L’union fait la force - L'Infirmière Magazine n° 339 du 15/02/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 339 du 15/02/2014

 

MALADIES RARES

DOSSIER

NATHALIE DA CRUZ  

En dépit d’obstacles de taille, au cours des dix dernières années, les associations de patients ont obtenu l’adoption de deux plans successifs pour les maladies rares. La prise en charge a fait des pas de géant, mais il reste encore du chemin à parcourir.

Les maladies rares seraient-elles devenues l’ennemi de santé publique n° 1 ? Oui, à en croire le Pr Arnold Munnich, chef du service de génétique médicale à l’hôpital Necker, à Paris. Lors de la présentation de l’institut Imagine, grand établissement dédié aux maladies génétiques qui a ouvert ses portes en janvier, Arnold Munnich n’a pas mâché ses mots : « Nous pouvons maintenant lutter contre les maladies infectieuses, les maladies parasitaires, le paludisme… Aujourd’hui, ce qui nous saute à la figure, ce sont les maladies rares ; elles sont devenues plus visibles parce que les autres disparaissent. » Il faut préciser en préambule que les maladies dites rares… ne le sont pas tant que ça. Mises bout à bout, ces pathologies représentent tout de même 3 % des naissances, et pas loin de 4 millions de personnes en France (24 millions en Europe)(1). Quelque 7 000 maladies sont concernées ! Maladies rares et maladies génétiques, même combat ? En grande partie oui, puisque 80 % des maladies rares sont d’origine génétique. Et lorsque l’on parle de « maladies orphelines », il faut comprendre que ces pathologies ne bénéficient pas de réponse thérapeutique officielle à ce jour.

Très connues ou pas du tout

Derrière ces définitions globales se cachent une myriade de maladies à l’expression clinique et aux traitements on ne peut plus variés. Certaines sont très connues, comme les myopathies ou la mucoviscidose, grâce au Téléthon ; d’autres, à l’inverse, le sont très peu et portent des intitulés sibyllins – souvent le nom de celui qui les a découvertes et a permis aux patients de sortir de l’ombre… Exemple : les syndromes d’Ehlers-Danlos ; la maladie de Gaucher ; l’angio-œdème héréditaire ; ou encore le syndrome de Kallmann, qui signe un retard pubertaire. « Certaines maladies sont très rares, comme la progéria, appelée aussi “maladie des enfants vieillards”, qui touche 25 personnes en Europe ; d’autres sont plus fréquentes, et à la limite de la définition des maladies rares, comme la mucoviscidose et la drépanocytose », pointe Gilles Roche. Cet ancien médecin hospitalier est aujourd’hui administrateur du pôle de compétitivité Eurobiomed, dédié aux maladies rares. Le panel est donc vaste et très hétérogène. La variété est grande aussi du côté de la prise en charge. Certaines maladies nécessitent un suivi très lourd : la myopathie de Duchenne entraîne le plus souvent la perte de la marche ; la mucoviscidose requiert pas moins de deux heures de soins quotidiens, et jusqu’à 6 heures en période de surinfection… Si l’espérance de vie est passée de 7 ans en 1965 à 47 ans en 2005, on peut encore mourir de cette maladie, comme, notamment, le chanteur Grégory Lemarchal, décédé en 2007 faute d’avoir obtenu à temps une greffe des poumons. De même, « un angio-œdème héréditaire mal pris en charge menace le pronostic vital si la crise touche la sphère abdominale », explique Ghislaine Masurier, infirmière d’éducation thérapeutique spécialisée dans cette maladie qui frappe 1 200 personnes en France. Autre exemple : une personne atteinte du syndrome de l’X fragile accuse un retard mental qui nécessite une prise en charge médico-sociale adaptée : la vie en est fortement bouleversée, il faut envisager une scolarisation dans un établissement spécialisé…

Pour d’autres pathologies, des traitements existent, permettant de diminuer fortement la sévérité des symptômes. C’est le cas des maladies lysosomales. Parmi elles, citons la maladie de Gaucher, dans laquelle une enzyme particulière fait défaut. « L’enzymothérapie a été mise au point en 1997 par notre laboratoire, précise Julien Arnal, infirmier coordonnateur chez Genzyme. Des injections de cette enzyme substitutive permettent de rétablir un métabolisme normal chez ces patients et empêchent l’accumulation de déchets dans certains organes, responsables de symptômes lourds à gérer au quotidien : anémie, thrombopénie, retards de croissance et douleurs osseuses… » Administré deux fois par mois, à vie, le produit permet à la plupart des patients de mener une vie normale.

