Trois formations à la loupe - L'Infirmière Magazine n° 332 du 01/11/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 332 du 01/11/2013

 

FORMATION CONTINUE

EN PRATIQUE

Des thématiques hétéroclites. Douleur, hygiène, sécurité incendie, transfusion… De multiples sujets sont abordés en e-learning. Zoom sur trois exemples.

L’EF02, DE l’INTS

EF02. Tel est le nom de code du module par lequel l’Institut national de la transfusion sanguine (INTS) a e-formé, depuis 2009, près de 20 000 IDE, mais aussi des médecins, des sages-femmes ou du personnel de dépôt de sang, employés dans plus de 130 établissements. Le thème ? L’acte transfusionnel et ses contrôles. La part de formation par ordinateur ? 100 %. La durée ? Deux heures (trois dans la future quatrième version). « L’infirmière peut y accéder par petits bouts sans recommencer à zéro, et à son rythme, puisque le dispositif enregistre et mémorise son parcours », explique le docteur Jean-Jacques Cabaud, chargé de mission DPC (développement professionnel continu) à l’INTS. Le programme est scindé en cinq leçons, de la prescription des examens immuno-hématologiques à la traçabilité et la gestion des documents, en passant par la commande de produits sanguins labiles, leur réception et la réalisation de l’acte transfusionnel. Dans chacune de ces séquences, l’apprenant obtient des éléments de formation, assiste à une mise en situation et répond à un quiz. L’outil va aussi intégrer des études de cas interactives. La formation à la sécurité du processus transfusionnel est une priorité aux yeux des établissements, d’autant que le critère figure dans le manuel de certification de la Haute Autorité de santé. L’évaluation de l’EF02 se veut donc particulièrement exigeante. (…). L’infirmière doit obtenir la note maximale à un questionnaire de 20 questions touchant à autant de points critiques dans la gestion des risques et de la sécurité. Plus de 90 % des infirmières obtiennent ce score. Mais, dans le cadre du DPC, qui comporte aussi une analyse des pratiques professionnelles, comment évaluer ? Une validation pratique est, en effet, difficilement imaginable : il faudrait un évaluateur derrière chaque infirmière. En plus, la transfusion n’est pas un geste programmé. Une solution est de procéder à une observation générale à travers un indicateur. Si l’obligation de DPC est individuelle, sa validation peut être en partie collective, et pluridisciplinaire, à travers des objectifs à atteindre dans un service ou un établissement. L’idée, c’est que l’INTS et l’établissement se mettent d’accord sur une procédure, avec des éléments de preuve à apporter sur une amélioration des pratiques dans un certain délai. Exemple : l’ensemble des IDE vérifient-elles l’identité du patient avant de transfuser ? Ce système d’évaluation en partie collective présente un autre avantage : éviter la notation individuelle, que certaines professionnelles perçoivent comme un jugement.

Dans le domaine de l’e-formation, l’histoire de l’INTS est assez représentative de la croissance progressive de ce mode d’apprentissage en santé. Sa première expérience de formation dans les nouvelles technologies date de 2006. Avec l’université Nice Sophia Antipolis et l’Université virtuelle médicale francophone, l’organisme entendait passer du présentiel à d’autres modes d’enseignement, en visioconférence. Puis, l’objectif a consisté, en formation médicale sur la sécurité transfusionnelle, à mettre en place des modules à télécharger et une plateforme pour le suivi individuel électronique des praticiens, en vue de l’évaluation des pratiques professionnelles, l’EPP. L’EPP n’est pas évidente à réaliser, car la formation s’ajoute, pour les praticiens, à l’exercice professionnel. Mais, avec cette première étape, l’INTS a « appris à suivre et à tracer un parcours, à mesurer les états d’avancée, et recruté un expert pour concevoir le programme ». C’est le DPC, introduit par la loi Hôpital, patients, santé et territoires, qui devrait booster l’e-learning, ajouté à la boîte à outils pédagogique de l’INTS en 2009-2010. Sur l’EF02, par exemple, l’Institut est propriétaire des contenus, conçus entre autres par des cadres de santé ou formatrices en Ifsi, tandis que FormaDirect, délégataire de service public, a mis au point le support.

