Soigner, savoir se préserver - L'Infirmière Magazine n° 327 du 15/07/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 327 du 15/07/2013

 

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DOSSIER

Face à la mort, qu’il travaille en gériatrie, en oncologie, aux urgences ou en pédiatrie, le soignant peut trouver des ressources et ajuster spécifiquement son geste professionnel.

Taboue, cachée, vite évacuée, la mort peut aussi passer sans qu’on la voit, notamment aux urgences. Le Docteur Sébastien Colas, aujourd’hui gériatre au CHU de Reims, y a débuté sa carrière : « Je ne me posais pas la question de la mort, c’était « au suivant ». Puis on vieillit, on s’interroge. La vie personnelle croise la trajectoire professionnelle ; j’ai accompagné mon père jusqu’au bout, pendant deux ans. » Son passage aux urgences décidera aussi de son orientation : « C’est là, que j’ai découvert la gériatrie, car une bonne moitié des patients ont plus de 75 ans. J’avais envie de les suivre, pas uniquement de les voir arriver à l’hôpital pour mourir. »

La mort d’un vieillard, a priori ressentie comme « logique », peut être difficile à vivre. « Nos vieux, ce ne sont pas ceux de la Promenade des Anglais, mais des patients de 87, 90 ans, en détresse, polypathologiques, très fragiles ! » précise le Docteur Colas. « Certains savent qu’ils ne ressortiront pas et nous le disent, avec une forme d’acceptation. Mais il y a aussi des histoires de vie très tristes, des gens isolés, grabataires… » Face à eux, la souffrance des soignants reste tue : « On n’en parle pas. Mais je suis persuadé que les plus jeunes le vivent mal. » Et d’évoquer cette interne « en souffrance vis à vis d’une décision d’arrêt thérapeutique qui la renvoyait à la mort de son grand-père… »

Projection personnelle, empathie, cas « éthiquement difficiles », pour lesquels il n’y a pas de réponse type. Que faire face à un refus de soins, notamment dans le cas des malades Alzheimer ? « Il faut se demander ce qu’il y a derrière : une douleur ? Un syndrome dépressif ? » détaille le médecin. Et, toujours, tenir compte de la volonté du patient autant que faire se peut. Comme « Ce monsieur Alzheimer et néoplasique qui acceptait la toilette, le rasage mais pas les médicaments. »

« Les soins du care »

Comme les plus âgés, les patients lourdement handicapés présentent une grande vulnérabilité. Pour leurs parents, la question de la mort est intégrée depuis l’enfance. « Ils sentent très bien que leur enfant est fragile. Les problèmes de déglutition et les crises nourrissent l’idée queÇa peut finir à tout moment” », explique Michel Belot, psychologue à la Maison d’accueil spécialisée (MAS) « La Clairière » des Hôpitaux de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), où réside une soixantaine de personnes polyhandicapées. Des projets de vie peuvent néanmoins être construits. Et le rôle soignant devient celui d’une présence aimante, jusqu’au bout. Selon le docteur, les infirmières ne sont toutefois pas au point : « Il faut développer dans les études un module handicap grave, centré sur les soins du care, et pas uniquement sur la technique : le sensoriel, le toucher, le regard… De cette façon, le geste infirmier sera investi. » Garder en tête, aussi, que chaque projet est spécifique, qu’il n’y a pas de protocole. « Il faut savoir moduler les modèles trop rigides ou idéalisés d’une fin de vie, poursuit Michel Belot. Les soignants ont certes besoin de points de repères, nécessaires pour agir mais peut-être des obstacles pour comprendre. Pour accompagner jusqu’au bout, l’important c’est la rencontre avec les personnes. » Fortement associé à la mort, le patient cancéreux nécessite aussi une présence soignante particulièrement bienveillante. Laetitia (qui ne souhaite pas donner son nom de famille), IDE depuis quatre ans, exerce à sa demande depuis un an et demi en médecine oncologique à l’Institut Gustave-Roussy (IGR) de Villejuif. « On est face à une maladie qui fait peur et cela implique un autre contact. J’aime cette relation. » Elle sait qu’elle peut passer le relais ? : « Si on se sent trop attachée, qu’on dépasse certaines limites dans l’empathie, on risque de ne plus être aidant de la même manière ; on peut alors demander à ne plus s’occuper de tel patient. »

Ecouter, s’écouter, associer

Peut-on « s’habituer » à la mort ? Probablement pas, mais on peut ajuster ses comportements professionnels, chercher à se préserver, grâce à ses collègues, au psychologue de l’établissement, à sa famille. Certaines morts, néanmoins, laissent à jamais des cicatrices.

