalyse(r)), streptokinase (Streptase(r), Kabikinase(r)), urokinase (Actosolv(r)).

SOURCES UTILES

Retrouvez sur le site de l’Ansm http://ansm.sante.fr/Dossiers/Les-nouveaux-anticoagulants-oraux/Actualite/ :

→ Point sur l’utilisation des nouveaux anticoagulants oraux du 27/11/2013.

→ Évolution des ventes des anticoagulants oraux en France de janvier 2008 à septembre 2013.

→ Synthèse du Comité technique de pharmaco-vigilance du 12 novembre 2013 sur les nouveaux anticoagulants oraux (Naco) Pradaxa et Xarelto. (28/11/2013)

→ Le plan d’action de l’ANSM sur les Naco en 2013-2014.

EFFETS SECONDAIRES

« Le prochain Médiator ? »

Loin de faire consensus, les Naco sont mis en cause par le Syndicat des jeunes biologistes médicaux(1).

→ En septembre dernier, le Syndicat des jeunes biologistes médicaux a écrit une lettre à l’attention de la ministre de la Santé pour sonner l’alarme, soulignant que « l’absence d’antidote disponible fait de ces molécules une bombe à retardement ».

Le document fait état d’un développement très large des Naco « sur le marché français entre 2012 et 2013, au détriment des AVK. Sur le dernier trimestre 2012, parmi les 100 000 patients entreprenant un traitement anticoagulant, 57 % se sont vu prescrire un Naco en première intention ». Il pointe également une prescription « souvent injustifiée, au regard des recommandations de l’ANSM, de la HAS ainsi que de la Commission de transparence préconisant de ne pas substituer un traitement par Naco chez un patient bien équilibré sous AVK ni de l’instaurer en première intention étant donné l’absence d’amélioration du service médical rendu (classement ASMR V) par rapport au traitement par AVK ». Or, précise encore la lettre du syndicat, « les Naco entraînent les mêmes effets secondaires graves (hémorragies sévères, voire mortelles) que les AVK, avec toutefois une différence de taille : il n’existe pas d’antidote permettant d’en neutraliser l’effet en cas d’hémorragie ! Si la communauté médicale dispose de protocoles éprouvés pour la prise en charge des saignements entraînés par les AVK (…), les Naco ne disposent d’aucun test biologique ou traitement accessible en urgence ». De plus, « leur prescription est extrêmement coûteuse pour la solidarité nationale. (…) Le coût mensuel du traitement par Naco est de 76 €, à comparer aux 12,5 € en moyenne pour les AVK – surveillance biologique incluse ».

→ En octobre 2013, les familles de quatre personnes âgées décédées ont porté plainte contre le laboratoire allemand Boehringer Ingelheim, qui commercialise le Pradaxa(r). L’avocat Maître Courtois a attaqué également le laboratoire et l’Agence du médicament (ANSM) sur deux points : la légitimité de la prescription du Pradaxa, étant donné que le médicament ne dispose pas d’antidote, contrairement aux antivitamines K ; et le manque d’études sur l’effet du médicament chez les personnes âgées de plus de 75 ans.

1- Retrouvez l’intégralité de la lettre du Syndicat des jeunes biologistes médicaux sur leur blog http://blog.sjbm.fr/ p=742