LES ECG DU CHUV

Deux circonstances ont contribué au développement de l’e-learning sur les troubles du rythme cardiaque et la lecture des électrocardiogrammes (ECG) au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), en Suisse. D’une part, l’arrivée dans l’établissement d’un expert en informatique, Raul Prieto, et, d’autre part, une réflexion sur les limites d’un cours de trois heures donné en présentiel, en groupe, à des infirmières de cardiologie. Ces limites, Sigrid Duperrex, infirmière chargée de formation, les énumère : la faible disponibilité des apprenants en raison des congés ou des vacances ; le manque d’apprentissage pour ceux qui, en groupe, ont peur de s’exprimer ; le coût trop élevé pour mandater une infirmière clinicienne afin de se rendre dans chaque service… En e-learning, chacun s’entraîne désormais à son rythme, à l’abri des regards et selon ses disponibilités, depuis son poste ou la bibliothèque du CHUV, voire depuis son domicile. L’outil, déposé sur la plate-forme Moodle, se compose d’exercices diversifiés, à base d’informations visuelles et sonores. L’apprenant y trouve des leçons et « astuces », par exemple pour déterminer rapidement la fréquence cardiaque, et des questions pour s’autoévaluer. Il rend visite à des patients virtuels, dans deux unités. À chaque malade est accolée une vignette donnant ses caractéristiques : Charles, 81 ans, essoufflement, eupnéique au repos, fréquence cardiaque irrégulière… À partir de ces indications et d’un ECG, il s’agit, entre autres, de détecter un éventuel trouble cardiaque, et de décider s’il faut, ou non, intervenir d’urgence, quelle conduite entreprendre… Autres exercices : identifier des situations d’urgence (inspirées de cas réel) d’un coup d’œil sur un moniteur ; lier trois ECG à trois troubles de rythme proposés ; choisir dans un lot de quatre ECG celui qui correspond au trouble de rythme énoncé ; résoudre des situations problématiques, avec une trousse de secours composée de dix actions comme recourir à un défibrillateur en mode semi-automatique ou administrer de l’oxygène. Dans ce domaine, qui relève aussi du diagnostic médical, l’infirmière ne doit pas seulement savoir : elle est susceptible d’agir.

Quand, en phase de test, le groupe pilote a été lancé, le formateur rencontrait physiquement les apprenants au début et à la fin de la formation. Mais nombre de connexions au module par Internet se déroulaient… la dernière journée avant l’examen final. Depuis, une réunion de remédiation intermédiaire d’une heure et demie a été introduite, et la fréquentation du module se révèle plus assidue. « Nous ne sommes pas partis d’une logique d’économie mais d’une logique de qualité, avance Raul Prieto. Nous maintenons le présentiel pour la régulation et la motivation. » La formation est donc hybride, avec quatre heures trente de présentiel (introduction, régulation et évaluation finale) et deux heures trente d’autoformation à distance – des temps qui passeront respectivement à quatre heures et à trois heures l’an prochain, l’évaluation finale devenant à distance. En e-learning, le CHUV œuvre dans d’autres domaines, comme la gestion et l’évaluation de la douleur pour les infirmières. Un serious game sur l’infarctus sera également opérationnel en 2014. À l’écran apparaît Julie, infirmière aux urgences, avatar numérique de l’apprenant. Sa mission : positionner rapidement, avec la souris, dix électrodes pour un électrocardiogramme, sur le torse d’un patient vu du dessus, et dont on peut afficher ou masquer le squelette. L’épreuve se déroule avec des contraintes de temps et de précision, et un nombre d’essais limité (jusqu’à 60 en mode débutant). Dès que le joueur se saisit de la première électrode, le chronomètre s’enclenche et chaque manipulation enlève un essai. Autre nouvel outil en développement, Cardiomap, pour situer les régions cardiaques, et les infarctus du myocarde.

