LES INFIRMIÈRES SOUS LE SUNSHINE - L'Infirmière Magazine n° 333 du 15/11/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 333 du 15/11/2013

 

LOI SUR LA TRANSPARENCE

ACTUALITÉ

Depuis le 1er octobre, une loi impose la transparence sur les avantages accordés par les laboratoires aux professionnels de santé. En 2012, 28 000 infirmières étaient concernées.

Venue tout droit des États-Unis, la loi sur la transparence des liens d’intérêt entre professionnels de santé et entreprises du médicament a fini par s’appliquer en France. Depuis le 1er octobre, les ordres professionnels et les laboratoires doivent publier sur leur site Internet respectifs la liste des personnes concernées et les avantages dont elles ont bénéficié. Les cadeaux d’un prix supérieur à 10 euros y sont recensés, avec leur montant exact. Aussi généreuses soient-elles, les rémunérations accordées dans le cadre de conventions restent, en revanche, absentes de ces données. Une brèche parmi d’autres, qui montre le manque de clarté de cette loi rebaptisée « Sunshine act à la française ».

Repas et transports

Dans un communiqué, l’ordre national des infirmiers (ONI) résume la situation. Selon ses données, en 2012, 28 662 infirmières, étudiantes ou associations d’infirmières ont signé une convention ou ont bénéficié d’avantages pour un montant total de 3,7 millions d’euros. Pour le premier semestre 2013, les effectifs concernés s’élevaient à 22 082 IDE, pour un montant de 2,4 millions d’euros. Il s’agit principalement de repas, transports et hébergements. Interrogé par nos soins, le directeur juridique de l’ONI, Yann de Kerguenec, précise que cela représente environ 88 700 lignes. « On est bien loin des quelque 500 000 lignes des médecins », observe-t-il, suite à un échange avec l’ordre des médecins. Avant de reconnaître que les infirmières arrivent deuxièmes sur le podium des avantages offerts par les laboratoires, après les médecins et avant les pharmaciens. Toujours selon les estimations du directeur juridique, les hospitalières représentent le gros du bataillon.

Peu de recours

Ces chiffres s’appuient sur les déclarations des industriels. Aussi, l’ONI prévient-il, en préambule du site qu’il a édité(1) pour se soumettre à la loi, qu’il n’est pas « tenu de vérifier la qualité et l’exactitude de ces informations, ni leur exhaustivité, mais uniquement de les publier dans les délais impartis ». À ce titre, il invite les professionnelles ayant constaté une erreur de la lui signaler par simple courrier(2). Pour l’heure, seule une infirmière a fait une demande de rectification, ainsi que trois laboratoires – sur des fichiers qu’ils avaient eux-mêmes transmis. À se demander si ces rares recours s’expliquent par la méconnaissance ou le désintérêt des infirmières concernées par la loi.

Sur le site conçu par l’ONI, aucune liste globale n’apparaît, afin d’éviter l’absorption de ces informations par des robots. Il faut remplir un champ avec le nom d’une infirmière donnée pour savoir si cette dernière apparaît dans les listings fournis par les entreprises. Après plusieurs tentatives, notre rédaction a pu observer quelques oublis ou approximations. « Ce laboratoire m’a bien financé l’inscription à un colloque à hauteur de 230 euros par jour, confie l’un des infirmiers interrogés. Mais, pour les frais de déplacement, je n’ai toujours pas reçu de remboursement… » Ce qui apparaît pourtant sur le tableau publié par l’ONI. Il faut dire que, du côté des laboratoires, la loi sur la transparence est tombée comme un couperet. « Les entreprises n’ont guère eu le temps de s’y préparer, prévient le Leem, fédération des entreprises du médicament. Certes, la loi remonte à décembre 2011. Mais, le décret d’application est sorti le 21 mai 2013 pour une application au 1er octobre ! Les petites entreprises qui n’avaient pas de site Internet se retrouvent en difficulté. » Lourdeur du dispositif ou désintérêt pour cette loi ?

Rien à cacher

Certaines entreprises n’ont pas répondu à nos demandes d’interview, comme le groupe Urgo, qui « ne souhaite pas s’exprimer sur ce sujet ». Rien d’étonnant aux yeux de Yann de Kerguenec : « Certains laboratoires y sont allés à reculons. » D’autres, en revanche, signalent que la loi DMOS(3) leur imposait déjà de déclarer aux ordres compétents les conventions passées avec des professionnels de santé. « Il a seulement fallu déclarer, en plus, les sommes à partir de 10 euros. Ce qui a été très fastidieux, précise le Dr Billon, directeur des affaires scientifiques chez Sanofi. Les avantages accordés aux infirmières représentent le plus souvent des plateaux repas ou ce genre de prestations, dans le cadre de formations ou d’essais cliniques (…). Nous n’avons rien à cacher. Pour mettre en place de nouveaux traitements, nous devons travailler avec les professionnels de santé. » Malgré cette volonté affichée de transparence, l’information paraît relativement opaque. Ne serait-ce que du fait de son éparpillement. Une « base de données » unique « sera utilisable par les professionnels début 2014 », informe le ministère de la Santé. Cette date s’avère cruciale pour les infirmières, comme l’indique le Leem, qui rappelle que « normalement, lorsque le site unique sera en place, les professionnels de santé devront eux-mêmes faire leur déclaration de liens d’intérêt ». Quoi qu’il en soit, ce futur site ne comblera pas tous les vides.

Ligne rouge

Dès le mois de mai, l’ordre des médecins se montrait dubitatif. Il s’étonnait du fait que « les rémunérations versées aux professionnels de santé en contrepartie des travaux effectués pour le compte des entreprises ne seront pas rendues publiques ». Même remarque du côté de l’ordre infirmier : « Le décret a introduit la notion de secret commercial concernant les conventions passées entre les laboratoires et les professionnels de santé, déplore Yann de Kerguenec. Le paiement de vacations ou de quasi-salaires dans le cadre d’interventions pour des congrès ou des séminaires n’apparaît pas. Or, ce sont les sommes les plus importantes… » Pas sûr non plus que les intéressés fassent eux-mêmes la démarche de transparence. « Il y a des infirmières qui travaillent pour des laboratoires, mais qui ne le disent pas clairement. Ainsi, dans une conférence qui pourrait sembler neutre, on peut prendre pour argent comptant leurs discours sans savoir qu’il y a un lobby derrière », commente Laurent Klein, infirmier libéral à Vaison-la-Romaine (84), qui, pour sa part, collabore à des études cliniques par le biais d’un centre d’analyse, prestataire de laboratoires. Recruté par le biais d’une plateforme Internet spécialisée dans le domaine des plaies et cicatrisation, l’infirmier assure conserver ainsi toute son indépendance. La ligne rouge paraît difficile à cerner. Et les sollicitations de la part d’entreprises du médicament semblent se multiplier. En témoigne David Guillon, infirmier libéral à Nice et à la tête d’une association de soignants. « Il est vrai que, depuis 2007, nous pouvons prescrire toute une série de dispo­sitifs médicaux. Les laboratoires le savent », confie-t-il. Avant de nuancer : « Mais, l’influence des laboratoires concerne plus les mé­decins que les infirmières. »

1 – http:// transparence-infirmier.cnoi.fr

2 – Adressée à : Conseil national de l’ordre des infirmiers, « Publication des liens d’intérêt – demande de rectification » – 228, rue du Faubourg-Saint-Martin, 75010 Paris.

3 – Loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, dite « loi anti-cadeaux ».