Du premier Téléthon…

Pas facile, face à une telle diversité de situations, de faire front commun en faveur des maladies rares… Les associations de patients y sont pourtant parvenues. Les maladies rares, c’est une histoire d’unions et d’alliances. Mais avant d’en arriver là, la traversée du désert a été longue, très longue. Pendant des décennies, les malades ont souffert, dans l’ombre et l’isolement, confrontés à des erreurs de diagnostic, à des réactions d’incompréhension ou d’impuissance de la part de médecins ignorant tout des pathologies qui leur étaient présentées… Rappels historiques : l’Association française des hémophiles est née en 1955 ; l’Association française contre les myopathies (AFM), en 1958, rejoignant le combat de l’Association des paralysés de France (APF), qui avait été fondée en 1933 par quelques jeunes poliomyélitiques. En 1986, un événement sans précédent sollicite la générosité des Français : le premier Téléthon. Deux jours de récolte de fonds en faveur des maladies neuromusculaires, qui sont pour la plupart des pathologies rares. C’est là le coup de génie de l’AFM. Depuis vingt-sept ans, le succès du Téléthon ne se dément pas. Au fil des années, les sommes recueillies sont allées à la recherche en faveur des maladies génétiques en général, et non plus des seules pathologies neuromusculaires.

… Aux deux plans nationaux

Cette grande impulsion donnée par l’AFM va aider les associations de maladies rares à se rassembler. En 1999, un forum sur ces maladies, organisé dans le sillage des états généraux de la santé, est l’événement déclencheur : « Plusieurs associations de maladies rares ont pris conscience de leur isolement, se souvient Viviane Viollet, vice-présidente de l’Alliance maladies rares. Chacune d’elles représentait trop peu de malades pour intéresser les pouvoirs publics, la médecine, la recherche, l’industrie pharmaceutique… C’est donc la volonté commune d’une poignée d’associations qui a mené, en 2000, à la création de l’Alliance maladies rares. » Créer du lien entre des malades qui se sentent isolés et incompris est essentiel. Forte de ses 200 associations, l’Alliance a pu mener un combat efficace lui permettant d’être entendue des pouvoirs publics. En 2004, les maladies rares ont été retenues comme l’une des cinq priorités de la loi relative à la politique de santé publique. C’est cette année-là qu’a été élaboré le premier Plan national maladies rares (PNMR), couvrant la période 2005-2008. Il a été suivi d’un deuxième PNMR (2011-2014), qui a pour objectifs d’améliorer l’accès aux soins et au diagnostic, de développer l’accompagnement médico-social, d’amplifier les coopérations internationales et la recherche.

Incontestablement, la grande avancée du premier plan a été la mise en place d’un réseau d’hôpitaux spécialisés dans le diagnostic et la prise en charge : aujourd’hui, on dénombre 131 centres de référence, au rayonnement national, et 502 centres de compétences – qui sont les relais des centres de référence, en région, à proximité du domicile des patients. Une organisation sanitaire qui fait figure de modèle aux yeux de nos voisins européens. Exemple pour la drépanocytose, une maladie génétique des globules rouges : les trois centres de référence sont situés à Marseille, Pointe-à-Pitre et Créteil. À ce maillage s’ajoutent 18 centres de compétences en région. C’est le Pr Frédéric Galactéros qui coordonne le centre de référence « syndromes drépanocytaires majeurs » à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Il témoigne : « Nous nous sommes mis en filière d’emblée. À raison de deux réunions nationales par an, nous travaillons ensemble sur les recommandations et avons défini les protocoles nationaux de diagnostic et de soins (PNDS), pour l’enfant et pour l’adulte. »

Drépanocytose, la moins rare

Former les confrères, c’est une mission essentielle des médecins experts des centres de référence : « En 2014, nous rééditons nos recommandations de prise en charge dans la Revue de médecine interne, explique Frédéric Galactéros. Un DU sur la drépanocytose est proposé à l’université de médecine de Créteil. Et nous venons de créer un certificat infirmier sur la drépanocytose, dont les enseignements s’étalent sur trois jours. » Ce n’est pas de trop pour la drépanocytose, « la maladie rare la moins rare », selon le professeur. En France, 20 000 personnes originaires des Antilles ou d’Afrique subsaharienne sont touchées par cette maladie, qui provoque notamment des crises vaso-occlusives dans différents organes et entraîne des douleurs particulièrement vives.