Bientôt retraité, le Professeur Denis Devictor(1), chef de service de réanimation néonatale et pédiatrique de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, se souvient de son premier jour à l’internat : « Une petite fille atteinte de purpura fulminans, sorte de choc septique à méningocoques. Elle allait mourir dans le service… Je l’ai revue des dizaines d’années plus tard, elle est devenue une grande avocate internationale. » Belle histoire, mais difficile entrée en matière pour le médecin. Confrontation ardue également avec la question récurrente en réanimation : « Faut-il réanimer à tout prix ? » Tout aussi complexe corollaire de cette question : « Faut-il associer les parents à la décision ? » Sur ce point, les choses ont changé du tout au tout, passant de parents totalement mis à l’écart (pour éviter tout risque de culpabilisation) à leur pleine association, à la faveur des lois Kouchner (2002) et Leonetti (2005)(2). « Ce sont les infirmières qui ont fait changer notre regard, elles qui demandent : « vous pensez aux parents ? », « vous ne pensez pas qu’on va trop loin ? », confie le professeur. Aujourd’hui, tous les parents des 10 % d’enfants qui décèdent en réanimation ont été informés des décisions de LATA (limitation ou arrêt des traitement (s) actif (s) de suppléance) et peuvent prendre leur enfant dans leurs bras jusqu’au bout.

Toutefois, la mort d’un enfant reste « insupportable » pour le professeur : « Plus on avance, plus on projette, ses enfants, ses petits enfants… On ne peut pas s’habituer à la perte d’un enfant. D’ailleurs, quand vous perdez vos parents, vous devenez orphelin, veuf quand vous perdez votre épouse, mais quand vous perdez vos enfants la langue française ne trouve rien. C’est indicible. » Violente et indicible, aussi, la mort d’un nourrisson. Parfois, le décès se produit au domicile, de façon inexpliquée. Selon le protocole mis en place par la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2007, l’enfant (jusqu’à 2 ans) peut alors être amené dans un Centre de référence sur la mort inattendue du nourrisson (MIN). Un nom glaçant, mais un lieu où les familles peuvent trouver des ressources. Depuis six ans, François Cadoux est infirmier au Centre du CHRU de Lille : « L’accompagnement des parents est excessivement difficile : ils sont dans le choc le plus complet, il faut être à l’écoute, empathique. C’est une autre approche de la mort ; on n’a pas connu les parents en service mais on va les soutenir parfois longtemps après. »

Aux yeux de l’infirmier, la formation continue et l’implication dans les réunions d’équipe sont de précieuses ressources, comme l’engagement dans « Nos tout-petits »(3). Il raconte sa rencontre, à l’association, avec les parents d’un bébé qu’il avait dû extuber, quelques heures avant sa mort, alors qu’il travaillait en réanimation néonatale. « Je rentrais de vacances, je me suis retrouvé dans une équipe de jeunes soignants, personne ne voulait s’occuper de cet enfant. Je l’ai fait alors que je ne connaissais rien de lui, ni de sa famille.. », se souvient-il. « Ce jour-là, je ne me suis pas fait du bien. Ensuite, les parents m’ont déculpabilisé. Nous croyons accompagner alors que c’est nous qui sommes accompagnés. »

1– Le tragique de la décision médicale. La mort d’un enfant ou la naissance de l’absurde, Paris, Vuibert, 2008

2– Sur les droits des malades et sur la fin de vie

3– www.nostoutpetits.fr