LA BÊTALACTAMINE - L'Infirmière Magazine n° 331 du 15/10/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 331 du 15/10/2013

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

M. N., patient de 73 ans, est admis dans le service de néphrologie le 25 juillet 2013. Il présente comme antécédents : insuffisance respiratoire chronique sur BPCO post-tabagique sévère ; HTA traitée par Zestorétic et Isoptine LP 240. M. N. a été hospitalisé quelques jours auparavant pour décompensation respiratoire avec suspicion de pneumopathie.

Un traitement par Augmentin 2 g par jour est débuté. Le lendemain, un syndrome diarrhéique sévère apparaît, et persiste pendant plusieurs jours malgré le traitement symptomatique. Une anorexie et des vomissements complètent ce tableau digestif.

Un bilan biologique montre : créatininémie : 71 mg/l dans les urines ; urée : 3 g/l ; acide urique : 216 mg/l ; Na 3 mmo/24 h ; Na 130 mmol/l ; K 25 mmol/24 h ; K 3,8 mmol/l ; HCO3 14 mmol/l ; protéinurie 0,1 g/l ; Hb 8,3 g/dl ; pas d’hématurie.

Échographie rénale normale, vessie vide.

QUE S’EST-IL-PASSÉ ?

Il s’agit probablement d’une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle dans un contexte de déshydratation, car il n’y a pas de notion d’insuffisance rénale chronique. On note une hyperuricémie, et la natriurèse basse évoque une atteinte fonctionnelle liée à une déshydratation.

Les causes de ce tableau sont la diarrhée, l’anorexie et les vomissements secondaires à la prescription d’Augmentin, entraînant une déshydratation, une hypoperfusion rénale aggravée par la prescription au long cours d’IEC. Ces derniers vasodilatent l’artère rénale efférente et diminuent le débit de filtration glomérulaire.

2. RAPPELS : LA BÊTALACTAMINE

L’Augmentin est un antibactérien à usage systémique dont la formulation associe l’amoxicilline et l’acide clavulanique, puissant inhibiteur de bêtalactamases. L’acide clavulanique inhibe rapidement et irréversiblement la plupart des bêtalactamases produites par des bactéries à Gram + et à Gram -. De ce fait, l’Augmentin se montre actif sur un nombre important de bactéries, y compris les bactéries résistantes par sécrétion de bêtalactamases de type essentiellement pénicillinases, que cette résistance soit acquise (staphylocoque doré, gonocoque, Haemophilus influenzae, colibacille, Proteus mirabilis) ou naturelle (klebsielles, Proteus vulgaris, Bacteroides fragilis).

Indications

Ce médicament présente un intérêt tout particulier dans les indications suivantes : respiratoires basses, ORL, gynécologiques, digestives et intra-abdominales, notamment péritonites, rénales et urogénitales, septicémiques, endocardiques, cutanées et des tissus mous, ostéoarticulaires.

Contre-indications

L’allergie aux antibiotiques de la famille des bêta– lactamines (pénicillines, céphalosporines), l’allergie à l’un des constituants du médicament, et les antécédents d’atteinte hépatique liée à l’association amoxicilline-acide clavulanique contre-indiquent l’utilisation de l’Augmentin.

Précautions d’emploi

Comme avec toutes les bêtalactamines, il faut contrôler régulièrement la formule sanguine en cas d’administration de doses élevées d’amoxicilline. L’administration de fortes doses de bêtalactamines chez l’insuffisant rénal ou chez les patients présentant des facteurs prédisposants (antécédents de convulsions, épilepsie traitée ou atteintes méningées) peut exceptionnellement entraîner des convulsions. Enfin, le risque de survenue d’effet indésirable hépatique (cholestase) est majoré en cas de traitement supérieur à 10 jours et tout particulièrement au-delà de 15 jours. En cas de traitement prolongé, il est donc recommandé de surveiller les fonctions hépatique et rénale.

Effet indésirables

Les troubles cutanés allergiques : prurit, urticaire, rougeurs, rash, fièvre, œdème de Quincke…, risque d’accident allergique. CAT :

– dépistage par interrogatoire sur ATCD allergique avant de débuter le traitement ;

– informer le patient des risques ;

– surveiller l’aspect cutané ;

– dépister l’apparition d’un érythème, de démangeaisons… ;

– en perf IV : respecter la durée d’administration de l’antibiotique.

Les troubles de l’hémostase : troubles de la coagulation. CAT :

– recherche de pétéchies, gingivorragies, hématomes… ;

– surveillance biologique de la coagulation sur prescription médicale ;

– communication des résultats au médecin.