Former, c’est aussi une tâche à laquelle s’attellent les médecins spécialistes de l’angio-œdème héréditaire (AOH) en Ile-de-France. Les urgentistes de cette région sont conviés à des formations pour apprendre à reconnaître les symptômes et à éviter les erreurs de diagnostic. Ce qui arrive encore. « Face à un patient qui se présente aux urgences avec un AOH, les médecins qui ne connaissent pas cette maladie pensent à un œdème allergique et administrent des corticoïdes ; or, ceux-ci sont sans efficacité », relate Ghislaine Masurier, infirmière spécialisée dans l’AOH. Mais, ces formations n’ont pas lieu de manière uniforme sur le territoire national. « En général, les malades atteints d’AOH vont de service d’urgence en service d’urgence pendant des années ; ils connaissent une errance diagnostique de huit à dix ans en moyenne, ajoute Ghislaine Masurier. Et, souvent, des examens ou des interventions inutiles et coûteux sont pratiqués (IRM, coelioscopie…). » Aujourd’hui, cependant, la durée des errances diagnostiques est bien moindre qu’avant : elle est passée de dix ans à trois ans, en moyenne, selon Maladies rares info service. Mais ce chiffre recouvre une réalité encore très hétérogène.

Syndromes d’Ehlers-Danlos

Pour preuve, en novembre dernier, les membres de l’association Apprivoiser les syndromes d’Ehlers-Danlos (Ased) ont manifesté à grand bruit pour empêcher la fermeture de la seule consultation spécialisée en France, située à l’Hôtel-Dieu, à Paris, qui avait été décidée pour des raisons budgétaires. Une pétition et 52 000 signatures plus tard, l’Ased a obtenu que la consultation soit maintenue. « De plus, elle va être renforcée, proposera une prise en charge pluridisciplinaire, et sera adossée à un hôpital de jour, se réjouit Nelly Serre, sa présidente. Certes, il existe, à Garches, un centre de référence pour l’ensemble des maladies du collagène, dont font partie les syndromes d’Ehlers-Danlos ; mais il n’y a pas de prise en charge à proprement parler pour nous ; seuls sont réalisés là-bas les tests génétiques. » Ces syndromes présentent de multiples formes et restent très méconnus. Les symptômes sont variés et intermittents : fatigue extrême, hémorragies, douleurs diffuses, problèmes veineux, hypermobilité… « Le temps moyen d’errance diagnostique est de vingt ans en Europe ! Nous avons une patiente qui a été opérée 35 fois à tort, faute d’un bon diagnostic…, ajoute Nelly Serre. Les syndromes d’Ehlers-Danlos sont passés à travers les mailles du filet de la prise en charge des maladies rares. » Pour la drépanocytose, à l’inverse, le bilan rétrospectif est encourageant. Frédéric Galactéros est conscient des avancées opérées en France : « Globalement, la prise en charge a très bien évolué depuis les années 1990, ce qui renforce mon envie de faire mieux ! Je suis convaincu que la marge de progrès est considérable, pour la drépanocytose, sans qu’il faille pour cela mobiliser des sommes importantes. » Parmi les souhaits du responsable du centre de référence de Créteil : que chaque centre de compétence tente d’élaborer un registre des patients dans sa région, afin de repérer les personnes isolées et ignorées des filières de soins. « Nous avons déposé une demande de financement dans ce sens, mais nous n’avons pas obtenu gain de cause », précise-t-il.

Sociétés privées

Il reste donc des progrès à accomplir, que les patients et les soignants attendent de pied ferme. Former encore et toujours les soignants, mieux connaître les populations de malades, découvrir de nouveaux traitements… Ne pas rester au milieu du gué ! Selon le Pr Galactéros, « la recherche est essentiellement diligentée par de petites sociétés privées ; les grands de l’industrie ne s’intéressent pas aux maladies rares ». Un point de vue nuancé par Gilles Roche, administrateur d’Eurobiomed, qui a créé, en 2009, un grand rendez-vous annuel sur les maladies rares, « RARE ». « Depuis trois ans environ, les grandes entreprises pharmaceutiques sont beaucoup plus enclines à investir dans les maladies rares. Aujourd’hui, les industriels de la santé n’ont plus beaucoup de terres à explorer dans le champ des maladies “communes”. Ils n’ont pas le choix ; de plus, ils sont portés par la volonté politique affichée par les deux PNMR », commente-t-il. Dans les faits, qu’en est-il à ce jour des traitements médicamenteux disponibles ? En 2000, un règlement européen a créé des incitations pour que l’industrie produise des médicaments pour les maladies rares, dits « médicaments orphelins » : une exclusivité commerciale de dix ans a été garantie. Depuis, en Europe, 72 médicaments orphelins ont été développés et commercialisés, auxquels s’ajoutent ceux qui existaient déjà. « Aujourd’hui, près de 400 maladies rares bénéficient d’au moins un médicament qui soulage les symptômes ou même, parfois, traite la maladie », précise Ségolène Aymé, qui a créé le portail Orphanet (lire l’interview page 19). À noter : la loi française sur le médicament de 2011 prévoit des recommandations temporaires d’utilisation (RTU) de médicaments qui se révèlent efficaces pour certaines maladies rares, mais qui ne bénéficient pas, ou pas encore, d’AMM ad hoc. « Ces RTU permettront de recourir à ces médicaments en attendant qu’ils disposent de l’AMM. Mais les délais d’élaboration de ces RTU sont trop longs et peu réalistes au regard du nombre de médicaments utilisés hors AMM pour les maladies rares », regrette Ségolène Aymé.