FLORENCE, D’AUDACE

Oui, on apprend en jouant. Oui, l’assimilation de connaissances peut être ludique. C’est le credo de Jérôme Poulain, directeur associé de la société Audace, née en 1998 et, jusqu’ici, prestataire pour de grandes sociétés comme Arcelor Mittal, Renault Trucks ou la RATP. « Le jeu se trouve à la base de tous les apprentissages de l’être humain, de tout dispositif cognitif, dès l’enfance », insiste-t-il. L’argument convaincra-t-il les établissements de santé qui estiment que la formation continue vise à apprendre, et non à jouer ? Il vaudrait mieux pour Florence, le serious game, ou jeu sérieux, commercialisé depuis moins d’un an par Audace. La société compte plus de 3 000 apprenants à ce jour, et elle espère atteindre la barre des 50 000 l’an prochain. Un objectif réaliste si les établissements, pas vraiment habitués à jouer, apprivoisent et acceptent l’outil. Certains prennent d’ailleurs le temps de vérifier que le jeu fonctionne, en installant dans un premier temps un volume limité de licences.

Florence – en référence à Florence Nightingale – vise à développer et à vérifier les connaissances et compétences infirmières dans trois domaines. La sécurité incendie d’abord. Devant son écran d’ordinateur, l’apprenante fait connaissance avec un pompier qui lui explique comment fonctionne un extincteur ou une porte coupe-feu. Puis, elle répond à un quiz. Elle est ensuite confrontée à des départs de feu dans un hôpital virtuel. Le second module de Florence concerne le risque infectieux, sur une période virtuelle de quatre jours, avant, après et le jour d’une opération chirurgicale. Le dernier module opérationnel – en attendant, d’ici à fin 2013, une autre formation, sur le circuit du médicament – concerne la transfusion sanguine. « Pour se jouer des risques, rien de tel qu’un jeu sérieux », proclame le slogan. Sur ce type de sujet, le mode ludique, couplé à un scénario plutôt directif, atténuera en tout cas le caractère fastidieux de la mémorisation d’un protocole très précis.

Pour cette formation sur la transfusion sanguine (programmée, et en urgence vitale), l’infirmière apprenante se connecte sur un ordinateur. Elle découvre son personnage virtuel, cousin des héros des Sims, l’un des plus célèbres jeux vidéo. Elle pénètre dans le décor, doux et coloré, observé en plongée et de biais : un ascenseur, un couloir, un poste de soins, la chambre d’une patiente. En revanche, pas de sonnerie de téléphone ni de brouhaha : dans ce monde virtuel, c’est une petite musique monotone qui vous accompagne. Ensuite, l’apprenante prend l’outil informatique en main pour découvrir comment déplacer son avatar (avec doigté, pour éviter de le coincer, même temporairement, contre un mur…), entamer des discussions prédéfinies avec les autres personnages (dont le Dr Rotule), compléter des documents administratifs ou saisir des instruments. Puis, elle est guidée pas à pas dans les étapes d’une transfusion. Des questions vérifient ses connaissances des procédures (par exemple sur les prélèvements ou l’identité du patient), mais le jeu note aussi son « savoir-être » : ne pas oublier de frapper à la porte du patient avant d’entrer, sous peine de perdre quelques-uns des 100 points donnés au début du jeu. Le risque ultime : arriver à zéro et au « game over ».

En général, le processus de formation s’étire sur un an, durée de la licence. Trois ou quatre mois durant, les apprenants s’entraînent sur le jeu, seuls ou à plusieurs, autant de fois qu’ils le veulent. Le score de leur évaluation n’est visible que d’eux-mêmes. Puis, ils passent en mode « évaluation », une seule fois, avec leur résultat visible par le tuteur. Au bout de six mois, un bilan est dressé. L’occasion de faire un point sur les résultats, collectivement (dans un service entier) et individuellement, en repérant les soignants retardataires (qui n’ont pas passé l’évaluation) ou en échec. En cas de game over, il est laissé quelques mois à l’apprenant pour se réentraîner et se soumettre à nouveau à l’évaluation. Le but ? Que tout le monde ait validé le module au terme de l’année.