Les troubles digestifs : nausées, vomissements, diarrhées (enfants et personnes âgées), risque de colite pseudo-membraneuse (toxine clostridium difficile, contamination), candidose buccale. CAT :

– informer le patient ;

– surveiller l’apparition de signes digestifs ;

– surveiller l’aspect des selles, si diarrhées ; les comptabiliser ;

– risque de déshydratation ;

– alimentation : yaourts, ultralevure ;

– surveiller l’aspect de la bouche (candida albicans) ;

– informer le médecin ;

– traitement selon la prescription médicale (anti-spasmodiques, antidiarrhéiques, antifongique…).

Interactions médicamenteuses

Les principales interactions à surveiller sont :

– avec le méthotrexate : augmentation des effets et de la toxicité hématologique du méthotrexate par inhibition de la sécrétion tubulaire rénale par les pénicillines ;

– avec l’allopurinol (et, par extrapolation, autres inhibiteurs de l’uricosynthèse) : risque accru de réactions cutanées ;

– avec les anticoagulants oraux : risque de déséquilibre de l’INR et d’augmentation de l’activité anticoagulante.

3. L’INSUFFISANCE RÉNALE AIGUË

Étiologies

L’insuffisance rénale aiguë est une diminution rapide de la filtration glomérulaire qui a pour conséquence la non-excrétion des déchets azotés (urée, créatinine, acide urique). Plusieurs étiologies existent :

L’insuffisance rénale aiguë fonctionnelle est une anomalie de la perfusion rénale, alors que l’organe est pleinement fonctionnel. Elle est spontanément réversible dès rétablissement de la perfusion.

L’hypoperfusion a pour cause : hémorragie, déshydratation, perte digestive (diarrhée, vomissement), perte rénale (médicamenteuse ou osmotique), insuffisance cardiaque, syndrome hépatorénal, syndrome néphrotique.

L’insuffisance rénale aiguë obstructive est causé par l’obstruction aiguë du tractus urinaire, soit bilatéralement, de manière haute, soit basse, de manière unique.

L’obstruction peut être : intraluminale (caillot, lithiase, papilles rénales), infiltrative de la paroi luminale (néoplasie prostatique, utérine), compression externe (abcès, ligature chirurgicale, néoplasie, fibrose rétropéritonéale).

L’insuffisance rénale aiguë organique est une complication d’une pathologie du parenchyme rénal : ischémie secondaire à une hypoperfusion rénale ou atteinte par un néphrotoxique, causant nécrose des cellules tubulaires, atteinte glomérulaire, vasculaire ou interstitielle.

Quels sont les signes biologiques ?

Syndrome urémique : élévation de l’urée, de la créatinine, acidose métabolique, hyperkaliémie, hyperuricémie, hyperphosphorémie.

4. EN PRATIQUE

Traitement étiologique de l’insuffisance rénale aiguë :

> Insuffisance rénale aiguë fonctionnelle : arrêt des AINS et IEC ; remplissage vasculaire par du sérum physiologique guidé par l’amélioration des signes cliniques, et la reprise de la diurèse.

> Insuffisance rénale aiguë obstructive necessitant un drainage des urines en urgence.

> Sonde urinaire (ou KT sus-pubien) si globe vésical.

> Avis uro si obstruction haute pour pose de sonde JJ ou néphrostomie percutanée.

> Attention au syndrome de levée d’obstacle qui résulte de l’association d’une tubulopathie fonctionnelle rendant le rein incapable, transitoirement, de concentrer l’urine et du rôle osmotique de l’urée.

Il se manifeste par une polyurie qui peut être importante (> 1 l/h) rendant nécessaire une surveillance horaire de la diurèse. Le traitement repose sur la compensation par du soluté IV, adaptée à la diurèse et à l’état d’hydratation du patient. (On compense généralement à 100 % sur les premières 24 heures, puis diminution progressive sur 2-3 jours).

> Insuffisance rénale aiguë organique : hospitalisation en néphrologie pour réalisation d’une ponction biopsie rénale.

> Dans tous les cas :

– adaptation des apports hydrosodés à la diurèse ;

– prise en charge d’une éventuelle hyperkaliémie ;

– traitement d’une éventuelle HTA ;

– éviter tous néphrotoxiques, notamment AINS et IEC ;

– adapter les posologies des traitements à la sévérité de l’insuffisance rénale.

DÉSHYDRATATION : SURVEILLANCE INFIRMIÈRE

> Clinique

– Mesurer les paramètres hémodynamiques, pouls et pression artérielle.

– Peser la personne (1 litre d’eau pèse 1 kg).

– Vérifier la diurèse et sa régulation.

– Surveiller l’état cutané et la disparition du pli cutané, signe majeur de déshydratation.

– Surveiller l’état de conscience et la disparition d’un éventuel syndrome confusionnel.

> Biologique

Sur prescription :

– ionogramme sanguin : il montre la normalisation de la natrémie (140 mmol/L) et de la protidémie (70 g/L) ;

– numération-formule sanguine et taux d’hémoglobine (12 à 16 g/100 mL), ainsi que taux d’hématocrite (40 à 45 %).