Europe et international

En marge des avancées nationales, les coopérations avec d’autres pays d’Europe et du monde entier progressent. Une bonne nouvelle, car il est difficile, pour des pathologies aussi rares, de disposer de moyens suffisants dans un seul pays. Au plan institutionnel, les Vingt-Huit travaillent de concert au sein du comité européen pour les maladies rares. Les patients se sont fédérés au sein d’Eurordis(2). Et des coopérations internationales sont menées dans la recherche, avec des engagements ambitieux mais prometteurs, tel l’objectif que s’est fixé l’Irdirc (International Rare Diseases Research Consortium) de trouver 200 nouveaux traitements d’ici à 2020… En matière de maladies rares, l’union fait la force et se présente même comme la voie salutaire.

1– Source HCSP 2009.

2– Eurordis fédère plus de 600 associations de patients dans 56 pays, couvrant plus de 4 000 maladies.

Pour en savoir plus

→ Le site de l’Alliance maladies rares : www.alliance-maladies-rares.org

→ La plate-forme Maladies rares : www.plateforme-maladiesrares.org

→ Le site de Maladies rares info service : www.maladiesraresinfo.org

Tél. : 01 56 53 81 36 (appel non surtaxé).

→ Le portail des maladies rares et des médicaments orphelins Orphanet : www.orphanet.fr.

→ Eurordis : www.eurordis.org/fr et www.rareconnect.org/fr (site dédié aux communautés de malades atteints de maladies rares).

→ Le dossier du ministère de la Santé est consultable à l’adresse www.sante.gouv.fr/maladies-rares.html. On y trouve notamment le contenu des deux PNMR.

→ Évaluation du premier PNMR par le Haut Conseil de la santé publique : www.hcsp.fr/explore.cgi/hcspr20090317_maladiesRares.pdf

→ Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

→ Fondation pour les maladies rares : http://fondation-maladiesrares.org/

→ www.rare2013.com : site des dernières rencontres RARE organisées par Eurobiomed.

→ À lire : La maladie génétique au quotidien – La drépanocytose : histoires de vies, par Frédéric Galactéros et Marie-Hélène Buc-Caron, PUF, 2013.

Traitements et thérapie génique

La recherche continue

→ La recherche reste une perspective majeure pour l’amélioration de la prise en charge. Aussi le deuxième PNMR, qui couvre la période 2011-2014, en a-t-il fait un de ses axes prioritaires. La grande réalisation de ce plan a été la naissance de la Fondation pour les maladies rares, en février 2012, qui va donner un grand coup d’accélérateur à la recherche en mettant en lien les différents acteurs publics et privés. En 2012, pas moins de 55 projets ont été financés. Des progrès ont été récemment enregistrés dans les recherches sur la progéria par l’équipe du Pr Nicolas Lévy, médecin-chercheur à La Timone, à Marseille, et président de la Fondation pour les maladies rares. Bonne nouvelle : ces travaux serviront aussi les malades atteints du VIH ou de cancers. L’argumentaire est bien là : la recherche va aussi bénéficier à des personnes atteintes de pathologies plus fréquentes. Autre voie d’exploration : la thérapie génique – qui vise à guérir une maladie rare en corrigeant le gène défaillant. Mais, pour l’heure, les résultats sont minces. Des essais de thérapie génique sur des enfants atteints de la maladie de Sanfilippo vont commencer prochainement. À l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, des personnes frappées par la drépanocytose vont aussi faire l’objet, cette année, d’expérimentations par une start-up américaine.

EN CHIFFRES

→ Une maladie rare est définie par une prévalence faible, inférieure à une personne sur 2 000.

→ Environ 6 % de la population mondiale est atteinte d’une maladie rare.

→ 65 % des maladies rares sont graves et invalidantes (ministère de la Santé).

→ 80 % des maladies rares sont d’origine génétique ; certains cancers, des pathologies infectieuses ou auto-immunes sont aussi des maladies rares.

→ 78 millions d’euros récoltés lors du 27e Téléthon, en 2013, en faveur de la recherche. Selon Les entreprises du médicament (Leem), les dons du Téléthon financent jusqu’à 70 % de la recherche sur les maladies rares en France.

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